L’information a fait le tour des rédactions du monde. Abdelkrim le Touareg, un émir d’Al Qaida au Maghreb Islamique et non moins accusé d’être l’assassin de l’otage français Michel Germaneau, aurait pris part au « sommet » de la drogue organisé fin octobre dernier dans une petite île dans l’ouest de l’Afrique. Les participants, notamment les gros bonnets des cartels colombiens, leurs responsables chargés de la logistique, divers contrebandiers sahéliens et Abdelkrim le Touareg auraient revu leurs circuits et établi de nouvelles routes pour l’acheminement de leurs cargaisons bourrées de cocaïne. La CIA, elle, avait alerté la Guinée-Bissau que ladite rencontre s’était tenue sur son sol à la fin du mois d’octobre. On apprend également que cette réunion a eu pour cadre une île de l’archipel des Bijagos.
A noter que cette réunion intervenait après une série d’arrestations ayant ces derniers mois décapitées les réseaux de distribution de la drogue au Sahel. Il est quand même important de rappeler dans ce sens que la PJ marocaine avait démantelé quelques semaines avant la tenue du dit sommet, en octobre dernier, une branche du réseau accusée d’avoir envoyé pas moins de 600 kg de « coke » vers l’Europe via le Mali, le Maroc et l’Algérie. Taeïb Cherkaoui, ministre de l’Intérieur avait déclaré à ce propos que ce réseau international était dirigé par des cartels basés en Amérique latine : « La drogue en provenance de Colombie et du Venezuela arrivait dans le nord du Mali, où elle était stockée. De là, Aqmi lui faisait traverser le Sahara – par la Mauritanie ou l’Algérie – pour l’acheminer au Maroc, voire jusqu’en Europe ».
Parmi les 36 personnes de ce réseau de trafic de drogue en relation avec Al Qaïda, on apprenait que parmi eux se trouvent quatre étrangers de nationalités différentes. En novembre 2009, un Boeing 727 en provenance du Venezuela avait dû se poser en catastrophe dans un champ de mines dans la région de Gao au Mali. Il transportait près de 10 tonnes de cocaïne. Sa marchandise avait été déchargée avant que l’avion ne soit incendié. Pour les analystes les plus avertis, la participation de l’émir d’Aqmi à ce sommet de la coke apporte la preuve de l’intérêt d’Al Qaïda pour le trafic de stupéfiants. Aqmi, qui opère dans une immense zone désertique située aux confins de l’Algérie, de la Mauritanie, du Mali et du Niger, serait pour beaucoup un passage obligé de ce qui est désormais qualifié la « Sahel Connection ».
Drogue, prises d’otage : le nouveau visage d’Al Qaïda…
On avance dans le même sens qu’au Mali, les drogues sont devenues de vrai business et de loin le principal moyen de subsistance d’Aqmi. Le budget de fonctionnement est assuré par les trafics, les rançons des otages qui constituent le fonds d’investissement pour les attentats. Antonio Maria Costa, ex-directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), faisait le même constat : « Dans le Sahel, les terroristes puisent dans les ressources du trafic de drogue pour financer leurs opérations, acheter des équipements et payer leurs troupes ». Alors que pour d’autres c’est le contraire, sans pour autant nier l’implication d’Aqmi dans des opération de trafic de drogue : « Pour Aqmi, en termes d’image, ce serait catastrophique…Les services secrets marocains et d’autres pays font passer ce message pour discréditer les terroristes ». Jean-Louis Bruguière, ancien juge français anti-terroriste, préfère lui parler d’agenda plus que d’autre chose. Trois principales missions alimentent la présence d’Aqmi au Sahel, à savoir la déstabilisation du Maghreb, l’usage du Sahel comme base arrière et l’attaque de la France pour des raisons de revanche, en particulier après l’affaire de l’arrestation en 1994 de 2000 sympathisants d’Al Qaïda. Et d’ajouter que le lien entre le terrorisme et le banditisme devient de plus visible et palpable. Constat qui explique qu’aujourd’hui ces organisations terroristes font usage aussi du banditisme pour financer leurs projets terroristes, voire s’enrichir : « Ainsi donc, comme l’Islam radical, le trafic de drogue et le crime organisé deviennent à défaut de fins politiques à l’horizon, une arme incontournable pour s’autofinancer ». Jean-Baptiste Carpentier, directeur du programme du Tracfin (un organisme du ministère des Finances français chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent), souligne avec conviction qu’aujourd’hui, l’enjeu d’Al Qaïda a totalement changé de taille : « Nous somme passés d’un contexte où le banditisme était un moyen de financement du terrorisme à une situation où le terrorisme est devenu un prétexte pour justifier le crime organisé et le banditisme ».
Terrorisme et banditisme : deux faces de la même pièce…
Et d’expliquer que ce changement de vision et de tactique s’est imposé par la force des choses. C’est dire que pour une organisation terroriste comme Al Qaïda, on n’avait pas le choix. Dans tous les cas, il estime que cela n’est en aucun cas un fait du hasard et que tout a été calculé au niveau de l’état-major d’Al Qaïda. L’argument de Carpentier est sans équivoque : « Il est aujourd’hui plus facile de recruter des criminels que des terroristes, et il est aussi plus facile pour une organisation criminelle de perdurer qu’une organisation terroriste sans fondement idéologique », a-t-il dit avant de conclure que partant de ce constat, la survie d’une organisation terroriste sur la base du crime organisé devient possible et garantie, surtout si on est en face d’un mouvement radical non rentable politiquement et incapable de continuer et d’atteindre ses objectifs politiques. Amadou Marou, Président du Conseil Consultatif National du Niger voit, lui, une problématique régionale. Au Sahel, dit Amadou Marou, il y un Islam modéré et le principal objectif d’Aqmi reste la « Somalisation » de la région. Et de poursuivre dans le même sens que si un tel objectif se réalise un jour, la situation sera des plus catastrophiques pour tous. A noter, dit-il, que la région du Sahara au Sahel est d’une grande superficie d’environ 1,2 million de Km2 d’où l’impossibilité du contrôle et de la maîtrise. Ceci dit, la situation deviendra encore plus incontrôlable à défaut d’Etats forts et engloutis dans des guerres civiles. C’est dire in fine qu’aujourd’hui, tout bascule. Que ce soit le terrorisme, le crime organisé ou encore le trafic humain et d’armes, la branche d’Al Qaïda dans le Maghreb islamique abat toutes les cartes. Il semble que tout est jouable pour déstabiliser toute une région…déjà affaiblie par des querelles de voisinage, le sous-développement, la sécheresse, la pauvreté et les guerres civiles…
Hassan Zaatit
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