Les clés pour comprendre la position algérienne

Après six longs mois de guerre civile, 20 000 attaques aériennes de l’Otan, une destruction systématique des centres névralgiques de Tripoli (pour mieux accaparer les projets de reconstruction), des milliers de morts civils, l’exode de plus de 500 000 travailleurs subsahariens vers leurs pays d’origine -Niger, Tchad et Mali, notamment-, les forces occidentalo-atlantistes viennent de livrer Tripoli et le pays tout entier au CNT. Rien n’aurait été possible aux rebelles sans les officiers américains et français, très présents à Benghazi dans la chaîne de commandements et les centres opérationnel ainsi que les frappes aériennes ininterrompues de l’Alliance Atlantique. 
 
Pour l’Algérie, il s’agira de reconnaître, de facto, le CNT. Les divergences conjoncturelles se dissiperont avec le temps. Reste la politique, qui est l’art de traiter aujourd’hui des questions de demain, en oubliant ce que fut hier, et les réalités du terrain contraindront les nouveaux dirigeants libyens à regarder vers les interlocuteurs de leur milieu géographique naturel, c’est-à-dire l’espace maghrébin, à qui ils sont rattachés viscéralement. La position algérienne, que d’aucuns ont jugé décalée par rapport aux enjeux stratégiques qui agitent le monde arabe et maghrébin, ou estimé « pas politiquement correct », ou carrément manquant de « realpolitik », a été justifiée dès le début par une série de paramètres. 
 
En fait, l’Algérie a fait partie des 170 pays dans le monde qui n’ont pas encore reconnu le CNT une semaine avant la chute de Tripoli. Des pays majeurs dans l’espace arabomusulman comme l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Malaisie n’avaient pas encore reconnu le CNT avant le 20 août. La position de l’Algérie a été adoptée par la quasi-totalité des pays africains, et des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger ou le Sénégal. 
 
Donc, il ne s’agit pas d’un cas-type, mais la position algérienne a été sciemment interprétée et amplifiée par les capitales occidentales, et tout ce que le CNT allait dire comme accusations et allégations lui est soufflé à partir de Paris. Les attaques du CNT contre l’Algérie – passes d’armes, de carburant, soutien à Kadhafi, etc.- ont été dès le début injurieuses et carrément belliqueuses, poussant Alger à lorgner de haut ces nouveaux caïds du désert. 
 
La présence de la France dans les centres décisionnels du CNT a fait naître des doutes légitimes sur la portée de cette révolution, ses objectifs et ses dessous. Le va-et-vient de Bernard- Henry Lévy entre Benghazi et Paris, puis entre Benghazi et Tel-Aviv mérite des éclaircissements aussi. Le transit d’un véritable arsenal de guerre vers le Sahel a soulevé des questions à longueur de lignes. La présence d’islamistes radicaux dans la chaîne de commandement des rebelles laissait penser qu’une jonction entre certains chefs rebelles et Aqmi était établie. Le « conquérant » de Tripoli, le nouveau chef militaire des rebelles, Abdelhakim Belhadj, est, pour ceux qui ne le connaissent pas, l’ancien émir du Groupe islamique combattant libyen – Gicl – l’équivalent du GIA algérien. Imaginez un instant un Antar Zouabri à la tête d’une révolution en Algérie, quel aura été la réaction des pays voisins… 
 
Au début de l’été, un des chefs du CNT est parti au Maroc demander l’appui de Rabat aux rebelles, et par la même occasion, il a fait des déclarations carrément hostiles à l’Algérie, affirmant que le CNT n’est pas prêt à reconnaître le Front Polisario, et qu’il est un allié politique et stratégique de Rabat. Lancé dans un contexte de froideur glacial entre Alger et Rabat, cette déclaration a de quoi laisser perplexe… 
 
Kadhafi est un allié de l’Algérie depuis quatre décennies. Il avait certes créé des problèmes à l’Algérie concernant des sujets aussi sensibles que les Touareg, le Censad, le Sahel, etc. Mais malgré ses frasques et ses retournements, il avait aussi donné de la stabilité à l’espace maghrébin et de l’agressivité au monde arabe face à Israël et à l’Occident. Et on ne dégomme pas aussi vite une alliance de 40 ans avec le premier souffle de tempête…

O.M.
Le Courrier d’Algérie, 25 août 2011

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