Politique étrangère et enjeux de stabilité en Mauritanie

« Il est dans la nature de lhomme politique quil soit plus sensible et attentif que tout autre au rythme de la vie nationale et aux préoccupations du peuple. Mais il est aussi animé dune ardente et constante compétition pour le pouvoir. Ayant fait prévaloir ses choix et sa personne au sein de son groupe, le stratège cherche tout naturellement à le faire à lextérieur ». (Alain Plantey, académicien français)

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La Mauritanie est, peut-être, lun des rares pays au monde qui a été profondément marqué par la fluctuation des relations internationales et par le poids, souvent périlleux, de la géopolitique. Serait-elle aujourdhui un pays malade de sa propre politique étrangère?

Les perspectives dévolution de lattitude « antagonique » de la communauté internationale à légard du coup détat du 6 août, les conséquences de la dernière sortie « musclée » de la présumée Al-Qaida/Baqmi à « Tourine » et les récents propos du roi du Maroc sur les rapports de sécurité « intégrée » entre la Mauritanie et le Maroc, nourrissent actuellement, sur la scène nationale, un vif sujet à débat.

De plus en plus charpenté, ce débat annonce une rentrée controversée en Mauritanie après la fragile « trêve » observée durant le mois béni de Ramadan. En butant sur la politique étrangère et les enjeux de stabilité en Mauritanie, ce débat constitue un légitime questionnement sur la problématique de la pertinence et de la cohérence de la politique étrangère de la Mauritanie par rapport aux objectifs de la politique intérieure, des perspectives de stabilité et de développement durable dans ce pays.

Lambivalence caractéristique de lexercice pratique de ces deux politiques, ainsi que leurs rapports historiques, incidents et dissidents, fait ressurgir inéluctablement les mêmes interrogations. Paradoxalement, lopposition entre linterne et lexterne, dont la pertinence est largement contestée dans la sociologie des relations internationales, se révèle quasiment artificielle en Mauritanie, »linterne est déjà de lexterne et réciproquement ».

Après son indépendance, un demi-siècle durant, le projet politique dune nation mauritanienne au-delà des clivages ancestraux ethniques, régionalistes et tribaux, a été régulièrement confronté à une série dimpasses. Ainsi, des facteurs comme labsence dun mode politique de gouvernance appropriée, les ricochets des désagréments de parcours et le poids des transmutations incertaines de lordre international, ont fini par conduire le projet dÉtat-nation vers une crise inavouée.

Confuse, hésitante et déchirée et entre deux choix, qui paraissaient difficilement conciliables à lépoque, faire la politique de son histoire ou celle de sa géographie, la Mauritanie a perdu beaucoup de temps pour asseoir sa propre identité nationale consensuelle. Néanmoins, une vision claire des modalités pratiques dune valorisation durable de cette identité nationale, devant jeter les bases dune politique intérieure pérenne, avait longtemps manqué au rendez-vous.

Par conséquent, la politique étrangère de la Mauritanie- qui devait être la projection de sa politique intérieure suivant des objectifs bien prescrits, pour définir, établir et gérer ses rapports avec les gouvernements étrangers- sest très vite confinée dans une logique conjoncturelle, sans consistance et sans portée. La légèreté avec laquelle avait été traitée la prépondérance de la donne internationale, et ses incidences sur la politique intérieure, sétait souvent traduite par une politique étrangère inadaptée, peu visible et peu efficace. Elle avait finit par sassimiler à lombrage des jeux partisans de lutte, tout venant, pour la conquête du pouvoir et le partage des privilèges.

Abandonnée à la discrétion et à lappréciation exclusive du chef de lÉtat et de ses proches, suivant des qualifications individuelles et des tempéraments personnels, la gestion de la politique étrangère de la Mauritanie sest inlassablement banalisée, personnalisée, puis « taboutisée », échappant ainsi à tout contrôle objectif, de surcroît démocratique. Bref, la Mauritanie est devenue un pays malade de sa politique étrangère.

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Pourquoi, historiquement, les données de la politique étrangère de la Mauritanie par rapport à celle de sa politique intérieure prêtent souvent à de fortes interprétations subtiles et parfois contradictoires? Pourquoi, depuis lindépendance, lÉtat mauritanien recherchait-il une difficile construction nationale dans laquelle la politique étrangère sert dinstrument de régulation de la politique intérieure?

Pourquoi la politique intérieure est restée dominée par les pratiques de « politique du ventre » et par un réflexe de recherche de cautions à lextérieur par les différents acteurs politiques pour des « coups de force » et des « coups de sang » internes? Comment comprendre le poids des facteurs internes dans les relations extérieures de la Mauritanie et, à linverse, linfluence des facteurs externes sur lordre politique interne de notre pays?

Par le passé, quelles ont été les modalités dinsertion de la Mauritanie dans les systèmes international et régional? Comment a-elle subi les influences de ses environnements immédiats et lointains? Quel rôle prétend-elle jouer sur la scène internationale? Quels ont été les différents acteurs intervenant dans la détermination de sa politique étrangère?

La Mauritanie, a-t-elle réellement aujourdhui, une politique étrangère lisible et pertinente? Quels en sont les objectifs par rapport à la donne interne du pays? Quels en sont ses contenus, ses enjeux stratégiques et ses modes de mise en Suvre et de suivi évaluation ? Quels en sont les parties prenantes, les acteurs et les bénéficiaires de cette politique étrangère? La Mauritanie est-elle acteur ou victime de sa propre politique étrangère? La Mauritanie a-t-elle une action diplomatique visible et cohérente au service de sa politique étrangère? Quel est son niveau dopérationnalité? De quelles ressources dispose cette diplomatie pour assurer la mobilisation de ses capacités de négociation et daction? Pourquoi notre diplomatie est-elle souvent déconnectée des réalités nationales et internationales? Enfin, quel rôle pour les diplomaties parallèles?

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Malgré son passé comme acteur international jadis radieux en raison des grandes expéditions almoravides et de leur rayonnement atlantique et méditerranéen, la Mauritanie est redevenue sujet des relations internationales, lorsquelle a été placée dans la zone dinfluence française par lacte général de la conférence de Berlin en 1885, qui a décidé le partage de lAfrique entre les grandes puissances de lépoque.

Durant un peu plus dun siècle de son histoire moderne, depuis le début de la colonisation en 1899 à nos jours, la donne extérieure na cessé de façonner, intervertir et bouleverser la réalité interne de notre pays. La politique intérieure de la Mauritanie a souvent constituée les vestiges dune certaine politique étrangère voulue et/ou subie. Elle nétait que la partie émergente de liceberg.

Au départ, cétait pour des raisons géostratégiques que les autorités coloniales françaises avaient décidé la création de la « Mauritanie occidentale » en 1899 pour  » administrer le vide », en contrôlant une zone intermédiaire entre lAfrique du Nord et lAfrique occidentale française. Plus tard, la Mauritanie fut transformée en territoire civil en 1904, puis rattachée aux autres colonies de lAfrique Occidentale Française (AOF) en 1920.

Le projet dune Mauritanie indépendante, même sil fut supporté par certaines élites nationalistes et globalement approuvé par les populations locales, répondait avant tout à des considérations géostratégiques françaises, notamment pour mettre en concurrence le projet marocain du leader istiqlalien, le feu Allal Al-Fasi, visant la restauration dun grand espace marocain allant de Tanger à Saint-Louis au Sénégal et à Tombouctou au Mali. Dans un tel contexte international, il ne pouvait être question pour la France de créer une Mauritanie  » arabe » au risque quelle serve de base arrière pour la résistance algérienne.

Dès son indépendance en 1960, au terme dune colonisation au rabais qui, na guère formé les structures indispensables, susceptibles de préparer les transformations politiques, économiques et sociales, la Mauritanie a été confrontée, très tôt, à de sérieux problèmes diplomatiques sur le plan international. La première demande dadmission de la Mauritanie à lONU a été bloquée par un veto soviétique en décembre 1960. Elle ne sera  » tolérée » que bien plus tard, au terme dun vaste marchandage diplomatique au cours duquel lex URSS avait finalement accepté de monnayer son abstention par rapport à la Mauritanie « contre » ladmission de la Mongolie. À lépoque, les prétentions territoriales marocaines sur la Mauritanie étaient largement soutenues par le « Groupe de Casablanca » (Maroc, Guinée, Mali, Ghana, Égypte et Libye), ainsi que par la Ligue Arabe (à lexception de la Tunisie).

Il a fallu que la Mauritanie sollicite lappui de son premier « allié », la France. Ainsi, la voie a été ouverte pour la signature des fameux « Accords de coopération » du 19 juin 1961, qui ont considérablement renforcé lemprise de lancienne métropole sur la Mauritanie. La révision de ces mêmes accords de coopération, dont certaines clauses étaient à la limite de la souveraineté nationale, a été lobjet de larges revendications nationalistes en 1972.

En 1963, et malgré ses relations privilégiées avec lAfrique francophone, et plus particulièrement avec les États modérés du « Groupe de Monrovia », un différend frontalier a éclaté entre la Mauritanie et le Mali. Ce différent a également été réglé à laide de la France, avec le « Traité de Kayes » qui a permis aux deux pays de normaliser leurs relations.

En 1967, la Mauritanie a signé un Accord de coopération économique, technique et culturelle avec la République populaire de Chine qui lui a accordé un prêt sans intérêt dun milliard de francs CFA et de 57 millions de dollars en 1971. Ainsi, la Chine a-t-elle été à lorigine dimportantes réalisations, comme le port en eau profonde de Nouakchott, des périmètres expérimentaux de riziculture et certains travaux dadduction deau potable.

En 1972, la Mauritanie a crée avec le Sénégal et le Mali lOrganisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). La même année, la révision des Accords de coopération avec la France a entraîné une brouille des relations étrangères de la Mauritanie avec lancienne métropole. Dans ce contexte, certaines décisions prises par la Mauritanie, comme le retrait de la zone franc, la création de la monnaie nationale, louguiya, de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM), et la nationalisation de la (MIFERMA), où les capitaux français, pourtant privés, étaient majoritaires, ont été des actes à forte connotation de politique étrangère ambitieuse.

En 1973, la Mauritanie a été officiellement reconnue par la Ligue arabe, après la signature, en 1970, dun traité à Casablanca qui a mis un terme aux revendications territoriales marocaines sur la Mauritanie.

En 1975, un « Accord sur le Sahara occidental » a été signé entre la Mauritanie, lEspagne et le Maroc. Le partage de ce territoire, entre le Maroc (à hauteur de 2/3) et la Mauritanie (à hauteur de 1/3), avait aussitôt suscité la réaction vigoureuse du « Front Polisario » par des attaques armées contre la Mauritanie.

En 1976, les relations de la Mauritanie avec lAlgérie ont été rompues. La guerre du Sahara a précipité le retour de la Mauritanie sous le parapluie de la protection française pour assurer sa propre défense.

En 1977, lassistance militaire française, en matière dorganisation et dinstruction des forces armées mauritaniennes, a fait passer les effectifs de larmée mauritanienne de 3000 à 18000 hommes entre 1975 et 1978. La France avait également franchi une nouvelle étape dans son appui à la Mauritanie, dans le cadre du conflit du Sahara occidental, lorsque ses avions de combat « Jaguar » avaient bombardé les colonnes des combattants sahraouis.

En 1978, après que la France ait décidé dabandonner son aide militaire à la Mauritanie, craignant de sembourber dans le conflit sahraoui, un coup dÉtat militaire a destitué le Président Moctar Ould Daddah. Le rôle de la France apparaissait en filigrane et son gouvernement incitait les militaires au pouvoir à engager un processus de retrait de la Mauritanie dune guerre qui compromettait les relations françaises avec lAlgérie. À lépoque, Paris cherchait à protéger ses intérêts qui étaient beaucoup plus importants à Alger quà Nouakchott. 

En 1980, la Mauritanie a changé de cap, en signant un « traité damitié » avec lAlgérie au moment où ses relations avec le Maroc ont été rompues. Le Maroc, par acteurs interposés, a réagi le 16 mars 1981 par un « coup de force et de sang » contre les institutions de lÉtat mauritanien.

À partir de 1981, la Mauritanie a commencé à établir et à entretenir des rapports de coopération exceptionnels avec les pays du Golfe arabe, notamment avec le Koweït, lArabie Saoudite et lIrak, qui ont apporté un appui substantiel à la politique de redressement économique et financier avec une subvention budgétaire de plus de 220 millions de dollars. Entre 1985 et 1988, près du tiers de laide internationale, au profit de la Mauritanie, provenait des pays du Golfe arabe.

En 1984, un coup dÉtat militaire a porté à la tête du pouvoir le colonel Maaouiya Ould Taya. De nouveau, le rôle de la France apparaît en filigrane.

En février 1989, avec le « Traité de Marrakech », la Mauritanie a adhéré à lUnion du Maghreb Arabe.

En avril 1989, un incident frontalier anodin a déclenché de sanglantes émeutes anti-mauritaniennes à Dakar et anti-sénégalaises à Nouakchott, caractérisées par des violences mutuelles atroces qui ont portés de graves préjudices en vies humaines et en dégâts matériels de part et dautre. La déportation humiliante des milliers de Mauritaniens et de Sénégalais au-delà des deux rives du fleuve Sénégal et la remise en cause des frontières méridionales de la Mauritanie ont constitué le point culminant de ces événements.

En 1990, la Mauritanie a signé un « Accord de coopération militaire et de sécurité » avec lIrak, qui a gagné la sympathie du gouvernement mauritanien et celle dune bonne partie de lopinion publique par son prompt appui militaire, notamment en chars blindés et en missiles de moyenne portée. À cette époque, la Mauritanie sétait trouvée en mauvaise posture, avec un faible soutien sur la scè
ne internationale dans la crise qui lopposait au Sénégal. 
En 1991, les relations cordiales avec lIrak durant le conflit du Golfe ont entraîné la Mauritanie dans une situation difficile. Les États arabes du Golfe et les puissances occidentales lui ont imposé des sanctions politiques, économiques et financières. Longtemps après, la Mauritanie est restée la cible préférée des critiques acerbes des organisations de défense des droits de lHomme. 

En 1992, et malgré les graves incidences de la crise avec le Sénégal qui nétaient pas encore réglées, les relations entre la Mauritanie et le Sénégal ont été normalisées et la frontière entre les deux pays a été ré-ouverte dans les deux sens.
En 1995, la Mauritanie a intégré le « processus de Barcelone » comme un projet de partenariat euro-méditerranéen visant à faire de cet espace cosmopolite une zone de paix et de prospérité. 

En juillet 1999, les relations avec la France se sont gravement détériorées lorsquun officier de larmée mauritanienne, qui était en séjour de formation en France, a été arrêté par la justice française pour violation des droits de lHomme commises en Mauritanie. Cette arrestation a gravement brouillé les relations Franco-mauritaniennes. La Mauritanie a expulsé les conseillers militaires français et imposé un visa dentrée pour les ressortissants français. 

En octobre 1999, la Mauritanie a établi des relations diplomatiques normalisées avec Israël à lissue des Accords de paix dOslo, ratifiés en septembre 1993 par MM. Arafat et Rabin. Ainsi, après lÉgypte et la Jordanie, la Mauritanie est devenue le troisième pays arabe à établir des relations diplomatiques pleines et entières avec lÉtat dIsraël. En réaction, la ligue arabe a demandé lexpulsion de la Mauritanie. À partir ce cet événement, la Mauritanie, qui sest considérablement rapprochée des États-Unis en les autorisant à utiliser son territoire pour la collecte dinformations relatives à la traque des activistes islamistes en Afrique du Nord, a intégré le contingent des pays en guerre contre le terrorisme.

En 2000, les relations entre la Mauritanie et le Sénégal ont connues de vives tensions à cause du problème des vallées fossiles. La Mauritanie, qui a dénoncé la « volonté hégémonique » du Sénégal et ses intentions hostiles à son égard, sest retirée de la Communauté Économique des États de lAfrique de lOuest (CEDEAO).

En 2003, la scène nationale a connue plusieurs tentatives armées pour le renversement du pouvoir en place par la force, dont la plus célèbre et la plus sanglante a été celle du 8 juin 2003.

En 2005, un coup dÉtat militaire a porté à la tête du pouvoir le colonel Ely Ould Mohamed Fall, ancien directeur général inamovible de la sûreté nationale au temps de son prédécesseur. Encore une fois, en dépit de son état rudimentaire et de sa panne profonde, la pseudo-démocratie pluraliste et lÉtat de droit que le pays a connu entre 1992-2005, nont pas été épargnés par la donne internationale et ses coups de force intermittents. Linextricable imbroglio des intérêts économiques et géopolitiques antagonistes régionaux et internationaux, français et américains, mais aussi marocains et algériens notamment, apparaît en filigrane.

À la suite de ce coup dÉtat du 3 Août 2005, la Mauritanie avait connue certains changements institutionnels qui ont été introduits. Il y avait eu le référendum constitutionnel du 25 Juin 2006 qui avait ramené la durée du mandat présidentiel de 6 ans à 5 ans et en limité strictement leur nombre à deux mandats. Ensuite, il y avait eu lorganisation de nouvelles élections présentées comme étant plus transparentes: législatives et municipales en 2006 et des élections présidentielles en Mars 2007.

En, 2007, le retour à lordre constitutionnel et au régime démocratique en Mauritanie, après 2 ans de transition, a été marqué par linvestiture solennelle du nouveau président de la république élu, M. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, dans ses fonctions officielles, le 19 avril 2007.

Le 6 Août 2008, un nouveau coup détat militaire, dirigé par le général Mohamed Ould Abdel Aziz, a renversé le président de la république démocratiquement élu et, institué le pouvoir dun Haut Conseil dÉtat (HCE).

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La Mauritanie, dont lexistence a été jugée comme un « pur fait colonial » visant à accentuer le morcellement du corps de la « Oumma », a été rapidement rejetée par le monde arabe duquel elle se sentait, naturellement, le plus proche. Faisant contre mauvaise fortune bon cSur, la Mauritanie sest tournée vers les pays de lAfrique noire. Elle a participé à la création de lUnion Africaine et Malgache (OCAM) en 1961 et a adhéré à lOrganisation de lUnité Africaine (OUA) en 1963.

À
cette époque, la politique étrangère de la Mauritanie a été inspirée par le tracé de la frontière coloniale sur le fleuve Sénégal (et non pas sur une ligne plus au Nord comme le projet en fut formulé dans lentre-deux Guerres mondiales et rappelé par le Sénégal au moment de 1indépendance) et par la transmission du pouvoir à un Maure du Trarza, qui était une région traditionnellement plus tournée vers lAfrique noire. Doù lémergence du statut de la Mauritanie comme pays-pont entre lAfrique noire et le monde arabe. Cette approche sest traduite en politique étrangère par la théorie de la « Mauritanie trait dunion », le pays étant dans une quête tourmentée pour faire admettre sa légitimité tant sur le plan africain que sur le plan arabe. Cette perspective ne cachait pas pour autant la réalité conflictuelle du rapport centre-périphérie de notre pays vis-à-vis de chacun de ces deux mondes.

Plus tard, le retrait de la Mauritanie de lOCAM (Organisation Commune Africaine et Malgache) a été interprété, par des élites politiques négro-mauritaniennes, comme étant un recentrage politique du pays en direction du monde arabe. La politique hâtive darabisation de lenseignement à partir de 1966, la reconnaissance arabe de la Mauritanie au début des années 1970, lentente avec le Maroc pour le partage du Sahara occidental (1975-1978), le désengagement vis-à-vis de la France (1972-1974) et à légard des organismes de coopération sud-sahariens francophones, ont, à lépoque, attiser la méfiance des élites politiques des communautés mauritaniennes Pular, Soninké et Wolof. Un message provocateur aurait été reçu par les élites politiques de ces communautés avec le sentiment que celles de la communauté arabo-berbère avaient délibérément mis en place une politique dassimilation progressive mais sûre des communautés négro-mauritaniennes. Ainsi, la récupération, par la Mauritanie, dune partie du Sahara occidental a été comprise par certains comme étant « un déplacement du centre de gravité géographique du pays vers le Nord », pour renforcer sa maghrébinité et – du fait de la multiplication des relations avec des pays arabes du Moyen-orient (Arabie Saoudite, Koweït, Irak) – son arabité.

À lissue de la Seconde guerre du Golfe, et suite aux stimulantes recommandations du 16ème Sommet franco-africain de La Baule en 1990, la fluctuation de la donne politique interne/externe de la Mauritanie a connu une sorte de nouveau départ avec lavènement de la démocratie, grâce à des réformes institutionnelles et législatives globalement limitées. La rupture avec lIrak, la souscription aux prescriptions des institutions de Bretton Woods, ladhésion au processus de Barcelone, la participation à la lutte contre le fondamentalisme, le rapprochement avec les États-Unis et la normalisation avec Israël notamment, ont substantiellement consolidé lautorité du pouvoir en place en mettant la Mauritanie dans une « prodigieuse perspective » internationale qui, malgré sa dynamique, ne tarde pas à atteindre ses propres limites. Pour une large élite issue de la communauté arabe, la continuation de la domination de la langue française dans lusage public officiel, en violation de larticle 6 de la Constitution de 1991, les arrestations massives des nationalistes arabes et islamistes et la normalisation avec Israël en particulier, ont conduit les politiques publiques, sur les plans interne et externe, vers un acharnement politique anti-arabe. De nouveau, la Mauritanie officielle, qui, au nom dune velléité darabité prétendue, a déjà été qualifiée dantagonique à lafricanité du pays, sest retrouvée ouvertement hostile à cette même arabité.

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Lopinion publique nationale, malgré un niveau élevé danalphabétisme, et en dépit des innombrables obstructions à la liberté dexpression avait, de tout temps, été très sensible aux événements de la politique internationale. Toutefois, la politique étrangère de la Mauritanie, ses moyens de mise en Suvre et son appareillage diplomatique, ont toujours été mal connus et mal appréciés de la part de cette opinion publique. Globalement, la prise de conscience de limportance de la donne internationale, imposée à notre pays par lembarras de sa condition géopolitique et stratégique, et son énorme impact sur sa politique intérieure, a toujours été sous-estimée par les pouvoirs politiques successifs.

Lélaboration dune politique étrangère est un effort intellectuel, politique et professionnel qui exige capacité et volonté. Cest un exercice complexe qui demande une préparation soigneuse, complète et discrète, tout en prenant en compte de nombreuses variables qui forment un tout interactionnel et dynamique. Elle présuppose une excellente connaissance de lenvironnement international (réalités, évolutions, changements, opportunités, menaces, etc.), et du contexte sociétal interne, un cadre institutionnel approprié et des mécanismes adéquats de mise en Suvre et de suivi évaluation. La compréhension des liens dynamiques entre le comportement interne et le comportement international font appel à de nombreux domaines dexpertise et dexpérience (politique, économie, droit, sociologie, anthropologie, etc.). La diplomatie, qui représente pour les relations internationales ce que représente la chirurgie pour la médecine, ne se limite pas à laction des ambassadeurs. À vocation multisectorielle, elle concerne tous les niveaux et tous les domaines dintérêt pour le pays en question.

En Mauritanie, lélaboration de la politique étrangère et la conduite de la diplomatie ont longtemps constitué lapanage du domaine réservé des chefs dÉtat. Sans se donner les moyens quexige la complexité de la charge selon la rigueur des normes internationales reconnues en la matière, ces chefs dÉtat ont souvent été portés à être leur propre ministre des Affaires étrangères, voire leurs propres ambassadeurs. DésSuvrés, récompensés ou exilés selon le cas, la plupart de ces derniers se sont livrés à dautres activités « subalternes » mais bien plus profitables, afin de se faire préparer des retraites dorées. En dépit de cette énorme responsabilité publique, rare sont les chefs dÉtat qui se sont donné les moyens en ressources humaines qualifiées, en ressources organisationnelles dexpertise appropriées et en ressources financières nécessaires, pour sen acquitter convenablement.

Durant 48 ans dindépendance, aucun conseil national de sécurité, aucun conseil de défense, aucun système « opérationnel » de coordination générale des politiques publiques na vu le jour auprès des 7 chefs dÉtat qui se sont succédé à la tête du pouvoir en Mauritanie. Pourtant, ce genre dorganismes, et bien dautres, qui présentent généralement une composition intellectuelle et professionnelle multidisciplinaire, assurent un rôle de  » germoir public » pour les idées, les approches, les choix et les options de politiques intérieure, étrangère et de sécurité/défense, qui sont corroborées par la divergence des doctrines, des expériences, des intérêts et des sentiments de la crème de lintelligentsia nationale qui veille sur leur fonctionnement assurant ainsi, après arbitrage, au niveau du gouvernement et du chef de lÉtat, les solutions les plus adaptées et les plus rationnelles qui sont retenues et insérées, par la suite, dans une ligne politique cohérente, dont lexécution est assurée par les administrations et les services publiques, ainsi que leurs représentants aussi bien à lintérieur quà lextérieur du pays.

Ce glissement de lexercice de pouvoir vers un seuil despotique de la politique étrangère a été très tôt amorcé à laube de lindépendance de la Mauritanie. La consolidation du pouvoir présidentiel est passée par « un double processus de concentration institutionnelle et politique ». La Constitution parlementaire de 1959 avait fait place, en 1961, à une Constitution dinspiration présidentielle. Parallèlement, le monopartisme dÉtat a supplanté le multipartisme naissant. Le PPM (Parti du Peuple Mauritanien) a été transformée en parti unique institutionnalisé par la révision constitutionnelle de 1965. Plus tard, cette tradition hautaine de gouvernance a été perpétuée, sous dautres appellations, par tous les pouvoirs qui se sont succédé dans ce pays.

Au fil du temps et des frustrations cumulées par les rendez-vous manqués avec le changement et la réforme en profondeur, lerrance de la politique étrangère mauritanienne commence à poser le problème de lengagement national, qui revêt parfois des considérations dordre moral et religieux. Il sagit de définir létendue du pouvoir dinitiative et de décision des dirigeants. Il est incontestable « quaucun gouvernement, si autoritaire soit-il ne saurait, aujourdhui, sous-estimer le concours ou laffaiblissement que peut lui apporter son opinion publique. Mais si démocratique soit-il, aucun gouvernement ne saurait non plus ignorer les limites et les conditions de lappui populaire à sa politique étrangère», comme le dit si bien Alain Plantey.

Deux exemples, témoins des contradictions de la politique étrangère de la Mauritanie et des limites de sa diplomatie, restent particulièrement édifiants à ce sujet. Lorsquen 1977 la Mauritanie, qui sétait lancée en plein dans laventure du Sahara, a été contrainte de faire appel à la France pour assurer sa défense alors que la Mauritanie venait de sortir de la révision des Accords de coopération à légard de cette puissance en 1972 , sa politique étrangère était tiraillée entre le souci de préserver le label progressiste quelle sétait forgé au sein du Tiers-monde, dune part, et la nécessité de garantir son intégrité territoriale et sa souveraineté nationale, dautre part. Plus de vingt ans après, lorsquen 1999 la Mauritanie a établi des relations diplomatiques avec Israël bien que ce choix de politique étrangère reste le moins compris et le plus contesté par lopinion publique , le nouveau gouvernement élu, et qui est actuellement en place, a hésité à nouveau encore entre le souci dune part, de préserver sur le plan international les  » avantages comparatifs » liés au maintien de cet  » acquis diplomatique », et le désir croissant, dautre part, de récupérer politiquement la satisfaction dune grande partie de lopinion publique en mettant fin aux relations diplomatiques avec lÉtat hébreux, au risque de perdre lesdits avantages.

Certes, en politique, la bonne voie nest pas toujours facile à déceler. La démarche peut être coûteuse en efforts, en temps et en sacrifices, mais une chose est incontestable: « la politique étrangère et la diplomatie saccommodent mal de limprovisation ».

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Léchec des processus de développement local et de démocratisation, la montée de lintégrisme salafiste en Mauritanie et le regain du duel géopolitique entre les puissances régionales, le Maroc et lAlgérie notamment, constituent aujourdhui, les véritables enjeux de stabilité en Mauritanie.

La Mauritanie est un vaste pays de plus dun million de km². Dans la région du Nord mauritanien, le désert constitue un véritable sanctuaire pour abriter des activités violentes et prohibées, notamment dans ce no mans land du Nord et du Nord-est mauritanien où les tracés des frontières de la Mauritanie, de lAlgérie et du Mali se perdent immuablement dans limmensité impitoyable du Sahara pour constituer un véritable « paradis » pour toutes sortes de trafics contrebandiers et illicites: armes à feu, cigarettes, drogues, etc. Depuis quelques années, il paraît quAl-Qaida/Baqmi, serait venu sajouter au concert sordide. Il semblerait quelle y avait trouvé un gigantesque bunker pour se protéger et pour lancer des assauts meurtriers contre certains objectifs bien ciblés.

Mais la réalité est que la Mauritanie nest pas le Maroc ou lAlgérie. Avec ou sans les menaces dAl-Qaida/Baqmi, notre pays ne possède pas doption sécuritaire nationale contre la menace « terroriste » quelle que soit son origine. Les errements des enquêtes sur des dossiers très sensibles comme les attaques de Lemgheyti, dAleg, dEl-Ghalawiya et, encore sur la cocaïne « aéroportée » de Nouadhibou, en constituent la preuve irréfutable. La Mauritanie na, tout simplement, jamais développée une telle stratégie. Un demi-siècle durant, aucune volonté politique réelle na vu le jour pour prendre en charge une telle responsabilité comme étant un réel besoin pour la pé
rennité de lÉtat mauritanien.

Par ailleurs, le retour à la confrontation géostratégique, directement ou par acteurs interposés, entre le Maroc et lAlgérie sur la scène mauritanienne, risque de fort de porter préjudice à la fragile intégrité territoriale de ce pays et dencourager des velléités de séparation au niveau de certaines régions de Mauritanie.

Sous certaines circonstances, les wilayas du Nord et leurs communautés, qui sont traditionnellement plus tournées vers le Maroc ou lAlgérie, comme le Tiris Zemmour, le Dakhlet Nouadhibou, lAdrar et une bonne partie de lInchiri, à moins quelles ne deviennent un gigantesque bunker pour Al-Qaida/Baqmi, risqueraient de tomber sous la domination politico-militaire de ces deux pays qui rivalisaient depuis plus de 30 ans déjà pour le contrôle du Sahara occidental voisin. Le conflit du sahara occidental ayant été la raison de presque tous les coups dÉtats en Mauritanie, les enjeux de lutte contre le terrorisme et celui de contrôle du pétrole sont venus pour sy rajouter.

A ce sujet, le récent et très médiatisé ralliement politique au Maroc dun groupe de quelques dizaines de ressortissants mauritaniens conduit par un ex. directeur général du Port de Nouadhibou a été, aux yeux de certains observateurs, un acte plus que révélateur dans ce sens. Dans la wilaya du Tiris Zemmour par exemple, la société minière nationale SNIM qui prenait en charge depuis plus de 30 ans, en lieu et place de lÉtat, lensemble des services publics dans cette région, serait en passe dêtre rétrocédée au géant mondial de l’acier Arcelor Mittal. Une fois accomplie, cette transaction risquerait de précipiter le processus de désagrégement du pays et faire basculer tout le Nord mauritanien, la wilaya du Tiris en particulier, sous domination marocaine et algérienne.

Par ailleurs, de lautre coté à extrême Sud de la Mauritanie, un drapeau malien a été hissé, en guise de mécontentement populaire, sur les locaux de la commune de Sani, lors des émeutes meurtrières de faim à Kankossa dans la région de lAssaba en 2007. Ce même scénario de désintégration territoriale et politique est bien valable pour dautres régions de Mauritanie comme celle de la Vallée du fleuve par rapport au voisin du Sénégal.

Ceci dit, quels que soient les larmes de crocodiles et les lamentations dindignation érigées en mode dallégeance politique en vogue actuellement en Mauritanie, il faudra ,tous simplement, se rendre à lévidence, pour reconnaître que notre pays ne dispose malheureusement daucune doctrine de sécurité nationale et moins encore de stratégie solidement édifiée pour la sécurité humaine de la nation mauritanienne. La notion de la sécurité nationale est restée un terme vague aux connotations dépréciatives et son interprétation politique a donné lieu à toutes sortes dabus méprisables. Longtemps, les fonctionnalités et les structures détat attribuées au secteur de la sécurité ont été confinées dans le noyau dur dun appareil répressif et discrétionnaire qui navait quune seule fonction à remplir: protéger le pouvoir contre le peuple.

Les dispositifs humains, matériels et logistiques des mécanismes de sécurité-défense et leur niveau dopérationnalité nont, à aucun moment, été constitués, mobilisés, organisés et redéployés à une échelle proportionnelle aux besoins stratégiques de lÉtat mauritanien. La responsabilité de la prise en charge des réalités sociales, économiques et politiques et des contraintes nationales humaines, naturelles, géographiques, géopolitiques, dans un processus logique assurant la sécurité humaine de la République et sa défense, apte à répondre, en cas de besoin, à des menace sérieuses comme le crime organisé, le terrorisme, les trafics illicites, lémigration, etc., a tout simplement été, dans le meilleurs des cas, une question négligée.

Cet état cruellement déplorable de la réalité déficiente des politiques de la sécurité-défense dans notre pays ne doit nullement justifier un quelconque empressement pour enrégimenter le pays dans tel ou tel dispositif militaro-sécuritaire étranger qui demeurera contesté et contestable aux yeux de lopinion publique nationale et par la classe politique intègre de ce pays.

Aujourdhui, les politiques de sécurité et de défense de la République ainsi que la conduite de sa diplomatie à léchelle internationale, qui constituent les facteurs déterminant pour notre condition dexistence et nos rapports avec les autres, sont appelées, plus que jamais, à changer de perspective et à rénover. Une véritable réforme de ces politiques touchant aussi bien le fond que la forme ne peut plus tarder. Il est temps que les dossiers de la sécurité-défense de notre pays cessent de privilégier exclusivement la sécurité du territoire et du pouvoir au détriment de la sécurité de lHomme, pour placer désormais, le citoyen, ses aspirations pour un développement durable et ses intérêts légitimes comme point de référence pour toute action publique future en la matière.

La prochaine République aura besoin dopérer une réforme dÉtat en profondeur permettant un ré-engineering idéologique, stratégique et institutionnel de ses principales fonctionnalités. Cette démarche devrait déboucher sur la création dun conseil national de sécurité et dun système opérationnel de coordination générale des politiques publiques civilo-militaires avec une méticuleuse composition intellectuelle et professionnelle multidisciplinaire. Cest dans ces « laboratoires didées et de décisions » que les approches et les options de politiques intérieure, étrangère et de sécurité-défense seront scrupuleusement initiées, confrontées et corroborées par la divergence des doctrines et la multiplicité des expériences de la crème de lintelligentsia nationale qui veille
sur le bon fonctionnement de ces institutions. Après arbitrage, au niveau du gouvernement et du président de la république en dernier recours, les solutions les plus adaptées et les plus rationnelles qui seront retenues sont insérées dans une ligne politique cohérente dont lexécution est assurée par les administrations et les services publics civils et militaires, ainsi que par leurs représentants aussi bien à lintérieur quà lextérieur du pays.

La vie dune nation ne sarrête pas à une situation figée. Ses rapports avec les autres se poursuivent, sétendent et se modifient. Il en résulte une série indéfinie dactions et de réactions qui, certaines causées, dautres voulues, doivent toutes être ordonnées et coordonnées pour constituer une politiques étrangère au service de laquelle se placent les moyens et les actions des diplomaties, aussi bien la diplomatie classique que les diplomaties parallèles, entendues comme étant la science et lart des rapports entre les États et les peuples.

Bien évidemment, il ne sagit pas de nourrir des illusions. Dans linfernale compétition internationale, que les phénomènes trans-étatiques de la mondialisation (crime organisé, terrorisme, trafics illicites, migration, etc.) ne cessent de nourrir, « la nation qui ne manSuvre pas est aussitôt dominée par la manSuvre dune autre ». Le seul espoir raisonnable est que la rationalité des politiques tende à la conciliation des rivalités plutôt quà laggravation des antagonismes.

Par Mohamed Saleck Ould Brahim, chercheur, ADECA-CMRDEF (Nouakchott: www.adecarim.org),

Membre rédacteur du Réseau MULTIPOL (Genève: www.blog.multipol.org).

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