Sankara prend la parole à l'ONU: Discours historique mais d'actualité

04 octobre 1984, Thomas Sankara prend la parole à lONU : Historique

Figure incomparable de la politique africaine et mondiale [1949-1987], radicalement insoumis à tous les paternalismes et docilisations pourtant plus sûrs placements en longévité politique
post-coloniale, Thomas Sankara a légué aux générations futures la verve et
lénergie de lespoir, lemblème de la probité et la conscience historique de
linaliénabilité de la lutte contre toutes oppressions. Prononcé lors de la 39ème Session de lAssemblée Générale des Nation-Unies, le 4 octobre 1984, ce discours historique à nen point douter, mérite de constituer lhumus fertilisant des nouvelles consciences en mouvement, avides de justice, de liberté, denrichissements mutuels.
« Permettez, vous qui mécoutez, que je le dise : je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.
Je parle au nom de ces millions dêtres qui sont dans les ghettos parce quils ont la peau noire, ou quils sont de cultures différentes et qui bénéficient dun statut à peine supérieur à celui dun animal.
Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves, afin quils naspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse senrichir en convolant en noces heureuses au contact dautres cultures, y compris celle de lenvahisseur.
Je mexclame au nom des chômeurs dun système structurellement injuste et
conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.
Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent dun système
dexploitation
imposé par les mâles. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à lépanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage, à tous les pays, lexpérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de lappareil dEtat et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous, que lesclave qui nest pas capable dassumer sa
révolte ne mérite pas que lon sapitoie sur son sort.
Cet esclave répondra seul de son malheur sil se fait des illusions sur la condescendance suspecte dun maître qui prétend laffranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sSurs de toutes les races pour quelles montent à
lassaut pour la conquête de leurs droits.
Je parle au nom des mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant quil existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou dhommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et dune régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par lOMS et lUNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.
Je parle aussi au nom de lenfant. Lenfant du pauvre qui a faim et louche furtivement vers labondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une épaisse vitre. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier placé là par le père dun autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que présentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système.
Je parle au nom des artistes poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour lalchimie des prestidigitations du show-business.
Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage.
Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de lesclavage moderne.
Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de lhumanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes.
Cest pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons dune science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions dhommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim&
Je mélève ici au nom de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils pourront faire entendre leur voix et la faire prendre en considération, réellement. Sur cette tribune beaucoup mont précédé, dautres viendront après moi. Mais seuls quelques-uns
feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre. Oui, je veux donc parler au nom de tous les « laissés pour compte » parce que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne mest étranger ».
Critic Afric, 9/8/2010

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