Enquête sur le rôle du Maroc chez les belgo-marocains !
Les Belgo-Marocains, une communauté sous influence ?
Le royaume du Maroc exerce-t-il toujours sur les citoyens marocains de Belgique une influence sournoise ? Tente-t-il de les contrôler ?
Enquête de Baudouin Loos, à lire dans « Le Soir » de ce week-end
Le « makhzen » – comme on appelle les institutions pyramidales marocaines depuis le roi jusqu’au plus petit fonctionnaire – exerce-t-il encore une influence sournoise et redoutable sur la communauté marocaine de Belgique comme ce fut longtemps la règle ? Plongée dans un monde où le non-dit doit souvent encore être dit. Combien sont-ils ces Marocains de Belgique – dont une majorité possède la double nationalité ? Les chiffres se révèlent peu précis.
Les sources varient entre 200.000 et… 400.000. Ils pèsent un poids considérable, de toute façon. Les grosses vagues d’immigration se situèrent entre 1964 et 1974. La grande majorité des Marocains venaient du nord du pays, du Rif déshérité. Le royaume alors cher à Hassan II va chercher à exercer un certain contrôle sur cette population. Ce fut d’abord le temps des « amicales ». « C’étaient des sortes d’associations à la solde du régime, composées le plus souvent d’ouvriers analphabètes, encadrés par des gens qui écrivaient des rapports. On y dénonçait surtout les gauchistes » : le journaliste sexagénaire Ahmed Oubari, arrivé en Belgique à 20 ans de Casablanca en 1965, se souvient bien de cette époque. « L’ennemi des progressistes comme moi, c’étaient ces amicales, mais aussi les mosquées et les fonctionnaires marocains de la Banque populaire ou de la RAM » (la compagnie aérienne). Mais les amicales ont beaucoup perdu de leur lustre. « Les amicales, c’est fini, estime même l’économiste Mohamed Battiui, 48 ans, arrivé chez nous en 1984 de Nador après avoir été torturé pour activités syndicales à l’université et qui n’est jamais retourné au pays.
Elles en étaient arrivées à même être critiquées par les éléments modernes du makhzen. Il faut dire qu’elles avaient volontiers recouru à la violence pour saboter des colloques, des conférences. » Pour remplacer les « amicalistes » déchus, le régime a notamment inventé à la fin des années 80 la Fondation Hassan II, chargée d’organiser des activités sociales et culturelles pour les communautés marocaines à l’étranger. « Vous comprenez, explique Fouad Mejlaoui, son représentant, le Maroc entrait dans une phase d’ouverture alors que les amicales n’entendaient guère s’adapter.
Parmi elles, c’est vrai, certains avaient abusé de la situation, par exemple pour grappiller des passe-droits. » Mais il n’y a pas que la Fondation Hassan II. « Le makhzen s’est tourné vers les élus dans les instances belges qui avaient comme terreau électoral la communauté marocaine, reprend Mohamed Battiui. Il a domestiqué les élites politiques issues de l’immigration marocaine.
Quasi tous les élus sont loyaux au makhzen. C’est dangereux car ils font passer le régime marocain comme fréquentable, or il n’a pas changé. » Une opinion tranchée. Que tout le monde, certes, ne partage pas. L’immigration a produit au plat pays un nombre important d’élus, favorisés par le système électoral proportionnel. Ainsi, à la Région bruxelloise, sur 89 députés, 24 sont d’origine non européenne (et 14 d’origine marocaine). Le PS possède de loin le plus d’élus, mais le MR entretient de bonnes relations avec le Maroc comme en atteste une proposition de résolution, en 2007, qui appuyait la position marocaine sur le Sahara occidental.
L’éventuelle loyauté au makhzen d’élus belges, qui supposerait une double allégeance, voire le primat de l’allégeance marocaine, fait grincer des dents. Tout en étant contestée. « A ma connaissance aucun élu d’origine étrangère n’a jamais crié “België barst !” (Belgique crève !), s’exclamait sur le site wafin.be il y a juste un an Rachid Madrane, ex-député régional PS et échevin à Etterbeek. Les extrémistes séparatistes flamands ont-ils également une double allégeance ? Leur a-t-on d’ailleurs jamais posé cette question ? Tout ceci ne vise qu’à jeter la suspicion et le discrédit sur une minorité d’élus. (…) » La députée bruxelloise SP.A Yamila Idrissi réfute également les accusations de double allégeance.
Dans son cas, certains critiquaient son appartenance depuis 2008 au Conseil de la communauté marocaine de l’étranger (CCME) créé à Rabat le 7 février cette année-là. « Il n’y a aucune incompatibilité. Au Conseil, je ne fais que donner des simples avis sur des sujets liés à l’identité ou à la culture. Il s’agit d’un mandat de trois ans et je ne perçois aucune rémunération », disait-elle en 2009 sur le blog parlemento.com. Mais là où l’élue ne voyait « aucun conflit d’intérêts », des esprits chagrins pointaient les statuts du CCME, comme l’article 9 qui précise que « les membres du Conseil doivent assumer les fonctions qui leur sont dévolues avec fidélité, impartialité et dévouement pour la défense des intérêts suprêmes de la Nation ». La nation marocaine, s’entend… Un observateur attentif de la scène politique issu de l’immigration saute sur l’exemple : « C’est en raison de ce genre d’ambiguïté qu’il existe en Belgique une méfiance générale vis-à-vis des Marocains et d’ailleurs aussi des Turcs : veulent-ils infiltrer la police ? Qui succombe à la tentation ? Qui est approché ? Qui est retourné ? Ces questions se posent. » Et d’évoquer entre autres des invitations suspectes au Maroc dont les élus d’origine marocaine feraient l’objet. En 2000, en tout cas, un groupe d’élus issus de l’immigration avait accepté un tel voyage au pays.
Dans la presse marocaine d’alors, les choses apparaissaient clairement : « Les membres de la délégation, lisait-on dans l’officiel Matin du Sahara du 9 avril, ont exprimé, de leur côté, leur volonté d’apporter leur soutien s’agissant de la défense des intérêts du Maroc auprès des instances européennes (…).
La délégation comprend sept parlementaires et conseillers communaux belges d’origine marocaine (…). » Un élu qui possède la double nationalité mais qui ne risque pas de se retrouver dans pareille équipée s’appelle Fouad Lahssaini. Pour ce député national Ecolo, « il est dommage que beaucoup d’élus issus de l’immigration n’ont pas envers l’avenir du Maroc une position consistant à promouvoir la démocratie et une économie saine, car le makhzen, relais du conservatisme et du chauvinisme au Maroc, paralyse le développement et la vision des Lumières. Or les Marocains ici ou là-bas n’attendent que cela : la démocratie et la transparence ».
Il faut garder le minaret au milieu du village ! C’est important, car il est facile de tomber de l’autre côté de la barrière si on n’a pas un bon centre de gravité, et alors on risque de devenir plus marocain que le roi ! » A quoi un Belgo-Marocain « qui veut juste assumer ses origines » répond : « A gauche, on accuse vite d’être “agent du makhzen” celui qui ne multiplie pas les critiques contre l’Etat marocain… » Si des tentatives d’influence peuvent émerger à travers les élus, la communauté marocaine de Belgique, ou une partie d’entre elle, semble par ailleurs rester sous la coupe d’une crainte immanente, celle de la « main invisible » du makhzen, qui la menacerait en permanence. « A côté des interventions et de l’influence de l’ambassade et du consulat, la peur reste dans les esprits, atteste ce journaliste tout juste quadragénaire et doctorant à l’ULB : On a presque tous peur d’avoir des ennuis quand on rentre au Maroc, voire d’être harcelés ou même emprisonnés, même s’il n’y a plus de pressions directes. Les peurs sont restées, surtout ici, plus qu’au Maroc où la population sait que les choses ont évolué. » « L’ambiance générale reste un peu crispée, confirme Nordine Saïdi, 32 ans, éducateur et militant pour l’autodétermination des peuples. Il y a des critiques dont il convient toujours de s’abstenir.
Alors que j’assistais à une réunion de famille chez des amis, un groupe d’hommes évoquait avec passion tout ce qui ne tournait pas rond au Maroc ; quand je leur ai demandé pourquoi ils ne liaient pas cela à la mauvaise gouvernance au Maroc, le silence s’est fait, leur regard en disait long : pas agressif mais gêné… » Parmi les éléments qui génèrent les peurs, diffuses mais bien réelles, on ne manquera pas de relever l’activité des services secrets marocains en Belgique.
En cause, surtout, les activités de renseignement qui concernent les islamistes radicaux. Les « services » belges et marocains travaillent le plus souvent en bonne harmonie, mais une grosse crise avait éclaté en 2008 quand trois agents du DGED (service marocain d’espionnage) ont indisposé les Belges pour leur « ingérence » et autres « activités hostiles », selon les dires mêmes du chef de la Sûreté belge, Alain Winants, qui avait exigé le rappel de ces hommes au Maroc. La DGED aurait, depuis lors, fermé sa représentation officielle à Bruxelles (1). Tout cela n’a pas empêché l’ambassadeur marocain à Bruxelles, Samir Addahre (qui a poliment refusé de répondre à nos questions), de choisir en septembre dernier Le Vif/L’Express pour dire que des « poseurs de bombes » étaient venus de Belgique, où « l’intégrisme a pris pied », et pour suggérer tout simplement que, « dans le cadre d’une action concertée, le Maroc encadre la communauté marocaine de Belgique, en conformité avec les valeurs de tolérance et d’ouverture que nos deux pays partagent ».
Le renseignement n’est pas toujours professionnel. De simples citoyens belgo-marocains peuvent à l’occasion jouer aux indicateurs, ce qui entretient du reste la phobie ambiante. « Le régime a toujours ses relais, commente notre confrère Ahmed Oubari.D’ailleurs, beaucoup de Marocains sont volontaires, ils veulent être bien vus pour différentes raisons : par patriotisme, pour les honneurs, des intérêts commerciaux ou même de petits trafics à protéger. Tout n’est pas honteux ou illégal : on peut être pro-Maroc sans être un vrai espion. » Et on peut notamment épouser les grandes causes nationales, comme celle du Sahara occidental (cet immense territoire occupé par le Maroc depuis 1975 et revendiqué par le Front Polisario, un mouvement indépendantiste) : « En 2008, j’ai été invité à une conférence pour parler de la position belge sur le Sahara occidental, témoigne le député Fouad Lahssaini ; 90 % du public était composé de perturbateurs qui chahutaient, qui filmaient les gens pour mettre ça sur internet ; j’ai été traité de traître, plus tard j’ai même reçu des menaces de mort. » Comme au bon vieux temps des amicales qu’on croyait obsolètes…
Source: le Soir.be
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