Reportage: Dans les camps des réfugiés sahraouis

Une délégation composée de diplomates représentant vingt pays a effectué la semaine dernière une visite dans les campements sahraouis. Une initiative de l’UNHCR (Haut Comité aux réfugiés des Nations unies) et du PAM (Programme alimentaire mondial) afin que ces pays, donateurs potentiels au profit des réfugiés sahraouis, constatent les conditions de vie d’un peuple en exil depuis 33 ans ainsi que les efforts consentis par des ONG, sous la coordination du HCR et du PAM.
Un peuple dans le dénuement total mais qui survit grâce à la solidarité. Un peuple digne qui, par-delà les besoins matériels, réclame sa terre spoliée par les Marocains.
Aéroport Houari-Boumediène d’Alger, lignes intérieures, mardi soir. Nous reconnaissons Richard, le responsable du Programme alimentaire mondial, le PAM, à Alger. C’est notre contact, un monsieur rencontré au hasard d’une soirée mondaine, mais qui ne parle que de ce qu’il fait : l’assistance aux personnes les plus démunies.

Chez Richard, la cinquantaine entamée, les mots sont pleins de compassion.

A peine a-t-il entendu que le sujet de la faim dans le monde nous préoccupait (nous avons évoqué avec lui une de nos chroniques sur le sujet dans le Jeune Indépendant), que le voilà nous proposant d’accompagner cette délégation de diplomates en poste dans notre capitale vers les campements sahraouis, à la périphérie de Tindouf.
C’est environ deux mois avant cette mission et après deux à trois appels téléphoniques que le projet devient réalité.
Il est un peu plus de 20 heures et les passagers à destination de Tindouf commencent à affluer vers les guichets d’enregistrement des bagages. Au départ, le voyage ressemble un peu à ces périples organisés par les Tours Opérateurs avec toutes les précautions d’usage pour mettre à l’aise les invités.
L’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), M. Brahim Ghali, accueille ses homologues dans le hall de l’aérogare, en chemise, gracieux, se tenant bien droit avec un sourire qui dissimule à peine le profond tourment de ce diplomate ancien chef de guerre qui a donné du fil à retordre à l’armée royale marocaine.
A bord, faute de places suffisantes en classe affaire, de nombreux ministres plénipotentiaires se retrouvent assis aux côtés de simples citoyens, de familles de retour chez elles au sud, de travailleurs en fin de congé, de jeunes Européens membres d’ONG activant justement dans les campements des réfugiés sahraouis.
C’est peut-être la magie du désert qui fait des siennes et anticipe en ramenant les hommes, quel que soit leur rang social, dans la vérité du partage pour le meilleur et le pire.
Ces diplomates savent en fait qu’ils auront à rencontrer une population dans la misère. Leur manière humble de voyager confirme déjà l’élan du cœur.
Mélissa Pitotti, assise à notre gauche, vient de Genève, elle est attachée aux Affaires migrations et réfugiés pour les Etats-Unis. A notre droite, la présidente de l’ONG algérienne AFAD, Mounira Haddad, une dame amoureuse du peuple sahraoui et impliquée avec son ONG dans l’appui à la scolarité des réfugiés. Nous bavardons pendant le vol, et la cause sahraouie nous assure une amitié immédiate.
L’humilité des diplomates
Arrivés à Tindouf, après une escale à Béchar pendant laquelle nous sommes restés dans l’avion, un large comité d’accueil nous accompagne dans le salon d’honneur de l’aéroport où des rafraîchissements nous sont servis, sans oublier le traditionnel thé saharien.
Nos hôtes sont en réalité des professionnels de l’humanitaire : d’abord le Croissant-Rouge saharoui représenté par Bouhibeybi Yahia, qui sera notre guide pendant tout le séjour. Auprès du frère sahraoui, le représentant du Croissant-Rouge algérien, les membres du HCR, du PAM et de l’association AFAD, ainsi que des représentants du ministère des Affaires étrangères algérien chargés des relations avec la MINURSO à Tindouf. Après les salamalecs d’usage, des bus nous transportent en pleine nuit, à environ 03 h, vers Rabouni, la ville administrative du gouvernement saharaoui en exil sur la terre d’Algérie.
Surprenante traversée nocturne où succèdent aux barrages de notre ANP ceux des soldats de la RASD, des hommes souriants, en tenue militaire mais sans arme visible.
Plus que trente kilomètres à parcourir et nous arrivons enfin à Rabouni. On nous attend au campement du HCR où flotte l’emblème de l’ONU : une base appelée Weather Haven.
C’est dans des tentes modernes sous forme de grandes serres en arc, climatisées, que les diplomates sont hébergés par petits groupes, toujours dans l’esprit d’humilité qui caractérisera ces hauts responsables politiques, issus de différents pays, tout au long de cette mission généreuse où ils accepteront d’aller constater par eux-mêmes les difficultés énormes du peuple sahraoui, qui vit dans la souffrance depuis plus de 33 ans.
Une courte nuit de repos avant un programme de visite annonciateur de découvertes, d’émotions.
Trente-trois ans de misère
Le lendemain matin, chacun de nous, comme sortant de rêves confus, est ébloui par l’impressionnante luminosité du désert. Réverbération infinie sur le sable parsemé de cailloux. Erg ou reg ? Nous essayons de «cogner» nos connaissances théoriques à la situation.
Puis petit déjeuner copieux servi dans la tente cafétéria de Weather Haven, très bien équipée : longue table bien garnie, lait, café, thé, gâteaux, confiture, œufs durs, machine à jus des plus modernes, verres jetables, vaisselle en céramique, corbeilles remplies de pain…
Une abondance banale de nos temps, pourrait-on dire. Mais c’est que nous sommes encore dans la sphère privilégiée des Nations unies recevant des invités qu’il faut choyer malgré le contexte de misère générale que notre visite va nous faire découvrir.
En ce mercredi, le programme nous amène à quelques kilomètres de notre gîte, dans une aire de stockage de denrées alimentaires. Ce sont les dépôts du Croissant-Rouge algérien (CRA) et du Croissant-Rouge sahraoui (Media-Luna Roja Sahraoui-MLRS).
Le président du MLRS, Yahia Buhoubeyni, donne les premières preuves du haut niveau d’organisation de son peuple, assisté par les ONG, le HCR, le PAM et, bien entendu, le CRA. Devant un plan de la zone de stockage, où figure aussi la liste des pays donateurs, il nous explique que les conditions de conservation des produits alimentaires qui proviennent par exemple de l’Ouest algérien, du port d’Oran plus précisément, ne sont pas satisfaisantes. En effet, faute de hangars, ce sont dans des conteneurs empilés au beau milieu du sable que les vivres attendent d’être distribués. Un magasin d’urgence depuis plus de 33 ans.
Ici des sacs de sucre achetés au Brésil par le gouvernement italien, là de la farine de blé américain octroyée par les Etats-Unis ou ECHO, le service d’aide humanitaire de la Commission européenne. «Mis à part la période faste des années 2000 à 2003, nous n’arrivons plus à garantir trois mois de réserves pour la population des campements, en dépit d’un rationnement strict visant un apport diététique de 2 100 calories/jour par personne.»
Et Bouhoubeyni de faire ouvrir la plupart des conteneurs. Spectacle d’un scénario catastrophe, avec un minimum drastique de produits depuis des décennies : «Malgré ces efforts considérables et tandis que la situation perdure, les Sahraouis souffrent de multiples maux : anémies, retards de croissance chez l’enfant, troubles dus à la malnutrition…» Puis, présentant son tableau signalétique, le président de MLRS montre l’espace vide qui attend l’inscription de nouveaux donateurs. C’est le but de la visite guidée à travers le monde misérable des réfugiés. Qui pourrait l’oublier ?
La délégation poursuit son petit bonhomme de chemin vers un atelier plutôt surprenant, où l’ONG Triangle Génération Humanitaire s’applique à encadrer de jeunes mécaniciens sahraouis chargés de la maintenance des camions qui effectuent les rotations pour acheminer les vivres depuis les aires de stockage vers les cinq campements, éloignés pour certains de centaines de kilomètres.
Au milieu du désert, ce «garage» semble aux normes, même si le responsable de TGH nous rend compte du manque patent de pièces de rechange et de la vétusté du matériel roulant dont la durée de vie est largement dépassée, d’autant plus qu’il faut arpenter des pistes cahoteuses. C’est alors l’heure du déjeuner, un repas copieux à «très haute valeur nutritive» nous attend dans une salle modeste du Protocole, sorte de camp composé de pièces construites en dur, briques de terre, autour d’une grande cour hospitalière. Cet espace étant apparemment réservé à l’accueil des différents visiteurs par les responsables de la RASD.
C’est Mariem Salek, la ministre de l’Education, qui nous reçoit à sa table. A la fin du repas, nous pouvons assister à la projection d’un documentaire sur l’enseignement dans les campements de réfugiés. Classes en temps de guerre pour défendre sa liberté et son droit à l’autodétermination. Les chiffres sont énoncés, mettant en exergue la bonne volonté et, surtout, les besoins, pourtant élémentaires.
Des wilayas de terre et de toile
Le premier campement que nous visitons est celui de la wilaya de Smara. En fait, les réfugiés sahraouis ont donné le nom de certaines villes occupées par les Marocains à leurs campements, qu’ils ont structurés en véritables wilayas avec une administration locale et son staff conduit par un wali. Incroyable conjuration du sort que cette résistance symbolique à la négation de leur république par le Maroc, force d’occupation appuyée par certaines puissances qui refusent encore de reconnaître la RASD.
Peu de moyens, certes, mais une détermination à recouvrer leur indépendance qui ne laisse place à aucun doute. La secrétaire générale de la wilaya nous reçoit, avec un premier discours rappelant l’histoire de l’exil sahraoui. S’adressant aux diplomates, elle lance un appel pour que, outre l’aide humanitaire, les différents pays représentés dans la délégation fassent pression «pour que le peuple sahraoui puisse enfin retourner en sa terre riche et prospère mais spoliée.»
Un campement se présente par des tentes alignées alternant avec des baraques de terre entrecoupées de ruelles où sont garées quelques vieilles «galoufates», de vieux 4X4 récupérés parfois aux enchères, ou des voitures berlines des années 1990. A quelques dizaines de mètres, d’étranges enclos circulaires, faits de grillage et de tôle, font face à l’habitat humain. Ce sont des écuries de fortune qui hébergent les nombreuses chèvres, uniques animaux domestiques que nous pouvons rencontrer dans ce biotope hostile. Des femmes nous expliquent que ces pauvres bêtes ne se nourrissent que des rares déchets alimentaires de leurs propriétaires, en l’absence de fourrage ou d’herbe dans cette région désertique.
La vie est donc rythmée par l’école, la distribution des produits alimentaires, de l’eau potable et les visites vers d’autres campements ou vers le «centre administratif» de Rabouni. Cet après-midi nous apportera son lot de surprises mi-gaies, mi-tristes. Gaies parce que c’est un peuple d’une extrême gentillesse que nous découvrons avec cette joie de vivre par delà les difficultés.
Tristes parce que nous sommes témoins d’une séquence de vie qui nous culpabilise du repas avalé quelques heures plus tôt : des bidons d’huile viennent d’être distribués, une quote-part ne dépassant pas un litre par mois par foyer.
Les femmes semblent néanmoins sereines : aucune plainte, seuls des cris de «Yahia l’istiklal» suivi d’un «Inchallah» chers à ceux qui savent patienter. Les diplomates, assistés pour la traduction du personnel humanitaire, discutent avec ces familles, qui les invitent dans leurs tentes à prendre le thé, pourtant rare. L’émotion est bien là ! Ces campements sont d’une austérité étonnante quand on sait que ces bonnes gens sont installées ici depuis trois décennies.
Felouka est maman, elle est née ici, mais ne désespère pas de rejoindre sa terre, son paradis perdu. Au cours d’une discussion avec notre accompagnateur, Bachir, un quinquagénaire polyglotte qui a beaucoup voyagé et vit à Smara, nous comprenons que cette population de réfugiés n’est pas encline à s’investir dans un cadre de vie définitif dans les campements: «Nous sommes sur la terre de nos frères algériens qui ont bien voulu nous accueillir, mais nous savons qu’un jour nous retournerons chez nous, demain ou plus tard, dans notre pays», lâche Bachir quand nous le pressons de questions sur les raisons d’un tel dénuement.
A Smara, nous nous rendons dans deux écoles primaires, infrastructures trop modestes pour une si grande et vertueuse mission, celle de transmettre le savoir et d’éduquer. Ici, les enseignants, pour la plupart des femmes, sont bénévoles. C’est aussi une particularité des Sahraouis que celle de se consacrer à leur rôle social sans rémunération, par simple conviction. Belle leçon de résistance !
En attendant le retour
La population des campements est estimée à quelques milliers de personnes quoique le chiffre pose un réel problème en raison de l’enjeu démographique que suppose l’organisation d’un référendum que les Sahraouis attendent toujours pour donner une chance à leur autodétermination.
Bachir nous rappellera qu’une bonne partie de son peuple vit aussi au pays, sous occupation et que d’autres sont à l’étranger formant une diaspora de plus en plus importante.
C’est qu’il connaît son sujet, puisqu’il a fait partie de la commission chargée du recensement des Sahraouis authentiques, à l’époque où le gouvernement marocain tablait sur le truchement de ses sujets pour faire basculer en faveur de la volonté du Makhzen un éventuel référendum.
A El-Ayoun, c’est le wali, Mohammed Lamine Dedi, qui organise une réception. Le discours sera hautement politique, une fois encore : reconnaissance envers les pays donateurs, mais urgence d’un soutien général à la cause légitime de son peuple. S’ensuit la visite des ateliers divers qu’animent de nombreuses associations venues d’Espagne, comme cette coopérative de femmes avec des activités de tissage ou de coiffure, un musée, un centre culturel avec exposition de toiles révolutionnaires d’artistes engagés…Autre structure financée par la Suède, le centre Olof Palme, spécialisé dans la prise en charge des handicapés et déficients mentaux.
Le soir, le programme annonce un répit pour nos consciences, face à autant d’injustice humaine : un repas sera offert sur le site féerique des Dunes par Mme Khadidja Hamdi, ministre de la Culture, l’épouse du président de la RASD, Mohammed Abdellaziz, absent en raison d’un voyage officiel.
Un peuple qui n’a jamais recouru au terrorisme
Quelques photos prises sur la grande dune avant la tombée de la nuit. Une grande kheïma nous abrite autour d’un buffet ou des grosses parts de viande sont posées parmi les divers plats méticuleusement préparés.
Riz, salade, poulet, méchoui de mouton, fruits et diverses boissons, eau minérale… à consommer sans retenue, en face d’un orchestre local qui agrémente la soirée magique à faire presque oublier les images d’austérité.
L’ambiance est à la joie, au milieu du désert, sous une tente, près des dunes légendaires. On veut s’oublier, plus de clivage du tout, les membres de la délégation se connaissent désormais, les ambassadeurs et autres premiers secrétaires sont en tenue de randonnée, décontractés, touchés par la simplicité des mœurs locales, par la bonne humeur malgré la misère.
On se surprend à balancer des hanches, à s’encanailler sans alcool mais grâce à la voix magnifique du duo de chanteurs sahraoui, ce couple qui entraîne l’ensemble des convives dans son refrain à tue-tête. «Yaou… allez tous ensemble, Yaou…»

Alors soudain, retour à la réalité, la chanson s’achève, Madame la ministre de la Culture prend le micro, dans un silence soudain. «Bienvenue encore une fois à tous et merci d’avoir bien voulu vous déplacer et venir constater de vos propres yeux nos conditions de vie. J’espère que vous aurez compris que tout ce faste, ces tables bien garnies, ce luxe apparent en contraste avec ce que vous savez, c’est-à-dire notre dépendance alimentaire pendue à vos aides généreuses, tout cela est justifié et n’a été possible que parce que dans notre culture nous pouvons rester pratiquement sans manger pour bien recevoir nos hôtes.
C’est un sacrifice que nous savons faire, depuis des lustres. Cependant, notre réalité est tout autre, nous ne mangeons pas à notre faim. Vous l’avez vu. Nous n’avons d’un gouvernement que la forme symbolique. Je ne suis moi-même une ministre que dans les dires et par nécessité. Le véhicule qui m’a ramené ici pour vous rejoindre n’a pas de roue de secours. Et c’est pourquoi que suite à une crevaison, je suis arrivée en retard.
Je n’ai de ministre que l’étiquette, je n’ai ni escorte pour me protéger, ni demeure luxueuse à Alger ou ailleurs, je vis parmi les miens, comme les miens. C’est la femme sahraouie qui vous parle… Mais le plus dur, c’est cette surdité internationale vis-à-vis de notre résistance à l’occupation marocaine de notre territoire. Vous devez nous aider, vous devez défendre notre droit à l’autodétermination, notre peuple n’a jamais recouru au terrorisme ni à la violence aveugle.
Nous avons opté pour un cessez-le feu, mettant fin à la guerre, mais nos enfants nous le reprochent à présent parce qu’aucun résultat n’est palpable. Nous sommes toujours dans la misère. Ne laissez pas la situation pousser notre jeunesse vers le pire. Aidez-nous à faire entendre ce message. Une solution urgente pour notre légitime droit au recouvrement de notre indépendance.»
Plusieurs fois étranglée par les larmes, la digne ministre de la Culture expliquera aussi que pour son gouvernement, l’accès à la culture est aussi important que la nourriture, en raison des dangers d’une dépersonnalisation des Sahraouis soumis à la rudesse de l’exil.
Elle parlera des projets d’une réhabilitation de la tradition orale sahraouie avec un retour à ses enseignements, en plus de l’école moderne. Un projet qui nécessite aussi l’aide internationale.
Après cette émouvante allocution, M. Michel Mujica, ambassadeur de la République du Venezuela à Alger, prendra la parole pour une courte intervention qui brisera la réserve politique observée par l’ensemble des représentants diplomatiques de la délégation.
«Nous ne comprenons pas pourquoi aucune solution urgente n’est apportée à la question de l’indépendance du peuple sahraoui, alors que les résolutions onusiennes sont claires. Certains pays nous ont appris ce que sont les droits de l’homme, mais ils ne soutiennent paradoxalement pas ceux du peuple sahraoui, y compris celui du droit à sa terre légitime…»
Un message fort venu rassurer les dirigeants de la RASD sur la question politique, quoique la mission de ce séjour demeure essentiellement l’aide humanitaire. La musique reprend, on tente tant bien que mal de s’oublier de nouveau, mais la détresse des hommes tempère parfois la joie des autres.
Sahraoui blues
La dernière journée de la mission nous permettra de visiter un hôpital national à Rabouni, une structure de santé assez spacieuse, modestement équipée mais qui permet, notamment grâce à son service de gynécologie obstétrique, de limiter les évacuations vers Tindouf, évitant ainsi des pertes en vies humaines. Le personnel qualifié est sahraoui et l’approvisionnement dépend de l’aide internationale. La mortalité infantile semble avoir quelque peu diminué, malgré les carences alimentaires et les conditions sanitaires difficiles.
Nous nous dirigeons alors vers la station hydraulique principale où un film documentaire nous est projeté avec des explications d’un haut responsable du secteur qui expose les différents défis relevés pour l’acheminement des eaux vers les campements : problème de la salinité élevée, du traitement chimique, de la disponibilité des équipements…
Encore une occasion de constater le grand sens de l’organisation des Sahraouis, assistés par la coopération espagnole dans ce domaine.

Après cet épisode plutôt technique, nous prenons la route en direction de l’école du 12-Octobre, un internat pour collégiens, situé à environ trente kilomètres quelque part dans le désert.
Bachir, notre sympathique accompagnateur, répond à notre interrogation sur leur capacité d’orientation sans GPS par un «regardez le soleil !», s’amusant une énième fois de notre dépaysement de nordiste ! Bachir est un peu plus excité aujourd’hui parce qu’il va voir deux de ses enfants scolarisés dans cette école que nous allons visiter. Au milieu du sable, une sorte de camp rectangulaire aux murs extérieurs aveugles.
Le drapeau de la RASD flotte et il faut accélérer pour ne pas s’ensabler à l’entrée de l’école. Comme toute construction du Sud, les pièces sont ouvertes vers l’immense cour intérieure. Comme tout pénitencier aussi. C’est la première impression que donnent les lieux. Une espèce de camp d’internement isolé du monde.
Seule la joie apparente des enfants qui nous accueillent par une chorale entonnant des chants patriotiques nous remonte un peu le moral. C’est la désolation, de vieilles baraques entourent le patio géant, certaines consacrées à la classe, d’autres à l’internat.
Les chambres d’internat ressemblent à de grandes cellules. Grandes pièces désolées, meublées de simples lits avec des matelas récemment acquis grâce à l’ONG algérienne AFAD, dont nous parlions précédemment.
Point de casiers ou d’armoires. Sur les murs, des chambres de garçons, des dessins et drapeaux sahraouis et… un drapeau algérien.

Reconnaissance garantie envers la terre d’accueil. Sur les murs des chambres habitées par les filles, l’expression de sentiments, d’amitié jurée éternelle. Le directeur nous présente alors le réfectoire, sombre salle pour déjeuner d’un repas frugal servi dans de simples gamelles en fer blanc. Le four de la boulangerie locale sera la seule fierté de notre brave directeur d’école qui nous dira ne proposer que des légumes secs à ses internes, «des légumes secs quand ils sont disponibles.»
Nous quittons l’école, perturbés, sauf Bachir peut-être qui a pu embrasser ses enfants. Dans la voiture, nous essayons de ne pas évoquer ces conditions de vie horribles pour de jeunes préadolescents, n’était-ce l’affection évidente de l’encadrement scolaire.
Du cœur à la raison
Une dernière soirée a précédé le départ vers Alger. Au siège de la Présidence, à Rabouni, M’hamed Khaddad, coordinateur sahraoui avec la Mission des Nations unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO), a reçu la délégation en présence de Carmen Johns, qui assure l’intérim à la tête de la MINURSO.
Un repas convivial qui s’est terminé par la remise de cadeaux : une tenue traditionnelle à chacun des membres de la délégation. L’hospitalité et son corollaire de générosités collent à la peau des Sahraouis. «Et encore, nous ne sommes pas vraiment chez nous», conclut Bachir peiné de nous voir déjà partir.
Il est 02h40 quand l’avion décolle de Tindouf pour nous ramener à Alger, d’où les rapports circonstanciés devront partir vers les capitales de pays qui ne pourront plus jamais ignorer la condition terrifiante des réfugiés sahraouis. En effet, une réunion à huis clos s’est tenue en ce dernier jour, avant la soirée à la Présidence, regroupant les ONG, le HCR et le PAM, en présence de la délégation de diplomates.
Nous ne sommes pas présents, mais quelques indiscrétions nous apprennent qu’il s’est agi d’une discussion à bâtons rompus sur l’efficacité des organismes humanitaires chargés d’acheminer et de distribuer les différentes aides. Le débat aurait mené le HCR à une autocritique positive sur la nécessité de coordonner davantage les ONG engagées dans la réalisation de projets comme un entrepreneur peut l’être selon un cahier des charges.
Les diplomates auraient exprimé leur grande satisfaction d’avoir pu bénéficier de cette mission spéciale tout en appréciant le travail colossal fourni par les humanitaires. Richard du PAM, Mateu du HCR, Mounira d’AFAD, Dr Benzeghir du CRA et bien entendu Yahia Bouhibeyni du Croissant-Rouge sahraoui semblent avoir gagné leur pari : sensibiliser davantage de potentiels donateurs pour l’aide humanitaire.
Un objectif indépendant de la demande d’un appui politique qui a été formulée à maintes reprises par les officiels sahraouis mais aussi par les femmes qui nous ont reçus sous leurs tentes. C’est toute la complexité de la question de ces réfugiés sahraouis qui, comme l’a fait remarquer un de ces diplomates, «ne sont pas victimes d’une catastrophe naturelle mais d’un déni de droit qui interpelle la responsabilité de la communauté internationale.»
Une réflexion qui pose les premières pierres d’un pont entre le cœur des humanitaires et la raison des Etats capables de mettre fin à la souffrance d’un peuple.
N.M

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