Fouzia : “10 ans dans la clandestinité” au Maroc
Brillante étudiante, Fouzia avait tout pour réussir. Issue d’une famille de résistants, elle a dû vivre cacher pendant 10 ans.
“Je voulais que le Maroc change. Je ne regrette pas mon engagement mais j’ai gaspillé 10 ans de ma vie. Nous, les clandestins et les détenus, on ne méritait pas ça : 10 à 15 ans de détention pour les uns, l’exil pour les autres ou la clandestinité…”, raconte Fouzia, aujourd’hui âgée de 54 ans.
Brillante étudiante, elle est issue d’une famille de résistants. Le père, le frère, l’oncle, le beau-frère, tous avaient des activités qui ne plaisaient guère à Hassan II. “J’étais régulièrement invitée au commissariat”, se souvient Fouzia qui était très liée, elle aussi, à la gauche marocaine par l’intermédiaire de son mari. “Je faisais partie du syndicat des élèves. On organisait beaucoup de grèves. Une de mes camarades a été violée un jour et je l’ai cachée. J’appartenais aussi au Mouvement marxiste-léniniste du 23 mars”.
En décembre 1974, le mari de Fouzia est arrêté. C’est l’année où la jeune femme prépare son bac mais elle est surveillée. Elle n’a aucune nouvelle de lui. “Ce n’est qu’au bout de 6 mois que j’ai su qu’il avait été détenu et torturé au Commissariat de Derb Moulay Cherif à Casablanca avant d’être transféré dans une prison civile. Là, j’ai pu le revoir. Je lui apportais régulièrement de la nourriture. Un jour, un de ses amis m’a demandé de faire entrer une lettre sur le Sahara dans la prison. Je l’ai dissimulée dans de la nourriture mais les gardiens l’ont découverte. J’ai dû m’enfuir. Un membre du mouvement m’a trouvé une planque mais je ne voulais pas vivre ici. J’ai essayé de mourir en buvant du détergeant. J’ai appris que ma mère avait été interrogée et que la bonne avait été violée devant elle. Un avis de recherche avait été lancé”.
La vie de Fouzia a basculé dans la clandestinité. Pendant plus de 10 ans, elle va changer de “planque”, de coiffure, elle va devenir la « sœur » d’un compagnon avec qui elle partagera 7 ans de clandestinité. “Pendant toutes ces années, je n’ai vu ma mère que 4 fois. Elle était suivie. Les avis de recherche existaient toujours mais la tension se relâchait. J’ai poursuivi mes activités pour une organisation féminine démocratique et indépendante des partis. Je me suis engagée pour le cinéma, l’alphabétisation des femmes marocaines”, poursuit Fouzia. Ce n’est qu’à la libération de son mari en 1983 que la jeune femme peut revenir chez elle. Là, elle découvre que son mari veut divorcer et que sa vie doit repartir à zéro. “J’ai repassé mon bac et je l’ai eu cette fois ! J’ai voulu partir étudier en France mais le gouvernement marocain m’interdisait de quitter le pays et d’avoir un passeport pour des raisons politiques bien sûr. J’ai quand même fait une licence d’histoire-géographie que j’ai eue avec mention”. Mais pendant 12 ans, cette femme brillante va devoir tout abandonner pour s’occuper de sa mère devenue hémiplégique. “Ma famille m’a fait plus de mal que l’Etat. Ils ne m’ont pas aidée, ils m’en voulaient et m’ont laissée m’occuper seule de ma mère. Je voulais refaire ma vie mais je n’ai pas pu. J’ai beaucoup regretté de ne pas avoir d’enfants mais mon mari m’avait fait avorter au tout début pour que nous puissions nous occuper de nos actions… Le centre d’accueil m’aide beaucoup, c’est un soulagement d’être prise en charge. On peut parler entre nous de ce que l’on a vécu. Moi, j’ai été victime d’une torture psychologique : interdiction de voyager, d’étudier. Je suis devenue clandestine à 18 ans et il y avait peu de femmes dans cette situation. Mais cela a duré trop longtemps”.
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