Tout territoire disponible est bon à prendre: c’est là une règle politique fondamentale des Etats. Quand de surcroît on découvre, dans ce territoire au statut fragile, des richesses minières considérables (du phosphate en l’occurrence) que l’on commence à exploiter, l’intérêt théorique des multiples prétendants devient concret et actif.
Le Maroc assure que les tribus nomades du Sahara acceptaient, avant la colonisation espagnole, la souveraineté marocaine. Sa thèse est donc que l’Espagne administre un territoire marocain et ne peut que le rendre au Maroc si elle s’en va. Rabat accepte donc le référendum d’autodétermination prévu par l’ONU à condition que la question posée soit exclusivement : «préférez-vous le retour à la mère patrie» ou la continuation de l’administration espagnole?
Le calcul de l’Espagne est différent: après avoir longuement rechigné, elle dit être pressée, aujourd’hui, de se défaire du Sahara. Elle supplie l’ONU d’y organiser le plus vite possible un référendum dont, de toute évidence, elle espère qu’il conduira à l’indépendance du territoire. Son idée est évidemment qu’elle y défendra alors mieux ses intérêts comme ancienne métropole «généreuse» qu’elle ne peut le faire aujourd’hui comme colonisatrice.
Or un troisième groupe revendique le territoire : certains de ses habitants, organisés en un front de libération, le F. Polisario. Leur thèse : les marocains aussi étaient des colons, nous ne voulons pas retomber dans leur dépendance.
La Mauritanie, quatrième prétendant, est plus ambiguë. En effet, ce pays reconnaissaît jadis, comme le Sahara aujourd’hui espagnol, une certaine suzeraineté marocaine. Créé et rendu indépendant par la France, il craint que le Maroc, s’il s’approprie tout le Sahara et devient son voisin immédiat, ne se rappelle ses vieilles et historiques revendications. Si le territoire était partagé entre le Maroc et lui, le risque serait le même. Si le territoire devenait indépendant, la Mauritanie perdrait un riche trésor.
L’Algérie, elle joue les vertus : elle dit ne rien revendiquer et désirer seulement que le référendum permette aussi l’indépendance du Sahara. Tout le monde le soupçonne (avec quelque raison semble-t-il) d’espérer jouer, un peu comme l’Espagne, les grands voisins puissants qui n’ont nul besoin besoin de titres juridiques pour être influents.
Les risques dans cet imbroglio est lourd sont nombreux Au Mmaroc, le roi Hassan II avait, l’an dernier, trouvé dans la reconquête du Sahara un thème unificateur : l’opposition était séduite, le pays pouvait aller de l’avant. Aujourd’hui les marocains, enflammés par maints discours, exigent au fond du roi qu’il tienne ses promesses. Il va les tenir – mais s’il échoue? Si sa marche pacifique tourne mal? Tiendra-t-il sur son trône? C’est peu probable;
L’Espagne, elle, est à deux doigts d’un changement de régime. elle a déjà dit qu’elle se refusait à faire couler une ngoutte de sang espagnol pour le Sahara. Bien – mais si l’affaire tourne à la confusion, à la débacle pour elle, l’armée espagnole n’aura-t-elle pas un réflexe « à la portugaise » : Prenons les rennes de cet Etat qui nous a ridiculisés? Quelle terrible ironie si le régime franquiste, né en terre marocains, y prenait fin également.
Ce ne sont là que les risques saillants de la situation. Il est clair que de cette lutte pour « quelques arpent s de sable » peut découler, par réaction en chaîne, une remise en cause de l’équilibre maghrébin, ouest-africain, ibérique et même européen.
Autant dire que les pays d’Europe occidentale, comme els Etats-Unis, ont tout intérêt à s’entremettre pour éviter que la situation ne dégénère. Ils ont huit jours avant que Hassan II ne mettre branle sa folle expédition.
Claude Monnier
Journal de Genève, 21/10/1975
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