La liberté de presse au Maroc, selon Mohammed VI

Le ministre de la communication du Maroc, M. Khalid Naciri, déclarait, à la fin du mois de septembre, lors de la cérémonie de clôture de la réunion du bureau exécutif de la Fédération des journalistes africains (FJA), que le Maroc dispose d’une presse indépendante et permet aux journalistes étrangers de travailler en toute liberté sur son territoire. Tout en précisant toutefois que le Royaume est en droit d’exiger des médias étrangers « le respect de la déontologie de la profession lorsqu’il s’agit de traiter de questions allant à l’encontre des orientations » du pays. C’est ce même ministre qui n’a pas hésité à abuser de son pouvoir pour exiger la libération de son fils après une violente altercation et qui a fait l’objet d’unedénonciation de la presse marocaine. Khalid Naciri, écrit CityDZ, est particulièrement connu pour ses interventions dans les médias étrangers pour justifier la censure et l’emprisonnement des journalistes « pour non-respect de la loi ». L’incident a été diffusé sur … Youtube!

Mustapha Iznassni, journaliste, membre du Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH) soulignait, lors du séminaire « Société civile UE-Maroc sur la liberté de la presse », son organisme, en tant qu’institution nationale de protection et de promotion des droits de l’homme, n’a cessé d’accorder à la liberté de la presse une importance accrue en s’appuyant sur les dispositions de la Constitution relatives à la liberté d’expression et d’opinion, les principes et standards internationaux des droits de l’homme et sur les engagements internationaux du Royaume. Monsieur Iznassni a rappelé que le Maroc connaît, depuis quelques années, des transformations profondes en matière d’édification démocratique et de promotion des droits de l’homme, ce qui a eu pour conséquence l’élargissement des espaces des libertés.

Selon le diplomate européen, Eneko Landaburu, la démocratie, les libertés et la confiance sont autant de valeurs qui constituent désormais un dénominateur commun entre le Maroc et l’Union Européenne. Ce sont également autant de principes et de valeurs qui ont permis au Maroc, d’être le premier pays du sud méditerranéen à bénéficier d’un statut avancé auprès de l’Union Européenne. Cependant, selon d’autres sources, l’UE reste préoccupée par l’état de la liberté d’expression et de la presse au Maroc et de la lenteur de la réforme de la justice.

Dans ce concert qui semble faire unanimité, tout un chacun omet de dire que trois sujets bousculent au Maroc ces beaux principes de liberté et de démocratie : la royauté, la presse et le Sahara (Le Sahara Occidental, ndds). Si vous vous aventurez à commenter de travers l’un de ces trois sujets, gare à vous. Le Il n’en est rien si vous abordez l’un des trois sujets précités. Maroc vit sous une épouvantable hypocrisie d’ouverture et de liberté.

Le Maroc fait partie des pays qui n’ont pas de loi sur la protection du secret des sources des journalistes. Revendiquée depuis 1994, le législateur ne juge pas nécessaire d’enchâsser cette protection dans le code de la presse. Si des fonctionnaires, des militaires ou des journalistes diffusent une information sans autorisation préalable ou publient des informations classées « confidentielles » ou « secrètes », ils sont passibles d’emprisonnement.

Le 14 octobre prochain, le Conseil de gouvernement devrait débattre d’un projet de loi sur l’accès à l’information. À cette occasion, le ministre de la modernisation des secteurs publics, Mohamed Saad Alami, soumettra un projet de loi organique pour garantir le droit d’accès à l’information. Que contiendra ce projet de loi ? Cette loi pourrait, selon des sources marocaines, ne va pas concerner que les médias et les journalistes mais l’ensemble des citoyens désireux d’obtenir une information d’une administration (ministère, agence étatique, wilaya, commune, conservation foncière,…) sans oublier les entrepreneurs et investisseurs nationaux et internationaux.

Et que se passe-t-il dans les faits ? Comme l’indique Rue89, Nichane, le premier magazine arabophone au Maroc, a fermé ses portes le vendredi 1er octobre. Ce support moderniste crée en 2006 comme la version arabophone du magazine TelQuel, était connu pour l’indépendance de sa ligne éditoriale, et ses positions souvent critiques vis-à-vis du pouvoir. C’est le boycott publicitaire depuis au moins un an, après avoir tenté en 2009 de publier, avec Tel Quel et le quotidien français Le Monde, un sondage de la population marocaine sur les dix ans de règne de Mohammed VI, qui a étouffé Nichane en faisant chuter considérablement ses recettes. Selon le rédacteur en chef de Nichane, Ahmed Réda Benchemsi, « la monarchie ne peut être mise en débat, même par la voie d’un sondage ». Comme l’indique également Reporters sans Frontières : « Il est clair que depuis sa création en 2006 Nichane dérangeait avec sa ligne éditoriale souvent critique et son indépendance de ton. Avec la fermeture de ce journal, c’est un nouvel espace d’exercice de la liberté d’expression qui disparaît, comme tel avait été le cas suite à la fermeture du Journal hebdomadaire en janvier dernier. Le pouvoir a orchestré l’asphyxie financière de Nichane. Cette pratique est abjecte, alors même que le Maroc est en train de négocier avec le Conseil de l’Europe le statut de partenaire avancé pour la démocratie. Nous exhortons les instances européennes à soutenir de manière active la presse indépendante au Maroc ».

Depuis déjà plusieurs années, l’Organisme de justification de la diffusion des journaux (OJD), qui a vu le jour en juin 2004, à Casablanca, contrôle les diffusions de toutes les publications Au Maroc. Organisme tripartite regroupant les éditeurs de presse, les annonceurs et les agences de publicité, sa mission est de certifier la diffusion de la presse payante marocaine. Les résultats de ses contrôles constituent une référence essentielle, par exemple, pour l’élaboration des tarifs de publicité des supports certifiés. Les chiffres de l’OJD Maroc peuvent servir aussi, dans de nombreux cas, de base de référence pour les pouvoirs publics, l’administration, les tribunaux, etc… lorsque se pose la question de connaître avec exactitude la diffusion des supports de presse payante, peut-on lire sur le site de l’organisme de contrôle. La mésaventure de l’hebdomadaire Nichane a tout lieu d’être investiguée en profondeur puisque cette publication faisait partie du peloton de tête des publications les plus diffusées. L’OJD est-il inféodé au pouvoir ? Poser la question revient à y répondre, en quelque sorte.

Il faut savoir que le boycott publicitaire trouve sa source dans une décision du holding royal ONA/SNI (société de gestion Omnium nord-africain et la Société nationale d’Investissement). Comme le montre le groupe TelQuel, cité par le quotidien maghrébin, Marakech, la disparition de Nichane n’est qu’un épisode de plus de la grave détérioration de la liberté de la presse au Maroc. C’est à partir de 2009, que la lutte déterminée des autorités marocaines contre les journaux indépendants a connu une accélération remarquée. Le Groupe TelQuel rappelle également que des journaux ont été fermés illégalement par les autorités, d’autres ont été acculés à vendre leur mobilier pour payer des amendes disproportionnées. Plusieurs journalistes ont été harcelés par la police et la justice, alors que certains ont été contraints à l’exil et un journaliste a même été emprisonné pendant sept mois, en 2010.

Après ces commentaires, l’hebdomadaire TelQuel va-t-il connaître le même sort que sa version arabophone le magazine Nichane ?

Quelques exemples qui ne font pas honneur au Maroc : en octobre 2009, deux journalistes d’Al-Michaal Hebdo, Rachid Mahamid et Mustapha Hayrane, ont été condamnés à trois mois de prison ferme pour des articles publiés en septembre sur la santé du roi Mohammed VI. Le directeur de la publication a pour sa part été condamné à un an de prison. En novembre 2009, Rachid Nini, le directeur du quotidien marocain arabophone Al Massae – le plus fort tirage de la presse quotidienne au Maroc (plus de 154.000 exemplaires/jour) – a été condamné à une peine de trois mois d’emprisonnement et le journaliste auteur de l’article incriminé, Saïd Laâjal, a pour sa part été frappé de deux mois fermes pour avoir publié une « fausse information » liée au démantèlement, le 17 août, d’un important réseau de trafic de drogue au Maroc, une filière baptisée « Triha », du nom de son chef présumé.

Amnesty International a, en juin dernier, lancé un appel peu après la condamnation d’un journaliste à une peine d’emprisonnement de six mois et alors qu’un autre journaliste doit être jugé sur la base d’accusations manifestement motivées par des considérations politiques. Taoufik Bouachrine, journaliste et rédacteur en chef du quotidien Akhbar al Youm al Maghribyaa été condamné à une peine de six mois d’emprisonnement et à une amende, le 10 juin, après avoir été reconnu coupable d’escroquerie par le tribunal de première instance de Rabat. Il avait précédemment été acquitté en 2009 mais l’affaire a ensuite été rouverte par les autorités judiciaires, peut-être pour des raisons à caractère politique du fait de ses écrits critiques à l’égard du gouvernement. Ali Amar, autre journaliste à s’être montré critique de la monarchie, doit comparaître pour escroquerie et vol au titre de l’article 505 du Code pénal. Son arrestation et l’interrogatoire mené par la police ont été entachés d’irrégularités. Il a été arrêté le 4 juin 2010 en même temps que Zineb El Rhazoui, par des policiers venus perquisitionner le domicile de celle-ci à Casablanca, sans produire de mandat comme l’exige pourtant la loi marocaine. Ali Amar et Zineb El Rhazoui ont été conduits au poste de police et interrogés pendant 12 heures, notamment sur leurs écrits, avant d’être libérés. Cependant, trois jours plus tard, Ali Amar a été arrêté à Rabat, ramené à Casablanca et placé en détention pendant 24 heures avant d’être inculpé dans le cadre d’une affaire de vol d’ordinateur. Lors de cette détention, il a été interrogé par la police et les forces de sécurité sur ses voyages à l’étranger, en Espagne et en France, ses liens avec des organisations de défense des droits humains et ses écrits en tant que journaliste.

Zineb El Rhazoui, journaliste et co-fondatrice du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (MALI), a également fait l’objet de harcèlement de la part des autorités dans le passé en raison de ses activités pacifiques.

Un autre journaliste, Omar Radi, qui écrit pour l’hebdomadaire Le Temps, aurait été frappé et insulté par des policiers à Rabat le 20 juin 2010, au cours d’une manifestation pacifique qu’il couvrait pour son journal. Au moins neuf autres personnes qui participaient à la manifestation auraient été agressées physiquement par des policiers. L’ancien journal de Taoufik Bouachrine, Akhbar Al Youm, a été fermé par les autorités au moment de sa condamnation le 30 octobre 2009 – en même temps que Khader Gueddar, caricaturiste – pour outrage au drapeau national et non-respect dû à un membre de la famille royale ; les deux hommes ont été condamnés à quatre ans de prison avec sursis.

Et la liste s’allonge.

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