Le pire des scénarios

L’Algérie réussira-t-elle à éviter l’ingérence étrangère dans le Sahel ? Elle aura déjà fait beaucoup pour cela. Et sans doute n’épargnera-t-elle pas ses efforts à l’avenir pour faire en sorte que la région ne devienne pas un nouvel abcès de fixation, un nouveau front dans la guerre opposant une partie du monde au terrorisme intégriste, déjà que le reste du pays n’en est pas à ce jour totalement indemne.

C’est ainsi qu’elle aura tout entrepris pour convaincre les pays du Sahel du danger qu’il y a à agir en rangs dispersés contre le terrorisme, dont c’est le but de faire de la région un nouvel Afghanistan, ou une nouvelle Somalie, en y attirant une ou des armées occidentales. Du point de vue en effet d’Al-Qaïda, plus il y a de fronts voués à son anéantissement, plus grandes sont ses possibilités, plus faible la pression sur chacun de ses segments, plus prestigieux, et partant plus légitimes, pourrait paraître son combat aux yeux de la partie de l’opinion musulmane qui lui est déjà acquise.

Si tous les Etats concernés professent la même détermination à lutter contre le terrorisme, il n’en est pas de même dans la pratique, et surtout, tous ne sont pas opposés autant que l’Algérie à une assistance étrangère prenant la forme d’un envoi de troupes dans la région. Tout récemment, l’armée mauritanienne s’est fait aider par des militaires français dans l’organisation et l’exécution d’une attaque contre un groupe terroriste, qui, de surcroît, ne se trouvait même pas sur son territoire mais au Mali, qui est une passoire. Plus grave encore, il existe de lourds soupçons, pour ne pas dire de quasi certitudes, quant à la complaisance du pouvoir malien l’égard d’AQMI, complaisance qui l’amène à jouer les intermédiaires dans les négociations destinées à faire libérer des otages contre versements de rançons. Ce qui vaut financement du terrorisme. Les signes ne manquent donc pas qui montrent que s’il ne fallait compter que sur la volonté des Etats du Sahel à empêcher l’ingérence étrangère, le plus sage serait de considérer que la partie est d’ores et déjà perdue. Comment ne pas l’admettre : les alliés véritables, autrement dit les alliés objectifs dans ce domaine, ce sont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont abondé nettement dans le sens algérien pas plus tard que cette semaine. Encore qu’il apparaisse une nuance dans leurs positions respectives : pour les Américains l’ingérence est un dernier recours alors que les Britanniques disent l’exclure absolument. On peut dire que plus un pays est engagé dans la lutte antiterroriste, plus il est enclin à comprendre la position de l’Algérie, car il est impossible de mettre en doute sa détermination à combattre un ennemi commun, qui du reste l’a frappée plus durement que ses voisins. L’Etat dont en revanche il y aurait à craindre les conséquences, non pas tant d’ailleurs de son ingérence que de ses grenouillages, c’est la France, qui vient de donner coup sur coup deux ou trois spécimens de la plus mauvaise facture.

A l’évidence, pour le pouvoir français en place, plus important que la guerre contre le terrorisme, il y a dans l’immédiat la libération des otages français partout où ils sont retenus, et cela à n’importe quel prix. Le poids de cette lutte, il veut bien certes en porter sa part, à condition toutefois qu’elle soit la plus petite possible, sans commune mesure par exemple avec celle dont se chargent les Américains et les Britanniques, et que surtout elle ne l’amène pas à accepter la mort d’un seul de ses compatriotes.

L’opinion publique de son pays ne l’apprécierait pas. Elle pourrait même le lui faire sentir à la première élection venue, qui, justement, se trouve être la présidentielle de 2012. Toujours est-il que la véritable menace, c’est dans la région même qu’elle peut prendre forme. On peut en voir déjà les prémisses. C’est le télescopage de deux choses qui en principe n’ont rien à voir l’une avec l’autre : le conflit du Sahara occidental qui s’éternise, et l’implantation terroriste dans le Sahel qu’il sera difficile d’annihiler.

Le pire des scénarios ce serait que le Maroc, pour qui la menace terroriste n’est pas le souci prioritaire, tente d’exploiter cette carte dans l’intérêt de ses prétentions sur le Sahara occidental.

Par Mohamed Habili
Les Débats, 17-24/11/2010

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