Vu de Madrid : les entreprises espagnoles à l'épreuve dans un «Maghreb compliqué»

1900 millions de dollars ! Les médias espagnols ont mis en exergue l’ampleur de la facture que devra payer le groupe Gas Natural (GN) à Sonatrach à la suite de la décision du tribunal d’arbitrage de Paris du 16 août dernier qui donnait raison à l’entreprise publique algérienne d’hydrocarbures dans le contentieux sur le prix du gaz opposant les deux parties. Au-delà, c’est un «Maghreb compliqué» qui met les intérêts espagnols à l’épreuve. Un regard espagnol sur une relation triangulaire difficile. 

Les médias espagnols mettent en exergue régulièrement les difficultés majeures de l’Espagne à gérer ses intérêts vis-à-vis de ses deux voisins du Sud, l’Algérie et le Maroc. Jésus Cacho Cortes, vieux routier du journalisme économique (il a fait ABC, El Pais, El Mundo) qui dirige désormais le site en ligne El Confidencial, regrette presque les temps bénis du père Duran Farrel, «l’un des entrepreneurs les plus influents de la transition», ancien président de Gas Natural qui «connaissait le désert algérien presque aussi bien que le village de Caldes de Montbui où il est né». 

Duran Farell, explique-t-il, a tissé des relations directes avec les Algériens immédiatement après l’indépendance et a convaincu les responsables algériens de signer un accord à long terme de vente de gaz à l’Espagne. «Cela n’a pas été facile», écrit le chroniqueur-analyste, mais quand surgissait un problème apparemment insoluble, Duran s’enfonçait dans le désert. Il s’installait en bivouac coté d’un puits et attendait le temps qu’il faut, jusqu’à ce que les dirigeants de Sonatrach viennent à sa rencontre. Ces liens que le père Duran a tissés en Algérie ont permis des succès qui contrastent aujourd’hui avec la «détérioration» des relations entre Sonatrach et Gas Natural. La cause ? Le tournant pro-marocain effectué par le gouvernement de Rodriguez Zapatero. 

«L’idée qu’énergie et géostratégie vont toujours de pair dans le monde moderne est une assertion qui se traduit en réalité blessante dans le cas de l’Espagne». L’Espagne subit donc les contrecoups de la «rivalité historique» entre l’Algérie et le Maroc. A chaque veille de réunion de l’assemblée générale de l’Onu, le «Sultan de Rabat serre les vis autour de Ceuta et Melilla pour rappeler à Madrid qu’il ne le convient pas d’appuyer à New York des résolutions qui nuiraient à ses intérêts». Et «notre héroïque Zapatero» fera ce qu’il faut. Sauf que les «tribulations de la Moncloa» – siège de la présidence du gouvernement espagnol – sont «très suivies» à Alger et cela donne des ruades qui «finissent toujours par rebondir sur le cul de GN (Gas Natural). La situation était totalement inversée sous le gouvernement Aznar» «ami personnel du président Abdelaziz Bouteflika». 

Khelil, représentation des «angoisses de Gas Natural» 

Dans ce jeu de «ping-pong», l’arrivée de Zapatero au pouvoir a fait empirer les choses. Au ministère de l’Energie algérien, Chakib Khelil, «président de fait de Sonatrach» allait devenir, écrit-il, la «représentation vivante» des angoisses de GN, et aussi de Repsol. Ce proche de Bouteflika, écrit le chroniqueur, maîtrise parfaitement le catalan. Il a aussi vécu un certains temps à Ceuta et Melilla «et semble-t-il en a gardé un fort mauvais souvenir». La hausse des prix du pétrole en 2005 a amené Khelil à croire qu’il pouvait convertir l’Algérie en une «Russie du Maghreb» qui ouvrirait et fermerait «le robinet du gaz à sa convenance». Du coup, affirme-t-il, tout est «devenu difficile» avec Sonatrach qui jusque-là respectait scrupuleusement les contrats signés. Khelil a imposé une «politique très agressive, très dure contre les intérêts espagnols en Algérie». Devant le refus espagnol, il y a eu recours au tribunal d’arbitrage dont la sentence a été favorable à Sonatrach. Jésus Cacho Cortes note que GN a décidé de faire un recours devant le Tribunal fédéral de Genève mais qu’il y a peu d’espoir «à ce que le gazier espagnol obtienne autre chose qu’une perte de temps et d’argent». La version algérienne est bien différente, explique le journaliste. Avec des prix de pétrole en forte augmentation – 100 dollars en 2007 et 150 à la mi-2008 – la renégociation du prix du gaz fourni à l’Espagne à travers le gazoduc GME était inévitable. Le contrat prévoyait la saisine du Tribunal d’arbitrage de Paris en cas de différend. 

La rigidité de Vilaseca 

Au printemps 2009, les Algériens ont accepté une médiation menée par le Basque Emiliano López Achurra, membre du conseil de GN, qui a failli être couronnée de succès. Chawki Rahal, vice-président et responsable du marketing de Sonatrach a accepté d’aller dîner à Barcelone avec le président de Gas Natural, Salvador Gabarró et le directeur exécutif, Rafael Villaseca. «Ils ont décidé d’annuler le rendez-vous à la dernière heure». Ils ont pensé que montrer une disposition à négocier serait faire preuve de «faiblesse et envoyer un signal que les choses allaient mal au niveau du Tribunal de Paris». «Ils se sont trompés. Les consommateurs espagnols finiront par en payer les conséquences». Le climat n’était pas propice à un accord. La décision de Sonatrach de rompre unilatéralement en novembre 2007 le contrat de développement du grand projet de Gassi Touil confié au consortium espagnol GN-Repsol a été perçue, «dans le monde énergétique comme un symptôme clair de la furie nationalisatrice impulsée par Khelil». L’affaire tranchée par le Tribunal arbitral de Genève a été une nouvelle «douche froide» pour GN. «En sourdine, un actionnaire de référence de GN critique la «rigidité» d’un homme aussi brillant que Villaseca». Il a choisi la confrontation avec une entreprise qui est un Etat et n’a pas tenu compte de la géographie et des intérêts stratégiques qui lient l’Espagne à son premier fournisseur de gaz. 

Des coups de pied à Zapatero… dans le cul de Gas Natural 

Existe-il une relation entre le différend de GN avec Sonatrach et la question du Sahara Occidental ? Du côté du gazier espagnol, on confirme qu’il n’y a jamais eu de pressions directes… mais, dit-on, «si on observe les dates, il est loisible d’arriver à quelques conclusions significatives». Certains affirment que les problèmes des entreprises espagnoles avec Sonatrach ont commencé avec l’arrivée de Zapatero à la Monclua et à son pari avec le Maroc. «Quand il y a des problèmes politiques, les Algériens donnent des coups de pied à Zapatero dans le cul de Gas Natural…». A tort ou à raison, les entreprises espagnoles considèrent que le débarquement du staff de Sonatrach et le limogeage de Khelil dessinent un «horizon propice pour parvenir à «un accord sensé pour tous». On fait valoir que la crise économique a eu des incidences sur les prix et les volumes exportés par Sonatrach. L’Espagne a en outre réduit sa dépendance à l’égard de l’Algérie. Le bonheur de GN serait complet, explique le journaliste, si on lui refermait la «brèche» ouverte qui permet à Sonatrach de vendre directement du Gaz en Espagne. GN y voit une menace sur son marché et un «reste des idées «impériales» de Khelil. 

Dormir sous les étoiles comme le père Duran 

En réalité, estime Jésus Cacho Cortes, on est devant un problème «sensible» lié à une «diplomatie espagnole faible, frôlant désormais la servilité sans fin quand il s’agit de Rabat». Les services algériens connaissent également les relations étroites personnelles qui lient le Juan Charles I à Mohamed VI et cela ne contribue pas non plus à «une situation d’équilibre entre nos voisins belliqueux nord-africains». Conclusion dubitative de l’analyste : «l’Espagne semble condamnée à subir alternativement le harcèlement de l’Algérie ou du Maroc voire des deux à la fois». Sa conclusion ? Les entrepreneurs énergétiques espagnols, au lieu de faire antichambre à la Moncloa pour demander de l’aide, devraient «faire comme le père Duran et aller au désert de temps en temps dormir sous les étoiles». 

Par Oussama Nadjib

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