Souvenons-nous en encore et toujours 5 Juillet : Fête de lindépendance et de la jeunesse

Par Achour Cheurfi

Cest aussi le moment de se rappeler que cette Algérie nouvelle qui avance sur le chemin de la justice sociale, du droit, de la démocratie, tenant compte des mutations mondiales, na été possible que grâce à une forte résistance contre loccupant étranger qui na pas cessé, 132 ans durant, de piller, de détruire, de tuer, dhumilier. Oui, lenfer colonial na été surmonté quau prix de grands sacrifices qui peuvent paraître inimaginables aujourdhui. Lacte de se souvenir est dautant plus important que les traumatismes de cette période travaillent encore la société et que de lautre côté, lon tente non seulement de minimiser les crimes commis, mais de les présenter, sans aucune indécence, au mépris de la mémoire et de lhistoire, comme une « Suvre positive ». Il sagit moins détablir un quelconque bilan ou de faire le point sur l’évolution du pays et de sa relation avec la France, que de rappeler quelques-uns des événements terribles dont la société algérienne porte encore les stigmates, difficiles à surmonter, parce que lourds, malicieux, ravageurs, complexes, tenant à la fois du matériel et de limmatériel, du social et du psychologique.
Souvenons-nous en
 Lun des principaux mythes fondateurs de lAlgérie française fut le légendaire coup déventail que le dey Hussein donna, le 30 avril 1827, à Alger, au consul français Deval. Lincident servit de prétexte à loccupation du pays, trois ans& plus tard. Tous les ouvrages dhistoire ainsi que les manuels scolaires français retiennent cette date et ne retiennent de lévénement que son caractère passionnel, omettant sciemment dexposer les causes du différend qui remontent à lannée 1794, quand la France, attaquée de tous côtés, son territoire envahi sur plusieurs points, son peuple et son armée risquaient d’être affamés, ne trouva secours quauprès de lAlgérie dont le dey offrit à la Convention toutes facilités pour faire ses achats de blé à crédit, et sans intérêt sil vous plaît ! Trente et un ans plus tard, non seulement la dette nest pas honorée, mais en cette même année 1827, le dey découvrit un fait bien plus grave encore, où la perfidie du gouvernement français dépassait toutes les bornes. A l’extrémité Est du pays, sur un point du littoral dEl Kala, lAlgérie a accordé à la France la concession d’un entrepôt commercial qui ne doit en aucun cas être fortifié. Or, cette représentation commerciale a été transformée en forteresse. Le dey, qui venait de l’apprendre, a demandé des explications dabord écrites puis verbales à Deval, lequel nayant pas de valables à fournir, le prit de haut. Voilà comment la France affamée par l’Angleterre a récompensé lAlgérie, sa bienfaitrice ! Exaspéré par lattitude arrogante du consul, le dey s’emporta, injuria, et finalement donna au « représentant de la France » un coup de son chasse-mouche. Avec tout le poids de la mauvaise foi et du mensonge, mobilisant tout ce quil comptait comme hommes politiques, journalistes, écrivains, le gouvernement français jurait quil allait châtier le dey coupable d’avoir « injurié la France » ! Car, à lévidence, l’« honneur de la France » ne consistait pas à payer ses dettes le plus vite possible, l’«honneur de la France » ne consistait pas à respecter la parole donnée ; l’« honneur de la France » consistait à frapper celui qui lui reprochait ses actes déshonorants. LHistoire a une suite que nous connaissons bien : le caractère prédateur (et génocidaire) de lentreprise coloniale qui a débuté par le hold-up du trésor dAlger, estimé par Pierre Péan, auteur de Main basse sur Alger (Plon, 2004), à plus de 500 millions de francs de l’époque (léquivalent de plus de 4 milliards d’euros) amassés pendant des siècles et qui a continué durant 132 ans, instaurant un système qui ne diffère en rien de lesclavagisme ; un système dont les crimes sont aussi innombrables quinnommables et que la France républicaine repue défend et nous invite même à lui présenter nos excuses pour les forfaits commis. Oui elle nous incite à lui dire tout simplement : Merci pour nous avoir tué, humilié, pillé, saccagé, aliéné, sans jamais rendre compte devant aucun tribunal, sauf bien évidemment celui de lhistoire.
Le Bilan, quel bilan ?
Est-il possible détablir un bilan de 132 ans de colonisation ? Le prétendre relèverait quasiment de lirrationnel et de labsurde. La densité des humiliations sur une période aussi longue dune nation réduite à lesclavage par la barbarie coloniale nest ni quantifiable ni même imaginable quand on pense aux traumatismes profonds qui continuent à ronger la société algérienne, cinquante après sa libération du colonialisme. Mais sur le terrain des chiffres, hommes politiques, historiens et économistes, ont apporté une contribution non négligeable afin dapprocher la vérité sur les séquelles du fait colonial. Dans un éditorial dun numéro spécial de Jeune Afrique daté de juillet 2002, le Président Abdelaziz Bouteflika a dressé le tableau suivant en ces termes : « Souvenons-en : en 1962, mon pays comptait en tout et pour tout 2600 bacheliers, dont 900 en cours de formation universitaire, pour faire fonctionner une nation de 10 millions dhabitants, répartis sur un territoire de près de 2,5 millions de km2. Voilà pour lactif. Le passif est autrement plus accablant : 1,5 million de martyrs, 200.000 disparus, sans tombes sur lesquels nous puissions nous recueillir et faire notre travail de deuil, près de 8000 villages brûlés, 85 % danalphabètes& En 1962, le trésor public affichait un solde négatif de 240 milliards de centimes. A titre de comparaison, le Ghana enregistrait, au moment de son indépendance, un solde positif de plus de 400 millions de livres sterling. Bref, mon pays était exsangue, sous-administré. Tout, absolument tout, était à faire. » Oui, voilà seulement en quelques lignes, le triste bilan qui donne une idée sur ce que la France coloniale a laissé à lAlgérie indépendante. Bien entendu, nous pouvons ajouter dautres chiffres aussi terrifiants les uns que les autres, comme les 100.000 victimes des essais nucléaires (1), les 20.000 victimes des mines antipersonnel (dont la liste continue de sallonger aujourdhui même) (2), les 1.300.000 Algériens arrêtés et détenus, soumis à des travaux forcés ou assignés à résidence, 80.000 réfugiés, sans parler des camps de concentration ou de « regroupement » (3), des milliers de veuves et dorphelins, de femmes violées, de torture systématique et dexécutions sommaires. Bien entendu, ce « bilan » se limite aux huit années de guerre (1954-1962).
Souvenons-nous en encore
Le chef de lEtat na pas cessé dinviter la France à présenter des excuses pour les exactions quelle a commises durant la colonisation. Réagissant publiquement à l’adoption, en février 2005, par le Parlement français, d’une loi qui fait lapologie du colonialisme, il a qualifié celle-ci d« acte de cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme car le colonialisme constitue l’un des plus grands crimes contre l’humanité que l’Histoire a connus. » Lors d’un discours prononcé à Sétif sur les massacres du 8 mai 1945, le Président Bouteflika a parlé de loccupant qui a voulu anéantir lidentité algérienne, faisant que « nous nétions ni Berbères, ni Arabes, ni musulmans, nous navions ni culture, ni langue, ni histoire », et évoqué les « fours de la honte installés dans la région de Guelma, fours identiques aux fours crématoires des nazis ». Parce que lAlgérie évoque des faits et des vérités vécus dans sa chair, elle réclame
et exige des excuses publiques et solennelles. De même que la récupération de son patrimoine archivistique et archéologique. Quest-ce quil y a de si inconvenant ou de si déshonorant que de reconnaître ses torts, de faire face à son passé, de dépasser la pulsion de la haine et du ressentiment, dans le souci de garantir lavenir dune relation dépassionnée faite de justice et de dignité ? Car ceux qui tablent sur le silence, lamnésie et loubli, en croyant que cette exigence de reconnaissance est affaire de générations, font dans lamalgame et perdent loccasion dédifier une relation plus solide, plus durable et plus sincère. Dautant plus quils savent pertinemment que la libération de lAlgérie ne sest pas faite contre le peuple français, mais a constitué un moment fort de sa renaissance en tant que nation libre et souveraine parmi les nations libres et souveraines de la planète. Aujourdhui, elle a la force et lénergie de se souvenir de son passé, de se reconstruire de manière pacifique et démocratique et de préparer dans la confiance et la sérénité son avenir.
EL DJAZAIR, 5/7/2010

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