Comment les Tunisiens financent-ils les études supérieures de leurs enfants à l’étranger ?

La dégringolade du dinar et la tendance à la hausse des frais d’inscription des étudiants tunisiens à l’étranger ont créé une onde de choc auprès des parents particulièrement de classe moyenne. Alors même que la Banque Centrale de Tunisie (BCT) fixe le montant de l’allocation réservée aux étudiants au titre des frais de séjour à 3.000 dinars par mois, soit la contre-valeur de 890 euros, comment ces Tunisiens se démènent-ils pour accomplir le rêve de mobilité internationale de leurs enfants ?

Financer les études universitaires de ses enfants à l’étranger est l’un des investissements les plus importants pour les parents tunisiens. C’est aussi une de leurs préoccupations les plus fondamentales puis qu’ils se trouvent aujourd’hui confrontés à une dépréciation vertigineuse du dinar face à l’euro et au dollar induisant une insuffisance totale de l’allocation avec laquelle l’étudiant pourra vivre à l’étranger.

Selon la circulaire relative aux transferts à titre de frais de scolarité au profit des étudiants à l’étranger et entrée en vigueur le 1er janvier 2015, une allocation mensuelle de 3.000 dinars au titre des frais de séjour de l’étudiant est prévue en faveur des Tunisiens poursuivant leurs études à l’étranger. Insuffisante ? Plutôt insignifiante. Une somme censée permettre à l’étudiant de couvrir ses dépenses courantes comme celles relatives au loyer, au transport ou à l’alimentation.

En prenant en considération la dépréciation progressive du dinar vis-à-vis de l’euro et du dollar, on comprend aisément que cette somme équivalente à 890 euros par mois ne lui suffit même pas pour payer son loyer dans la plupart des capitales européennes. De ce fait, les parents tunisiens qui ne bénéficient pas d’une antenne familiale ou amicale à l’étranger sont confrontés à une quasi-impossibilité de financer les dépenses de leurs enfants à l’étranger.

Les subterfuges des parents tunisiens

Pour contourner la réglementation sur l’exportation des devises de la BCT jugée trop restrictive, plusieurs parents ont pris la décision d’user de parades pour subvenir aux besoins de leurs enfants à l’étranger.

Père de deux enfants, une fille qui étudie à Paris et un garçon à Tunis, Moonem, Directeur Général d’une entreprise, a beaucoup de mal à s’en sortir. « Mes parents sont eux-aussi impliqués dans le financement des études de ma fille. Ils ont même vendu un lopin de terre pour nous permettre de financer ses études universitaires en France. Parfois, nous avons recours à une tierce personne qui vit en France pour dépanner ma fille, puis à Tunis nous le remboursons », a-t-il déclaré, tout en critiquant le montant de l’allocation des étudiants qualifié de « ridicule ».

Quant à Ahmed, journaliste, il finance les études de ses deux filles qui exercent des petits boulots pour subvenir à leurs besoins quotidiens. « En France, des étudiants se rassemblent dans un même logement pour que l’un d’eux puissent louer son appartement sur Airbnb et gagner ainsi de l’argent qu’il partagera ensuite avec les autres. L’entraide peut être source de revenus mais la précarité est très perceptible » a-t-il avancé. Il a également évoqué un subterfuge pour déjouer la réglementation de la BCT consistant à demander l’aide d’amis chefs d’entreprises totalement exportatrices qui jouissent de moyens de contourner la loi sur l’exportation de devises.

Interrogé sur la manière dont il budgétise les frais de ses deux filles à l’étranger, Kais qui travaille dans le domaine informatique, a répondu que « budgétiser ce type de dépenses est très aléatoire car cette opération nécessite de multiples acrobaties. Je remercie mon réseau d’amis à l’étranger car ils ont toujours répondu présent lorsqu’une de mes filles avaient besoin d’aide financière », ajoutant qu’il ne lésinera pas sur les moyens pour financer au mieux les études de ses filles.

Situation encore plus compliquée pour les étudiants tunisiens en France

En France où les étudiants étrangers sont déjà confrontés à un grand nombre de difficultés administratives, une décision gouvernementale datant du 20 novembre 2018 est venue aggraver davantage la situation. La multiplication par 16 des frais d’inscription des « étudiants extracommunautaires » annoncée par le Premier Ministre français, Edouard Philippe en France concernera 13 mille étudiants tunisiens.  Ils devront désormais se serrer davantage la ceinture s’ils veulent continuer leur parcours universitaire en France.

Ainsi, si l’étudiant était déjà inscrit dans un établissement public en 2018/19 et qu’il reste dans le même cycle universitaire, le montant des frais d’inscription ne changera pas. Si l’étudiant arrive à la rentrée 2019 ou qu’il change de cycle, d’autres tarifs beaucoup plus exorbitants s’appliqueront en vertu de cette nouvelle politique gouvernementale : 2.770 euros en Licence contre 170 euros aujourd’hui et 3.770 euros en Master et Doctorat contre 243 euros en Master et 380 euros en Doctorat actuellement.

Une mesure qui va accentuer la précarité des étudiants africains en France, premières victimes de cette décision gouvernementale.

La BCT appelée à réviser à la hausse les allocations estudiantines

En 2015, une décision faisant état d’une augmentation des montants relatifs aux transferts à titre de frais de scolarité au profit des étudiants à l’étranger avait vu le jour sous la gouvernance de Chedly Ayari. Selon la circulaire N°2015 – 08, le montant de l’allocation annuelle à titre de frais d’installation est passé de 3.000 à 4.000 dinars et celui de l’allocation mensuelle à titre de frais de séjour est passé de 2.250 à 3.000 dinars.

Néanmoins, le cours de change d’un euro est passé de 2,180 dinars en janvier 2015 à 3,370 dinars actuellement, soit un manque de revenus de 480 euros (1.600 dinars) en trois ans, sans compter l’inflation.

A cet effet, un collectif des parents compte remettre au Gouverneur de la BCT une pétition, réunissant plus de 2.000 signatures, pour demander la révision à la hausse d’au moins 1.500 dinars du montant de l’allocation estudiantine. La pétition indique que « Aujourd’hui, avec la dévaluation du dinar, un étudiant ne peut vivre décemment avec moins de 900 euros en Europe ou en Amérique du Nord. Nos enfants n’arrivent plus à assurer le minimum vital en nourriture et soins médicaux. Psychologiquement, cette situation affecte également leurs études ».

Selon nos sources, et indépendamment de ladite pétition, la BCT s’apprête à publier une circulaire portant sur l’augmentation de l’allocation allouée aux étudiants tunisiens à l’étranger, une décision cruciale attendue le 1er janvier 2019. Notre interlocuteur tient à préciser, par ailleurs, que la BCT avait accordé des allocations estudiantines supplémentaires sur demande des étudiants qui présentent un dossier prouvant que leurs dépenses mensuelles dépassent l’équivalent de 3.000 dinars.

Khawla Hamed

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