Le peuple algérien est le seul, l’unique et authentique héros de la Révolution

L’estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée et l’honneur vaut mieux que la gloire » ; cette célèbre citation de Calderon devrait être tatouée sur le torse de tout être ambitieux, en quête d’une honorable place dans le Panthéon de l’histoire. Qui tue qui ?
Par Fezzou Hocine(*)

Cette éternelle question qui a hanté les esprits de tous les Algériens durant la décennie noire du terrorisme, jusqu’à ce que le voile fût levé grâce à l’éclatement de la vérité, tristement révélée par la propagation vertigineuse de ce nouveau phénomène tragique de violence, est à nouveau d’actualité.Mais, malheureusement, cette fois elle ne met pas en cause les forces de l’ordre et les terroristes, mais des figures légendaires de la révolution algérienne. Révéler en 2010 des faits d’une importance capitale (qui a tué les colonels Amirouche et Si Haoues ?) et aller même à faire des déductions, voire des affirmations sur les éventuels auteurs, qui ne seraient que d’autres figures légendaires de cette même révolution, relève de la sénilité historique et de l’audace politicienne. Des politiciens qui s’érigent en historiens, des historiens qui ont tardé à écrire l’histoire de la révolution algérienne : cette révolution qui reste une épopée pour les peuples du monde entier, référence, exemple et feuille de route pour les peuples luttant pour leur libération. Cette révolution qui a été et restera source d’inspiration pour les scénaristes les plus doués.
Les batailles qu’elle a connues sont toujours enseignées au niveau des plus grandes et des plus prestigieuses écoles militaires. Elles ont fait l’objet de plusieurs thèses, analyses et critiques, initiées par les plus grands stratèges militaires. Toute contradiction, exagération, travestissement dans la narration d’événements historiques engendrent spéculations, polémiques, commentaires, voire doutes et suspicions sur leur véracité, particulièrement au sein des générations nouvelles, pour lesquelles la révolution algérienne relève du sacré. Révéler des faits aussi graves, sans sources crédibles, c’est mettre en doute l’authenticité des événements qu’a connus la révolution, et déranger dans leurs tombes ceux qui se sont sacrifiés pour que nous puissions vivre librement et se permettre de polémiquer sur leur honorable et légendaire histoire. Il n’est pas plus facile que de travestir l’histoire : l’histoire a connu trois Socrate, cinq Platon, huit Aristote, vingt Théodore, et pensez combien elle n’en a pas connu. Qui empêche mon palefrenier de s’appeler Pompée le Grand ? (Montaigne : essais) Oui, le peuple est l’unique héros de la révolution algérienne. Je suis fervent défenseur de cette vérité. Ce peuple algérien, héros de la révolution c’est : l’émir Abdelkader, qui a consacré sa vie à unir et mobiliser les Algériens de son époque pour combattre le colonialisme et instaurer le premier Etat algérien ; El Mokrani, Lalla Fatma N’Soumer, Bouamama, qui ont mené la même noble mission. Les un million et demi de martyrs de la révolution qui ont échangé leurs valeureuses et saintes âmes pour la liberté de leur pays, les martyrs des massacres du 8 mai 1945 qui, par leur sacrifice exemplaire, ont éveillé chez les Algériens l’esprit nationaliste. Messali El Hadj, Ferhat Abbes, Krim Belkacem, Ben Bella, Abane Ramdane, Amirouche, Ben Mhidi, Boussouf, Boumediene, Boudiaf… Les chefs de Wilaya, les chefs de zone, les chefs de secteur, les responsables politiques de tout niveau, les moudjahiddine tireurs, voltigeurs, artificiers, les fidayine, les moussabiline, les infirmières… Le petit Omar, qui restera grand dans nos mémoires, les fellahs et leurs familles qui vivaient dans des conditions qu’on ne peut qualifier que de déplorables et qui s’enorgueillissaient en hébergeant et nourrissant les moudjahiddine. Les passeurs d’armes et de munitions dont la plupart sont tombés martyrs le long des lignes Challes et Morris.

Les agents de liaison

Les nomades du désert qui se faisaient un honneur, un plaisir et un devoir religieux de recevoir dans leurs modestes tentes les djounoud, ignorant les tortures et les exactions que la plupart d’entre eux ont subies suite aux dénonciations. Les prisonniers qui ont connu les affres des geôles coloniales sans le moindre respect des droits les plus primaires mondialement reconnus. Les disparus, dont on ignore le moindre indice de la tombe ou de la fosse commune où ils ont été enterrés. Les victimes des bombardements, pour la plupart des enfants qui jouaient aux alentours du lieu bombardé ou des femmes qui vaquaient à leurs occupations habituelles sur ces mêmes lieux. Les victimes des tortures sauvages, dont nombreux ont succombé à ces sévices inhumains ou sont restés handicapés physiquement et moralement à vie. Les internés des camps de concentration, qui comptaient parmi eux des vieillards et des vieilles soupçonnés d’être parents de fellagas. Les pauvres citoyens des villes et des campagnes qui ont fait l’objet de rafles, d’interrogatoires abusifs, d’arrestations arbitraires, de perquisitions illicites et à des heures très tardives. Les manifestants pacifistes jetés sadiquement dans la Seine. Les braves militants de la Fédération de France.
Les journalistes des différents médias de la révolution et le personnel technique de ces médias. Les sportifs des différentes disciplines qui ont représenté dignement la révolution algérienne dans les différents pays du monde, hissant haut le drapeau de l’Algérie combattante. Les artistes qui ont été des ambassadeurs itinérants de la révolution. Les réfugiés des frontières qui ont connu toutes les privations et subi toutes les injustices… Et je ne pourrai jamais être exhaustif dans l’énumération des Algériens qui ont participé directement ou indirectement à cette noble et sacrée cause qu’était la lutte pour l’indépendance de leur pays. Comment peut-on réduire d’aussi colossaux sacrifices de toutes les couches d’un peuple sur toute l’étendue de notre immense territoire national à l’écriture d’histoires individuelles, ne mettant en relief que les faits d’armes et les actes de bravoure, parfois entachés de despotisme et de prise de parti, de ceux qu’on veut ériger en principaux libérateurs de ce pays ? Nul n’a le droit de s’ériger en héros légendaire ou vouloir propulser des personnes comme étant des héros hors du commun, en tissant sur eux des légendes, parfois dignes de la fiction. Tout culte de la personnalité dans l’écriture de l’histoire d’une révolution inculque automatiquement diminution des rôles, efforts et sacrifices des différents acteurs de cette révolution. Les sacrifices consentis par les communs des mortels dépassent largement les prouesses de ceux qu’on veut historiquement mettre en relief. Comme l’a si bien dit Bonaparte dans cette citation qu’on lui attribue : « Tout soldat français porte dans sa giberne le bâton de maréchal de France ». Pour moi, tous les martyrs de la révolution algérienne sont des maréchaux pour leur patrie. Je conclus cette très modeste contribution dans le débat sur l’héroïsme au sein de la révolution algérienne par ces citations que je garde collées à mon chevet : « Il semble que nous augmentons notre être lorsque nous pouvons le porter dans la mémoire des autres : c’est une nouvelle vie que nous acquérons et qui nous devient précieuse » (Montesquieu : Lettres persanes). « La gloire des hommes doit toujours se mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquérir » (La Rochefoucauld : Maximes). « L’homme est toujours fier d’avoir gravé son nom quelque part, fut-ce sur l’écorce d’un arbre, et toujours étonné quand il ne l’y retrouve plus » (Dumas). « La gloire est le superflu de l’honneur, et comme toute autre espèce de superflu, celui-là s’acquiert souvent aux dépens du nécessaire » (Mme Guizot).
(*) Retraité
El Watan, 7/8/2010 

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