Les graves conséquences d’une décolonisation inachevée

Le Sahara occidental, 35 ans d’occupation marocaine : Les graves conséquences d’une décolonisation inachevée

Il y a trente-cinq ans, le défunt roi du Maroc, Hassan II, avait opéré un coup de force au Sahara occidental, qui était encore une colonie espagnole.

Ce territoire, classé «non autonome» depuis les années 60 par les Nations unies et à qui l’ONU promettait «un référendum d’autodétermination et d’indépendance», avait été abandonné précipitamment par l’Espagne. En fait, cette «puissance administrante», malgré sa promesse d’organiser le scrutin référendaire en 1975, avait initié secrètement un accord tripartite avec le Maroc et la Mauritanie, qui prévoyait le partage de sa colonie entre les deux pays maghrébins en contrepartie d’avantages économiques et géopolitiques. Un accord qui fut signé en novembre 1975. Un long calvaire attendait la population de ce territoire, conduite son «seul et unique représentant» le Front Polisario. D’abord les attaques de l’armée marocaine qui avait même usé du napalm et du phosphore blanc. Ensuite la guerre engagée entre l’armée du Polisario, l’ALPS, et les armées marocaine et mauritanienne, avant que Nouakchott décide de se retirer du conflit fratricide en 1979. Enfin la guerre opposant les deux parties sahraouie (ALPS) et marocaine (FAR), imposant ainsi à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA devenue UA) et aux Nations unies de s’engager dans la voie du parachèvement de la décolonisation au Sahara occidental. 

En 1988, soit 4 ans après l’admission de la République sahraouie (RASD) au sein de l’OUA, des propositions sont avancées conjointement par cette dernière et l’ONU, portant notamment sur l’instauration d’un cessez- feu, suivie d’un référendum sur l’autodétermination. Ces propositions avaient été acceptées par le Maroc et le Front Polisario. Le cessez-le-feu eut lieu en septembre 1991 et le plan de règlement onusien de 1991 décida aussi de la création d’une Mission de l’ONU pour un référendum au Sahara occidental (Minurso) et de la tenue de la consultation référendaire en janvier 1992.

Si le cessez-le-feu est à ce jour maintenu et contrôlé par les forces de la Minurso, le référendum, quant à lui, est reporté d’année en année. Cette situation est devenue intolérable pour les Sahraouis qui assistent au reniement, par le Maroc, de ses engagements internationaux de 1988, 1991 et 1997 (accords de Houston) et au silence des instances onusienne devant toutes ces volte-face. Pire, le jeune roi Mohammed VI, pour asseoir durablement son occupation, a intensifié les « marches vertes » dans le but de refaire la carte démographique et ethnique du Sahara occidental, imposé le black-out sur les zones sahraouies occupées, créé un Conseil consultatif (Corcas) dans le territoire pour contrecarrer l’influence du Polisario. Alors qu’aucun pays dans le monde, pas même ses alliés, ne reconnaît sa souveraineté sur le Sahara occidental, le royaume chérifien continue de jouir des richesses naturelles sahraouies, en toute impunité, et cherche, depuis 2004, à avaliser son idée d’autonomie de l’ex-colonie espagnole sous souveraineté marocaine.

Un second souffle à «l’Intifada de l’indépendance»

A ce tableau, il faut ajouter la déception et les frustrations des Sahraouis qui s’estiment trahis par le Conseil de sécurité de l’ONU, la poursuite de la politique de peuplement du territoire sahraoui occupé, dont l’une des conséquences est la marginalisation de la population autochtone, voire la persécution des Sahraouis, plus particulièrement ceux qui affichent publiquement leur position en faveur de l’application de leur droit à choisir librement leur destin, à travers un référendum d’autodétermination : arrestations, tortures, procès iniques, emprisonnements, disparitions, etc. Malgré la répression, les manifestations pacifiques lancées à partir de mai 2005 et portant le nom symbolique d’«Intifadha de l’indépendance», et les marques de sympathie qui lui sont parvenues, ont suscité beaucoup d’espoir dans les rangs des Sahraouis. Surtout, après la visite des membres du Haut-commissariat de l’ONU des droits de l’homme. Mais, la publication du rapport de la structure onusienne a été empêchée en 2006, principalement par la France, membre permanent du Conseil de sécurité, car le document accablait le Maroc et montrait le lien dialectique entre la répression des forces d’occupation et le déni entourant le droit légitime du peuple sahraoui à l’autodétermination. 

Le passage de Peter Van Walsum au poste d’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental (2005- août 2008) était trop partisan, sinon qu’il reflétait le point de vue dominant des Occidentaux. Dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, le diplomate néerlandais avait affirmé que l’option de l’indépendance n’est ni réaliste ni réalisable, allant jusqu’à suggérer au Polisario d’y renoncer. Et, alors que les interrogations devenaient persistantes, en 2009, devant le blocage, par Rabat, de la nomination de l’Américain Christopher Ross à la place de Van Walsum, puis devant le rejet marocain à l’idée d’autodétermination du peuple sahraoui exprimée par le nouvel envoyé spécial de l’ONU, éclata l’affaire d’Aminatou Haider, cette militante sahraouie honorée par plusieurs prix internationaux. Sa mémorable grève de la faim de 32 jours a montré le conflit maroco-sahraoui sous un autre jour. Refoulée par les autorités marocaines, le 14 novembre 2009, à son retour des Etats-Unis, l’action de la «Ghandi du Sahara occidental», qui a failli lui coûter la vie, a remis la question sahraouie au-devant de la scène internationale et aurait même réussi à donner un second souffle à «l’Intifada de l’indépendance».

En attendant décembre 2010…

L’année 2010 est très riche en événements. Dès le mois de janvier, le roi du Maroc annonce «la régionalisation élargie» et réaffirme son attachement à sa seule «initiative» d’autonomie au Sahara occidental «pour toute négociation sérieuse et responsable». Le mois d’après, les deux parties en conflit, réunis de façon informelle près de New York, ne parviennent pas à surmonter leurs désaccords. D’autres faits survenus, au cours de l’année, vont contribuer à polluer le climat, dans la région. On retiendra notamment le discours du 30 juillet du roi Mohammed VI, à l’occasion de la fête du trône, où il s’attaque ouvertement contre l’Algérie, avant de relancer son idée de proposition d’autonomie qui, selon lui, «vise à trouver une solution définitive à ce différend régional, dans le cadre de l’ONU», en faisant fi de la légalité internationale. 

En septembre, le Maroc, par la voix de son Premier ministre, appelle l’Assemblée générale (AG) de l’ONU à appuyer l’«initiative nationale pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara». Le 11 octobre, la 4e Commission de l’AG de l’ONU chargée de la décolonisation adopte une résolution qui réaffirme le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance, qui sera soumise à l’adoption par l’assemblée générale de l’ONU en décembre 2010. Le jour même, le bureau du porte-parole du Secrétaire général de l’ONU annonce une tournée de Christopher Ross dans la région, le 18 octobre, en vue de parvenir à un règlement au conflit du Sahara occidental. 

Le 15 octobre, à Casablanca, à l’issue du procès de 7 militants sahraouis arrêtés, en octobre 2009, par les autorités marocaines, à leur retour d’une visite familiale aux camps des réfugiés de Tindouf, Aminatou Haider, présidente du Collectif sahraoui des défenseurs des droits de l’homme (CODESA), reproche à l’Espagne de «ne pas avoir assumé sa responsabilité morale envers le peuple sahraoui», en appelant le Maroc à «corriger son erreur» et à libérer les militants sahraouis. Trois jours plus tard, Christopher Ross, en visite à Alger dans le cadre de sa tournée au Maghreb, déclare que le statu quo dans la question sahraouie est « intenable à long terme, étant donné les coûts et les dangers qu’il entraîne ». Il appelle le Maroc et le Polisario à entamer des négociations « sans conditions préalables », pour trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Le lendemain, des milliers de Sahraouis des territoires occupés installent campements de Gdeim izik à la périphérie de la ville d’El Ayoun, désormais connus sous la dénomination de « camp de la liberté », pour protester contre l’exclusion et la pauvreté. 

Les autorités de la RASD alertent la communauté internationale et l’opinion publique sur la répression marocaine, précisant que « la police est déterminée à faire cesser ce mouvement ». A quelques jours de la reprise des pourparlers entre Marocains et Sahraouis, la première bavure est commise par les autorités de Rabat : un adolescent sahraouis du nom d’El Garhi Najem, âgé de 14 ans, qui tentait de rejoindre le camp de toile, est tué par la gendarmerie marocaine, à El Ayoun. Son enterrement, par les forces d’occupation, dans la même ville, sans la présence de sa famille, s’effectuera sur fond d’indignation et de répression, selon des sources sahraouies. Le 27 octobre, un appel «pressant» est émis sur les ondes de la radio de San Borondon Trapera (Iles Canaries), par Brahim Sahara, nom fictif d’un des leaders du camp de Gdeim izik, pour demander à la communauté internationale d’intervenir «d’urgence» en raison du manque de médicaments, de nourriture, d’eau et de couverture, au sein du camp assiégé par les forces d’occupation et des colons marocains et pour éviter un «génocide» contre plus de 20 000 Sahraouis.

La RASD à l’Assemblée nationale française

Le lendemain, le président de la RASD, lors d’une rencontre à l’Assemblée française, préambule à la 36è Conférence européenne de soutien au peuple sahraoui (EUCOCO) qui s’ouvre le 29 octobre au Mans, lance un nouvel appel «urgent», pour que soit levé le blocus imposé dans les campements situés dans les territoires sahraouis occupés, pour «permettre l’acheminement de médicaments et de vivres, et la visite de la presse et des observateurs internationaux». Mohamed Abdelaziz, qui est également secrétaire général du Polisario, une telle situation constitue «une réelle menace pour la paix dans la région et risque de d’anéantir les efforts consentis à ce jour par l’ONU». 

Le 30 octobre, c’est au tour du président de l’EUCOCO, Pierre Galland, de rappeler que la Conférence se tient à un «moment particulier», où les populations sahraouies ont vidé les villes et se sont installées dans des campements, pour manifester pacifiquement leur mécontentement sur les conditions qui leur sont imposées. Le lendemain, Taleb Ami Deih, responsable sahraoui, chef de la première région militaire, dans une interview accordée à la radio nationale sahraouie, déclare à l’occasion du 35è anniversaire de l’occupation du Sahara Occidental par le Maroc que le déplacement des réfugiés vers le camp Gdem Izik «consolide la résistance pacifique» dans les territoires occupés du Sahara occidental. D’après lui, les campements de Gdem Izik rappellent «ceux des réfugiés à Tifariti et Oum Dreiga et Amgala, qui ont fui les affres de l’invasion marocaine en 1975».

Plus récemment, soit le 6 novembre dernier, le roi du Maroc, dans son discours à la nation, prononcé à l’occasion du 35è anniversaire de la « Marche Verte » aura des propos belliqueux à l’égard de l’Algérie, l’accusant de réprimer les réfugiés sahraouis de Tindouf, «en violation flagrante des principes les plus élémentaires du droit international humanitaire.» «Nous ne ménagerons aucun effort pour qu’ils (les «fidèles sujets dans les camps de Tindouf», ndlr) puissent exercer leurs droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté d’expression, de mouvement et de retour à leur mère-patrie», soutiendra-t-il. Mohammed VI reviendra en outre sur «l’initiative d’autonomie», ainsi que sur l’«intégrité territoriale».

Tous ces éléments, certes incomplets, sont présentés ici pour donner une idée de ce que certains journaux français ont qualifié de «tensions si vives» entre le Maroc et les Sahraouis colonisés. Ils aident à mieux comprendre le génie créateur des enfants de l’Intifadha de l’indépendance», forcés de sortir leur cause légitime de l’oubli, en s’installant dans des campements, à 12 km de la ville d’El Ayoun occupée. Cette nouvelle forme de contestation vise à briser tous les murs du silence et interpeller les consciences dans le monde, sur les conséquences d’une décolonisation inachevée. Mais à quel prix ?
Par Z’hor Chérief

Un lecteur nous écrit

Au lendemain de la tuerie dans le camp d’El Ayoun, un lecteur algérien, T B. nous fait parvenir un message d’indignation, dans lequel il écrit : « Le Sahara occidental est un enjeu que se disputent les blocs occidentaux sur le dos d’une population malmenée. Je ne vois pas une once de volonté réelle de régler un problème politique et humain. La population sahraouie devient un objet-test des ONG internationales… Toute cette violence me navre, me désole et aujourd’hui on voit comment le Maroc pense : brutalement, sans humanité et sans raison. L’esprit qui devrait habiter les souverains est celui de la grandeur et non pas celui de la réduction systématique des autres à un état de dépendance. Or, avec ce comportement, le Maroc montre à tous sa volonté colonisatrice, mais surtout son peu de foi en l’humanité et son indéfectible attachement à la duplicité. » 
Z. C
Les Débats, 17-24/11/2010

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