Les prisonniers que je connais

Des femmes, des hommes, des vieux, des presque enfants, sans distinction d’âge ni de sexe, avec cruauté; sans temps ou pour tout le temps. Ainsi ce sont les sentes circulées par les prisonniers que je connais.

Ali Salem Tamek est sahraoui; depuis qu’il avait 20 ans il est entré et sorti (j’ai perdu le compte des fois) des immondes prisons du Maroc, celles qui sont réservées pour ceux qui décident de se battre pour l’indépendance du Sahara Occidental. Quand je l’ai connu, j’ai pu voir les marques qu’il avait dans les bras, les traces indélébiles des tortures « sanitaires » appliquées par les sbires de la monarchie alaouite.

Il ne parlait pas espagnol, mais il a su dire un mot : Révolution, c’est la signification du prénom que son épouse (violée par cinq gendarmes marocains à la fin de l’une de ses visites à la prison) et lui ont décidé de donner à leur fille, Thawra.

Brahim Noumria est sahraoui aussi, mais, contrairement à Tamek, il souriait beaucoup. Il fumait et savait maintenir la cigarette avec les lèvres pendant qu’il préparait le thé pour tous, y compris son compagnon Brahim Dahan, depuis un an, qui partage la prison avec Tamek sous la menace d’être condamnés à mort par un tribunal militaire.

Quand il riait (c’est-à-dire, toujours), on remarquait une denture malade chez Noumria; un de ses compatriotes m’a raconté qu’il n’y a pas de médecins pour les sahraouis dans les prisons du Makhzen et que, en étant dans la prison, la bouche de Noumria s’était si infectée qu’une vieille, prisonnière comme lui, lui avait recommandé de mettre de l’urine dans sa bouche pour pouvoir alléger la douleur et l’inflammation. L’un des compagnons de cellule l’a fait, mais il n’a pas pu guérir le mal qui s’était emparé de ces dents et gencives.

Hasam Rimawi, palestinien, est entré dans la prison à l’âge de 18 ans et, avec à peine 21 ans, il parlait avec la fermeté de ceux qui savent que sa vie ne finit pas en années et qu’elle ne leur appartient pas non plus en exclusivité. Avec l’emphase qu’il mettait à chaque mot, Hasam reflétait la détermination du peuple de la Palestine pour défendre son histoire, sa terre et, en somme, son existence, face à un ennemi beaucoup plus puissant en armes, mais incapable de le vaincre. Un ami journaliste l’a invité à dire un prénom et il a presque crié : « Jamal au-Durrah (1), un symbole de ce que l’armée israélienne fait en Palestine. « Contre cette armée et ses chars, beaucoup de jeunes et enfants lançons des pierres et, à cause de cela, ils nous accusent et nous mettent en prison ». Un jour il a entendu parler de Cuba et alors il a dit : « Fidel est de là-bas ».

Aminatou et eux

Cela pourrait bien être un chêne, mais il s’agit d’une femme, forte et aimable dans des proportions identiques. Mince, avec la peau couleur cannelle et des yeux extrêmement fragiles à cause du bandage que ses géôliers marocains lui faisaient porter pendant les quatre ans qu’ils l’avaient fait disparaître.

Je l’ai physiquement vue une dernière fois le 6 novembre dernier et alors je n’ai pas pu imaginer qu’une semaine après plusieurs de ceux que partageons le travail avec elle ce jour-là allions être dans les rues pour exiger aux Gouvernements d’Espagne et du Maroc de la libérer de son assignation à résidence à Lanzarote et la laisser retourner à El Aaiún, avec ses enfants et son peuple.

Aujourd’hui, presqu’un an plus tard, pendant que je sauve ces souvenirs des prisonniers que je connais, je pense aux 3.500 victimes des attentats terroristes contre Cuba. Je pense aussi à plus de 2 mille victimes avec des séquelles permanentes qui s’ajoutent à ces crimes. Je pense à Girón, au blocage.

Je pense à Elián González et à la terrible histoire de la Loi d’Ajustement cubain; aux diplomates assassinés, au touriste italien qui est mort après l’explosion d’une bombe dans un hôtel de La Havane. Je pense à la dure mission que Les Cinq ont accepté d’entamer; à ceux qui ont découvert et ont pu freiner; aux vies qu’ils ont sauvées.

Je pense à leur jugement et à leurs condamnations; je pense au trou, où il ne doit pas y avoir du temps et où chaque minute doit durer tout le temps, je ne sais pas.

Eux, par exemple, je ne les connais pas; par contre je sais qu’ils sont beaucoup plus libres que leurs géôliers; qu’ils jouissent de la liberté de résister, de la liberté d’être dignes, de la liberté d’être loyaux à leur peuple et à la Révolution qui les a illuminés.

Les Cinq, en s’y penchant, ressemblent beaucoup aux prisonniers que je connais. Tous ensemble, aux côtés de millions de personnes qui dans le monde exigent le retour à Cuba d’Antonio, René, Fernando, Ramon et Gerardo, partagent une liberté que je n’ai pas citée : se battre.

Note :

(1) Muhammad Jamal au-Durrah, l’enfant palestinien assassiné par l’armée israélienne dans la Bande de Gaza, le 30 septembre 2000, dans les premiers jours de la Deuxième Intifada.

M.L. Gonzalez

Rebelion, 13/9/2010

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