La frontière vraiment fermée? « On termine la bouteille de Ricard et on taccompagnera en Algérie» REPORTAGE (suite)

2ème PARTE : LE RETOUR Oujda Il est 15 h 45. 37° à lombre. Le ciel est tellement bas qu’il rase la tête. Un vent denfer fouette les visages des rares personnes qui se sont aventurées à cette heure de la journée. Le boulevard Mohammed V dOujda est quasiment désert. Je me pointe au café de France, comme convenu avec mon guide Rachid. Je commande un 7 up. Jessaie de remémorer la journée davant, histoire de faire un petit bilan sur cette traversée. 
«Positif» conclus-je avec égocentrisme. J’ai traversé la frontière algéro-marocaine en payant 2000 dinars. J’ai passé une journée à Oujda, assisté au concert de Cheba Zehouania et maintenant, il faut que je retourne chez moi en Algérie. Subitement, le doute mhabite. Et si mon guide me faisait compagnie? Et sil était de mèche avec le Makhzen ? Le temps passe. Aucune ombre de Rachid ne pointe à lhorizon. Le rendez-vous était pour 16h. Deux heures sont déjà passées et le guide n’est toujours pas là. Je commande un thé à la menthe. La salle climatisée se remplit graduellement. Je fais un saut au souk de Bab Sidi Abdelwahab. Pour jauger un peu lambiance. Pour fondre dans la foule, dense depuis peu et juger, selon mon intuition, si jétais suivi ou non. Tout le monde me regarde. Personne ne fait attention à moi. Un sentiment ambivalent me torture. Je retourne au café de France. Un rapide coup dSil sur la terrasse puis dans la salle me rend à lévidence : Rachid ne viendra pas.
Je connais la bande frontalière pour lavoir déflorée plus de quatorze fois
Retourner à Ahfir, 40 km plus loin, pourrait être risqué pour moi. Les barrages de la police et de la gendarmerie royale sont «achalandés» dOujda jusquà Saïdia, la station balnéaire. Que faire? Il faut que je me décide rapidement. Je connais la bande frontalière pour lavoir déflorée plus de quatorze fois. La différence, jusquici, est que je nai pratiquement jamais traversé lOued Kiss en solo. Pourtant, à y voir de plus près, ce nest pas sorcier de parcourir quelques mètres dun sens à lautre. Jai mis de côté 200 dirhams, droit de passage pour les gardiens du temple de sa Majesté. Et si je suis arrêté, malgré tout, je connais la sentence : un mois demprisonnement, puis reconduite clandestine à la frontière au milieu de la broussaille. Je prends un taxi Mercedes jaune en direction du poste frontalier Zoudj Bghal. Je rappelle au chauffeur, qui ne doute pas de ma nationalité, de me déposer au relais, quelques kilomètres avant les barrières.
« On termine la bouteille de Ricard et on taccompagnera jusquà lautre rive, en Algérie»
19 h 15. Je descends de la voiture. Je mattable sur la terrasse de la crèmerie. Des familles sirotent des boissons fraîches. Je scrute les visages discrètement. Au cas où une connaissance apparaît. En face, les fermes algériennes reluquent les vergers chérifiens. Je sais quil suffit de se faufiler derrière la façade de létablissement hôtelier, dévaler la pente, se mouiller les pieds dans la rivière et atterrir sur le territoire algérien, au lieu dit Dalia (la Vigne). Je tente le coup. Mal men prit. Sur les berges de lOued, deux jeunes dune trentaine dannées allongés à même le sol se relayent sur une bouteille de Ricard. «Salam Aalikoum!». Bienveillants, ils minvitent à partager le reste de la bouteille. Il ne manque plus que ça. Je refuse gentiment en demandant avec peu de délicatesse si litinéraire peut memmener à bon port «Tu as tout le temps pour passer de l’autre côté, assieds-toi!» Je mexécute. Quelque part, la voix d’un muezzin appelle à la prière du Maghreb. « On termine la bouteille de Ricard et on taccompagnera jusquà lautre rive, en Algérie», dit un de mes compagnons de hasard. Je la joue rejla. Jextirpe deux billets de 100 dirhams. «C’est pour une autre bouteille demain, cest moi qui casque et je suis désolé si je ne peux partager la fiesta avec vous!», dis-je. Mes deux compagnons de fortune apprécient le geste. Ils minvitent à les suivre. Mon ventre gargouille. Je me suis jeté dans la gueule du loup?
«Besslama Sidi, continue tout droit, y aura personne sur ton chemin»
On lève le camp. Je suis mes nouveaux guides. Après quelques minutes de marche, nous tombons nez à nez sur deux soldats marocains. Mes compagnons, très à laise,saluent les bidasses. Je fais pareil. «Ce monsieur est notre cousin, il rentre chez lui», explique celui qui dit sappeler Yahia en prenant le soin de refiler un billet de 100 dirhams à lun des garde frontières. Ce dernier parcourt avec moi une centaine de mètres, puis sarrête : «Besslama Sidi, continue tout droit, y aura personne sur ton chemin», m’annonce-t-il d’un ton rassurant. Je marche tout droit en terrain conquis. Je suis de retour en Algérie. Un chien aboie. Un quinquagénaire répond machinalement à mon salut. Il doit avoir lhabitude de rencontrer des gens sur cet endroit. «Je peux trouver des taxis collectifs maintenant?» demande-je au cultivateur algérien. «Mets-toi sur le bord de la route, il y aura toujours quelquun qui te ramènera à Maghnia » Je me pointe à 50 mètres du village Akid Lotfi. Dix minutes plus tard, un hallab (trafiquant de carburant) sarrête à mon niveau et minvite à monter. Lhabitacle sent lessence. «Tu habites le village?», demande-t-il. «Non, je reviens dun mariage!» Mon conducteur me dépose à proximité de lhôtel El Izza, à la périphérie de la ville de Maghnia.
Il est 20 h 45 en territoire algérien. Des véhicules de la douane sillonnent le boulevard menant à la frontière. Jaurais du rester un moment avec mes deux voisins de lOued pour partager le reste de la bouteille de Ricard.
DNA-Algérie, 17/8/2010

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