La résolution du Conseil de Sécurité : besoin d’une auto-évaluation Sahraouie

La résolution 1920 (2010) du Conseil de sécurité de l’ONU, qui fut adoptée le 30 avril dernier, met en lumière l’échec de l’ONU à résoudre le conflit du Sahara Occidental, en dépit de toutes les analyses, de toutes les excuses politiques et autres argumentations que nous avons entendues, ou que nous pourrons entendre, qui sont seulement des tentatives pour adoucir l’impact de cette résolution.
Et bien sûr, les deux parties au conflit, le Maroc comme le Front Polisario, ont accueilli favorablement la nouvelle résolution, tant pour marquer des points dans la bataille médiatique où elles sont engagées que pour des raisons morales. Pourtant, la résolution n’a rien apporté de nouveau (en particulier pour la partie sahraouie), et a constitué une pâle reproduction des résolutions antérieures.
Mais avant de commenter cette résolution, nous allons essayer de démonter les points principaux qu’elle soulève, sans esprit de provocation ni volonté de déformer ses aspects positifs – s’il y en a – ou de mettre en avant ses effets négatifs sur la question sahraouie comme cas de décolonisation inachevée depuis 1963.
Où réside le danger
Il est vrai que la résolution spécifie que le Conseil de Sécurité réaffirme “ son engagement d’aider les parties à trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental dans le cadre de dispositions cohérentes avec les principes et les buts de la Charte des Nations Unies, et souligne le rôle et les responsabilités des parties à cet égard”; mais d’autre part, et pour répondre à la pression de la France, le texte essaie de faire dévier le conflit de son registre légal qui est, il faut le rappeller, celui de la décolonisation, suivant en cela le schéma des dernières résolutions.
La résolution, en fait, a adopté la même vieille formule exprimant la satisfaction du Conseil face à “l’engagement des parties de continuer le processus de négociations dans le cadre de rencontres organisées sous la houlette de l’ONU”, et dans le même temps a rappelé “son soutien à la recommandation faite dans le rapport du SG du 14 avril 2008 (S/2008/251) selon laquelle il est essentiel que les parties fassent montre de réalisme et d’esprit de compromis afin que les négociations progressent.”
Ainsi, s’agissant du coeur politique du problème, les Nations Unies continuent de jouer le même vieux jeu de la procrastinisation, en maintenant le statu quo, quand ce n’est pas en penchant du côté du soutien aux parties française et marocaine. Lesquelles travaillent inlassablement à légitimer l’occupation illégale du Sahara Occidental, en essayant d’imposer le soi-disant “plan d’autonomie”, et en perpétuant le conflit au moyen d’attaques violentes contre la résistance sahraouie, tentant de la mettre en pièces, de la disperser comme cela se passe pour la résistance palestinienne. C’est à quoi travaillent les services secrets marocains – prenant pour cibles les camps de réfugiés sahraouis, et les communautés sahraouies en Mauritanie, en Espagne et ailleurs, dans la tentative d’infiltrer le corps national pour le détruire de l’intérieur, et pour casser son unité par tous les moyens possibles.
Les droits de l’homme… Le coup qui ne vous tue pas peut vous rendre plus fort
En ce qui concerne les droits humains, la résolution a opté pour un langage très flou, ouvert à toutes sortes d’interprétations, cela dans le seul but que le texte soit adopté: en effet, la France s’est ouvertement opposée à toute expression qui rendrait le Maroc responsable de violations des droits de l’homme au Sahara Occidental, et à toute extension de la mission des Nations-Unies sur le terrain, la MINURSO, qui inclurait la surveillance et la protection des droits humains. La France – berceau des droits de l’homme et des libertés! – a réussi à imposer sa volonté jusque dans le choix du terme “dimension humaine” pour remplacer l’expression de “droits humains” partout adoptée dans les résolutions internationales.
La France s’est complètement isolée à l’intérieur du Conseil de Sécurité, car elle est restée seule à défendre le Maroc, alors que la majorité des membres du Conseil a exprimé son mécontentement devant le refus de Paris de permettre l’incorporation de la protection des droits de l’homme au mandat de la MINURSO. Il est devenu clair, désormais, que le peuple sahraoui ne doit pas seulement affronter l’occupation expansionniste marocaine, mais aussi l’État français, qui refuse de laisser l’ONU mettre en application le droit international dans un cas de décolonisation internationalement reconnu.
D’autre part, on peut dire que la dernière résolution du Conseil de Sécurité constitue un coup très dur pour le peuple sahraoui, puisque le Conseil ne prend absolument pas en compte la lutte pacifique et les sacrifices des différentes composantes du peuple, depuis la plus petite démonstration estudiantine jusqu’aux multiples batailles menées par les défenseurs sahraouis des droits humains dans les zones occupées du Sahara Occidental au cours de l’année 2009 et des années qui ont précédé. Sans oublier les nombreuses lettres envoyées par le Président de la République, Mohamed Abdelaziz, à toutes les organisations internationales, ni les communiqués de presse et rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme, qui donnent des preuves irréfutables de la responsabilité du régime de Mohamed VI dans l’oppression et la terreur exercées systématiquement contre les Sahraouis, ceci pour les forcer à s’incliner devant son autorité.
Tous ces efforts nationaux et internationaux, ces campagnes, ces lettres et ces communiqués n’ont pas réussi à obliger l’ONU à assumer ses responsabilités dans le conflit.
D’un autre côté, ces pressions internationales, le travail des défenseurs des droits de l’homme, les sacrifices du peuple sahraoui ont conduit plusieurs pays à prendre un parti courageux ; cela a poussé par exemple les représentants de la Grande-Bretagne au Conseil de Sécurité à affronter la France sur la question des droits de l’homme au cours des débats qui ont précédé l’adoption de la résolution 1920. Cela aussi a poussé les autres membres du Conseil de Sécurité – spécialement le Nigéria, l’Ouganda, le Mexique, l’Autriche et le Brésil – à critiquer ouvertement la manière dont la soi-disant “unanimité” a été obtenue pour l’adoption de la résolution. En effet, seuls les membres permanents du Conseil plus l’Espagne – c’est-à-dire le fameux club des “Amis du Sahara Occidental” – ont participé à la rédaction finale de la résolution.
Mais, nous devons aussi considérer que cette résolution, malgré le préjudice qu’elle crée en terme de droits de l’homme, à cause de la position française, peut aider à rassembler un soutien à la cause sahraouie réel et plus important cette année. Il faut pour cela que les Sahraouis, leurs alliés et ceux qui les soutiennent réussissent à mettre une pression de plus en plus forte en utilisant cette carte ; ils pourront compter sans doute sur le soutien des organisations internationales, pour qui cette résolution constitue une véritable gifle, et représente l’échec de leurs rapports si souvent “équilibrés” et de leurs pressions si “modérées”.
Cependant, la partie sahraouie doit reconsidérer la manière dont elle traite et conduit cette question. Les S
ahraouis doivent comprendre qu’ils ont échoué à coordonner et exploiter tous ces efforts et ces pressions internationales produits par des organisations aussi importantes que Amnesty International, Human Rights Watch, la Fondation Robert F. Kennedy, Front Line et d’autres. Ils doivent comprendre aussi qu’ils ont pris l’habitude, au pire, de se comporter en spectateurs ou, au mieux, de réagir aux événements au lieu de les créer et de les encadrer.
La réponse sahraouie
Beaucoup de personnes, sahraouies ou non, soutiennent que les réponses de la direction politique du Front Polisario au rapport du Secrétaire général de l’ONU et à la résolution 1920 du Conseil de Sécurité ont été insuffisantes.
En dépit du fait qu’elles ont réussi à braquer le projecteur sur la France, pour l’isoler et la désigner comme le véritable problème dans le conflit et comme la force hostile au peuple sahraoui, les rares réponses officielles ont été très tempérées. À plusieurs reprises, elles ont essayé de donner des interprétations erronées à différents mots de la résolution pour faire apparaître de fausses victoires…
Aussi, nous ne pouvons certainement pas être d’accord avec cette lecture de la direction politique, bien que nous soyons fermement opposés à toute forme de pessimisme, et que nous comprenions très bien comme la lutte est difficile.
Il est vrai que nous n’avons pas les informations de première main dont nos dirigeants disposent sans doute, mais, comme observateurs engagés, nous pensons que la majorité du peuple a compris depuis longtemps que l’ONU et son approche du conflit dans le cadre du Chapitre VI de sa Charte (permettant qu’on essaie de violer cette Charte au nom “du réalisme et de l’esprit de compromis”) ne peut conduire qu’à l’autonomie, quelle que soit la formule finale de cette “solution” que la France pousse de toute son influence, les États-Unis ne s’y opposant pas réellement, et l’Espagne espérant sortir ainsi du chantage où la tient le Maroc.
Avec la lettre forte que le Président de la République a envoyée le 14 avril dernier à Ban Ki-Moon, les Sahraouis ont pensé que leur direction les avait enfin entendus, et avait exprimé un peu de leur colère et de leur besoin de protester. Cette lettre fut suivie un jour après par la déclaration du ministre des Affaires étrangères annonçant la décision de reconsidérer la relation du Front Polisario avec la MINURSO – si celle-ci continuait de ne pas remplir le mandat pour lequel elle a été constituée. Peut-être des pas concrets avaient-ils aussi été faits sur le terrain, pour montrer la détermination sahraouie de mettre cette décision en application. Mais nous fumes tous surpris ensuite en entendant des communiqués qui laissaient entrevoir une rétractation par rapport à la menace énoncée juste avant.
Ici, nous devons insister sur le fait que, si la direction politique sahraouie est vraiment prête à renoncer, sans raisons suffisantes, aux actions qu’elle a annoncé vouloir mener, cela coûtera très cher à la crédibilité dont nous avons tellement besoin.
Sécurité
“S’il est impossible d’éviter la mort… alors il est honteux de mourir en lâche.”
L’impression que nous donnons aux autres en répétant des “menaces” sans qu’elles soient suivies d’effets discrédite vraiment l’image des Sahraouis ; on doit donc arrêter avec cette attitude inutile et dommageable.
Pourquoi pas adopter plutôt de vraies mesures, méthodiques, qui nous aident à reconstruire notre crédibilité et permette d’envoyer partout des signaux effectifs, reflétant l’amertume et la colère qui enragent le coeur des Sahraouis ?
Et il y a beaucoup de mesures qui peuvent être prises, à commencer par stopper toute collaboration “positive” et “bonne” avec la MINURSO comme représentant de l’ONU, car le rôle de “good boy” “responsable” que nous avons joué pendant des décades n’a clairement pas été payé de retour. Et il n’y a pas là d’accusation contre la MINURSO en tant que telle, contre les personnes qui la constituent. Mais comme mission de l’ONU, elle ne mérite aucun respect des Sahraouis, non seulement parce qu’elle a manqué sans vergogne à son devoir d’organiser le référendum, mais aussi parce qu’elle a échoué à protéger et à surveiller les droits humains au Sahara. Pire encore, à plusieurs reprises, d’anciens membres de la MINURSO sont devenus des agents du ministère marocain de l’Intérieur en participant avec zèle à diverses officines de lobbying réputées émarger à Rabat.
D’autre part, les Sahraouis ne doivent pas continuer à menacer de reprendre les armes à moins d’être vraiment prêts à le faire. Je crois fermement qu’ils n’ont pas besoin de se lancer à nouveau dans la lutte armée pour libérer le Sahara Occidental, s’ils remplissent une condition: qu’ils fassent la réévaluation vraie, sincère et sans concession de leur mouvement. Avec pour but de réformer et de remédier à de multiples défauts, pas seulement dans l’administration de nos affaires, mais aussi dans notre vision de l’avenir qui devient de moins en moins claire et même, jusqu’à un certain point, qui manque d’unité. Reprendre les armes ne sert à rien si nous ne sommes pas capables d’exploiter les résultats qui sont en notre faveur. Mais à la fin, s’il ne reste aucune autre voie que de reprendre la lutte armée légitime pour obtenir notre libération, alors pourquoi pas ?
Le besoin d’un examen intérieur
Il est grand temps pour les Sahraouis de se poser les bonnes questions pour évaluer les choix qu’ils ont faits au long des deux dernières décades, avec leurs succès et leurs échecs. Qu’ont-ils réalisé et que n’ont-ils pu obtenir ? Comment ont-ils réussi à unir les générations sur un même plan de compréhension du conflit et de préparation à la lutte ? Y sont-ils d’ailleurs vraiment parvenus ? Ont-ils su tirer le meilleur profit de leurs ressources humaines ? Et sinon, quels sont les obstacles qui ont pu les en empêcher ?
Au-delà, que veulent vraiment les Sahraouis ? Et pourquoi ne pas suivre de nouvelles méthodes pour réaliser ce qu’ils ont échoué à obtenir avec les anciennes?
Quels sont les véritables défis que les envahisseurs marocains posent sur le terrain ? Et qu’ont entrepris les Sahraouis pour y faire face ?
Ces questions, qui peuvent beaucoup aider à éclairer nos choix, sont faciles à trouver.
Hésiter à nous les poser, et penser que jouer le jeu de l’attente œuvrera en notre faveur ou jouera contre les seuls Marocains est une erreur, car le temps joue contre tout le monde. Le temps peut empêcher la résolution des aspirations des Sahraouis s’ils ne s’emploient pas à les défendre fortement.
Parallèlement, hésiter à porter remède aux défauts du corps politique sahraoui aura certainement des effets négatifs sur son “unité” et sa “force” – deux qualités plus que jamais nécessaires.
Finalement, les Sahraouis doivent être convaincus que la solution du conflit du Sahara Occidental ne sera donnée ni par l’ONU, ni par les États-Unis, ni par la France. C’est nous-mêmes qui avons les outils pour obtenir la victoire.
Mais comment les militants sahraouis, et les amis et soutiens des Sahraouis, peuvent-ils rendre cette victoire proche, avec le minimum de sacrifices ? Voici une autre question à laquelle il nous faut répondre… et vite.
Malainine Lakhal, www.upes.org
UPES (Union des journalistes et écrivains sahraouis)
paru le 11 mai 2010, traduction Nicole Gasnier

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