Ali Zaoui : «Il y a des risques d’attentats en France»

Ali Zaoui, spécialiste en lutte antiterroriste à Tribune des Lecteurs
«Il y a des risques d’attentats en France»

Entretien réalisé par Narimen Kaïdi et Mohamed Abdoun

Tribune des Lecteurs : Les événements se précipitent au Sahel. On assiste depuis quelque temps à une succession d’événements très préoccupants. Donc où en est la situation aujourd’hui ?
Ali Zaoui : Maintenant le Sahel est plus volcanique qu’avant. Surtout après l’intervention française sur le sol malien malgré les accords du mois d’avril de Tamanrasset avec les chefs sécuritaires des quatre pays qui ont conclu que le problème du Sahel ne concerne que le continent africain. De ce fait l’ingérence étrangère va légitimer le Gspc vers le djihad et rééditer quelque part les scénarios irakien et afghan.
Ils veulent donner une appellation forcée à El Qaida aux pays du Maghreb alors qu’elle n’a jamais existé ni en Algérie ni au Sahel.
Justement, alors qu’est-ce qui se passe exactement dans ces régions, puisque El Qaida n’existe pas au Sahel ? Qui active dans ces régions ?
C’est le Gspc et le grand banditisme qui travaillent directement ensemble. Chaque groupe se nourrit d’un autre groupe. A signaler que récemment un groupe de jeunes Touareg radicalistes a rejoint le Gspc, à leur tête « Amar Ad Amnoukêne». De ce fait, la situation est devenue plus dangereuse qu’avant. Déjà, on craignait auparavant qu’une fraction de jeunes Touareg se rallie au Gspc.
Mais pourquoi ont-ils rejoint le Gspc ? Est-ce parce que les accords d’Alger n’ont pas été respectés et qu’ils se sont sentis délaissés ?
Je me rappelle qu’un jour un Targui m’avait dit que si Satan venait en image d’une personne, il travaillerait avec lui.
Les Touareg sont prêts à tout quand ils sont marginalisés et en colère.
Donc selon vous, pourquoi la France a multiplié ses faux-pas ? Est-ce que ce sont des faux pas involontaires ou bien c’est voulu ?
Il est clair que c’est voulu. La France veut contrôler ses anciennes colonies. D’autant plus que Sarkozy veut faire oublier ses scandales financiers.
On sait bien que les groupes qui existent au Sahel sont multi-africains, composés de gens démunis qui sont issus de réseaux de soutien et on sait très bien que le soutien est plus dangereux que le terrorisme.
Car, sans soutien il n’y aura jamais de terrorisme. Maintenant, on craint avec un calme depuis 2005 que certains « trévistes » vont reprendre du service.
Vous parlez de MBM ( Mokhtar Ben lmokhtar. Ndlr) ?
Oui, tout à fait.
Est-ce qu’il y a des informations dans ce sens ?
Non. Mais je sais que les chefs de tribu sont très mécontents de l’intervention d’une force étrangère au Sahel.
Mais l’Algérie n’a rien à voir là-dedans ?
C’est sûr.
Est-ce que MBM n’est pas satisfait par la réconciliation ?
Si. Il est très satisfait de la réconciliation
Lors, pourquoi il se peut qu’il reprenne du service ?
Certaines analyses disent que quand il y a une présence étrangère au Sahel il y aura certainement un renforcement du recrutement de nouveaux terroristes, ainsi ça va renforcer la crédibilité et légitimer le Gspc envers el Djihad.
D’ailleurs, je l’avais dit récemment que c’est le moment de procéder aux visas d’accès au Mali pour des raisons sécuritaires.
Concernant la suite des évènements ?
Elle est certainement inquiétante. Les dirigeants des pays du Sahel n’arrivent pas à contrôler la situation.
Je vous rappelle que le dernier attentat survenu aux portes de nos frontières a été réalisé par un groupe de terroristes salafistes mauritaniens.
Composé de gens qui connaissent bien la zone, alors que lorsque MBM gérait la zone on n’a jamais eu de problème d’attaques aux frontières.
Donc, ils étaient bien informés ?
Tout à fait. On sait bien que le GGF maîtrisait la situation dans cette zone.
A titre d’exemple, plus aucune caravane d’armes ne passe.
On en est où sur la plan technique? Quel est leur nombre ? Comment ils se déplacent ?…
On sait très bien que les terroristes ne se déplacent pas en groupes importants, ils se déplacent soit par 3, 2 ou un seul terroriste. Ensuite, ils se connectent dans un endroit précis.
Des points d’eau par exemple. Et quand ils effectuent des opérations, on sait très bien qu’ils sont renforcés par leur soutien, leurs sources de renseignement et aussi par le banditisme. On sait très bien que tous les enlèvement qu’il y a eu ont été faits dans la plupart du temps par les contrebandiers qui revendaient les otages au Gspc.
En 2008, lorsque les deux diplomates canadiens enlevés au Niger, ont été par la suite récupérés par MBM.
Ensuite, il y a eu des négociations entre les chefs de tribus de la zone qui ont obligé MBM à les relâcher sans aucune contrepartie, soit sans aucune rançon.
On sait très bien que MBM a éliminé les deux ravisseurs des deux diplomates canadiens lorsqu’il a essayé de récupérer les deux autres otages anglais qui ont été détenus par Abou Eiid.
Actuellement, ils sont combien ? Et quel est leur type d’armement ?
Ils ont des armes lourdes et ils peuvent frapper à tout moment avec la force humaine qu’ils ont. Et leurs armes proviennent de la contrebande. Ils peuvent même provenir d’ Afrique du Sud. On sait très bien qu’il y a des « Falacha» parmi les groupes terroristes du Sahel. C’est eux qui dirigent toutes les opérations terroristes au Sahel.
Il y a, à peu près, une centaine de terroristes actifs au Sahel. C’est beaucoup moins que ce qu’on raconte.
Comment vous voyez la suite des évènements ? Qu’est-ce qui se prépare ?
Nous risquons d’avoir une suite très alarmante au Sahel, parce que ces gens là font n’importe quoi juste pour faire parler d’eux et pour prouver qu’ils existent encore. Il est à noter qu’ils sont comme une bête féroce blessée qui veut toujours s’imposer et prouver qu’elle existe et qu’elle peut frapper à n’importe quel moment. C’est de même pour ce qui est de la Kabylie.
La situation est explosive au Sahel. S’il va y avoir une opération directe, il est à savoir qu’il va y avoir une solidarité entre toutes les tribus et les Touareg qui vont légitimer une guerre qui est, pour eux, « sainte ». C’est ce qui s’est passé en Irak et en Afghanistan.
Et s’il n’y a pas d’intervention ?
Dans ce cas-là, et que les 4 pays s’y mettent dans tous les domaines. Ils pourront éliminer les terroristes, mais à condition que le problème des Touareg doit être réglé.
Car sans cela, on ne pourra jamais lutter contre le terrorisme au Sahel.
Mais il y a un autre problème. Il y a des pays de la région qui jouent un double jeu comme le Maroc et la libye.
Je pense que la Libye a fait marche arrière.
Est-ce qu’il y a un risque direct pour l’Algérie?
Non. On contrôle bien la situation.
Parlons maintenant de la Kabylie. Recrudescence d’attentats, insécurité totale et enlèvements…y a-t-il jonction entre le grand banditisme et le terrorisme dans cette région ?
Bien sûr. Il est à signaler que même si les groupes terroristes de la région sont affaiblis, leur affaiblissement peut nous être encore fatal.
A chaque fois qu’on dit qu’ils se scindent de plus en plus, il y a une riposte.
En Kabylie, il y a jonction certes. Les terroristes ripostent à chaque fois qu’ils sont attaqués.
Par ailleurs, il est à noter que pour lutter contre le terrorisme il faut de l’argent et non seulement des armes.
Car, avec les moyens financiers on peut avoir tous les renseignements que l’on veut.
La Kabylie, elle aussi, vit sur une poudrière. C’est une bombe à retardement.
Et nous craignons le pire pour la capitale.
Même si Saddouki a été éliminé, cela ne voudrait pas dire qu’il n’y a pas de suite. Alger est menacée. Aussi, actuellement,
il y a une grande force de recrutement à Médéa.
Revenons au Sahel… comment faudrait-il agir pour en finir avec le phénomène du gangsterrorisme ?
Aujourd’hui, tout le monde doit s’y mettre pour régler le problème du terrorisme au Sahel ou bien chez nous.
Attention à l’ingérence étrangère car nous risquons d’avoir un « Tora Bora 2» à nos frontières.
Est-ce qu’il y a des contacts entre les maquis du Nord et ceux du Sud ?
Effectivement. Par le biais de certaines plumes, les médias. Si on coupe ces contacts, chaque groupe sera isolé de l’autre.
Le traitement des informations sécuritaires est délicat et un réel problème. Certaines plumes aident malheureusement à amplifier la situation.
Maintenant au Sahel, les terroristes et les contrebandiers n’utilisent plus le Thuraya. Ils communiquent entre eux par des messages verbaux ou écrits, pour ne pas être localisés.
A titre d’exemple, pour convaincre MBM de se replier, il fallait tout un travail.
Et je vous informe que MBM a juré à sa mère de ne plus renouer à ses actes terroristes, alors certains l’impliquent sans des attentats terroristes pour des raisons inconnues.
A rappeler que, récemment, MBM avait même affirmé qu’El Qaida n’existait pas au Sahel.
Donc, maintenant la situation doit se régler. Les chefs d’Etat doivent se réunir pour exclure tout corps étranger au Sahel. Je parle de l’Algérie, du Mali, du Niger et de la mauritanie.
A noter que la Mauritanie a fait des mains et des pieds pour l’ingérence étrangère au Sahel.
Je vous ai dit dernièrement, qu’après le colloque organisé le 13 mars à Alger, ça va être du parlé dans l’air. A titre d’exemple, le Mali qui maintient à dire que personne ne doit se mêler de sa situation sécuritaire.
On sait très bien qu’Abou Zeid s’est rétracté à l’extrême nord-est du Mali. Donc la situation est à craindre.
En tant que connaisseurs, on sait que l’ingérence va engendrer une force de recrutement. Attention à un Afghanistan bis. Ils vont légitimer le Gspc en Al Qaida pour lutter contre.
Les quatre pays sont les seuls à pouvoir lutter contre le terrorisme, L’Algérie en est assez capable. A rappeler que pendant la décennie noire, on était seuls contre tous.
Le Sahel est sur une poudrière qui risque d’éclater avec cette ingérence étrangère. Je crains aussi que d’autres jeunes Touareg se rallient au Gspc, puisque dernièrement quelque 100 jeunes Touareg ont rejoint le Gspc.
Et c’est cela qui va amplifier la force du terrorisme, car étant donné que les Touareg connaissent toutes les issues de la région du Sahel.
Les opérations terroristes vont être très dangereuses. A rappeler que l’Algérie qui est tirée d’affaire, a tout fait pour lutter contre le terrorisme, même si certains ont tout fait pour nous affaiblir.
Autre chose, il y a de sérieuses appréhensions sur le risque d’attentats imminents en France en guise de représailles contre le raid mené au Mali par des soldats français et mauritaniens.
Tout le monde doit être vigilent, car la lutte n’est pas un problème d’Etat, elle concerne tout le monde, à savoir les autres pays.
Aujourd’hui, il faut savoir que la situation s’empire. Il y a une grande force de recrutement aussi bien en Algérie qu’au Sahel.Je rappelle qu’on risque de faire face à un terrorisme de 4e génération, sans nom et sans adresse.
Il y aura toujours un après Droudkel, Abou Zeid ou autre.
Si les quatre pays concernés appliquent la réconciliation nationale, les groupes terroristes seront affaiblis.
Et MBM, il est où ?
Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il est derrière les frontières.
Et concernant l’affaire Germaneau ?
Il est à noter que les chefs de tribu étaient en négociations pour le libérer et l’opération française a accéléré les choses. En somme, Germaneau a été victime de Sarkozy qui veut trouver une excuse pour son ingérence au Sahel, avec l’avis de la Mauritanie qui a trahi l’accord d’Alger et donc l’Algérie.
Germaneau a été sacrifié, rien de plus.
Il est clair que ce qui s’est passé dernièrement au Sahel, en l’occurrence le raid français, était un scénario fabriqué et qui ne tient pas la route.
Autre chose, pour les deux ressortissants espagnols, je pense qu’ils vont être libérés sans paiement de rançon.
Conclusion ?
Donc le terrorisme est renforcé par le grand banditisme au Sud comme au Nord.
Le Sahel est en danger si l’ingérence étrangère persiste.
Les quatre pays concernés doivent trouver une solution entre eux.
Et il faut affirmer qu’il n’y a pas El Qaida au Sahel, ni en Algérie.
La Tribune des Lecteurs, 10/8/2010

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