Maroc : soulèvements à Sidi Bouafif

Nouvelles du soulèvement dans le Rif à Sidi Bouafif, région El Hoceima ce vendredi 10 décembre 2010. Suite à l’ expropriation d’une famille et démolition de son logement par l’autorité du makhzen escortée de forces de l’ordre, la colère des habitants a éclaté dès 9h30 ce matin.

La femme avec ses deux enfants s’est mise en travers de la route nationale et l’a bloqué en criant « si je n’obtiens pas mes droits, je coupe la route avec mes deux enfants , face à l’injustice il ne me reste qu’à me suicider avec mes enfants ». C’est ainsi que cette mère-courage a réveillé les consciences, les habitants émus l’ont rejoint et la route a été coupée.

Les habitants se sont solidarisés avec la famille, la route nationale a été bloquée, les forces de répression, armée et force mobile, ont lancé les grenades lacrymogène et tiré balles en plastique sur la population. Les jeunes ont riposté par des jets de pierres et des slogans appelant la population à se soulever. Après les 5 premières arrestations et les blessés, les jets de pierres contre les forces de répression ont repris de plus belles, à 14h30, 4 voitures ont été brulées, les estafettes encerclées, les forces de l’ordre ont pris la fuite. On parle de plus de 30 blessés dans leurs rangs. 

En fin de journée une marche de solidarité des habitants des villages environnants Tamassint, Imzouren, Aït Bouayach rejoint les habitants de Sidi Bouafif. Aux dernières nouvelles on parle de mobilisation des troupes armées venant de Nador. On craint le pire cette nuit .

La population est en colère, déterminée et mobilisée. Toute la nuit de vendredi les manifestants des villages avoisinants ont rejoint les habitants de Sidi Bouafif, les représentants de divers associations : diplômés chômeurs, AMDH. Des barricades sont montées face à un impressionnant déploiement de troupes militaires et forces répressives venues en renfort de Nador. Toute la nuit la combativité des jeunes et des habitants a été impressionnante, chantant victoire.

Bilan des affrontements avec les forces répressives de la journée du vendredi 10 décembre :
- 5 blessés parmi les habitants, de nombreuses arrestations dont le nombre n’a pas été communiqué
- 30 blessés des forces de l’ordre, 4 véhicules endommagés

Samedi 11 décembre 2010, nouvelles du Rif, Sidi Bouafif
Ce samedi les autorités ont été contraintes de trouver une solution, un dialogue a été ouvert avec le conseil des anciens des sages des habitants qui ont exigé et obtenu :
- la reconnaissance des droits de la famille sur sa terre et la reconstruction du logement démoli par les autorités
- la libération de tous les emprisonnés
- annulation de toute poursuite judiciaire

Ce samedi El Hoceima est en état de siège, un impressionnant déploiement miliaire pour prévoir tout dérapage. La tension est palpable, de nombreuses activités sont prévues : marche locale des diplômés chômeurs de la région de Nador, Driouch, El Hoceima, puis un match de foot opposant l’Equipe de Hoceima à celle de Marrakech.

Demain dimanche sera célébrée la journée mondiale des droits de l’homme. Un retour au calme mais le déploiement des forces et des renforts est toujours sur place, les manifestations du mouvement des diplômés chômeurs quasi permanentes et le match de foot sont autant de rassemblements qui peuvent être un déclencheur du désespoir, des frustrations, de la colère des habitants du Rif. Ici on se rappelle encore et toujours les massacres de 1957, 58,59 perpétrés contre le peuple rifain au lendemain de l’indépendance par la nouvelle armée dirigée par le prince héritier qui deviendra le roi Hassan 2 , les assassinats, enlèvements, viols collectifs exécutés par le sinistre Général Oufkir. Il s’agissait d’épurer l’Armée de Libération Nationale, en finir avec la résistance, mâter et maintenir dans la peur, la misère et l’ignorance toute une population prise en otage d’une « Indépendance boiteuse » disait le héro du Rif Abdelkrim Khatabi de son exil au Caire.

Les fruits amers du libéralisme

Des générations après, comme un long fleuve endormi, la révolte gronde. La révolte des habitants de Tamassint oubliés après le tremblement de terre d’El Hoceima en 2004 a réveillé les consciences des jeunes qui aujourd’hui poursuivent les luttes et crient victoire. Des années d’abandon suivies d’une libéralisation sans entrave, une gestion des biens publics désastreuse, d’une corruption généralisée, d’accaparement des terres par les nantis au pouvoir, une urbanisation sauvage pour des projets touristiques, onéreux, inutiles pour la population, désastreux pour l’environnement mais bénéfiques aux capitaux spéculatifs et au blanchiment. La région n’en voit pas les fruits.

Chômage des jeunes et migration massive, petits boulots et bricolages de survie, privatisation et marchandisation des biens publics, des droits à l’éducation, la santé.. Les micros crédits alimentent l’endettement des ménages. La publicité chante et enchante la consommation.
La « makhzanisation » des élites, de la « société civile » des partis et syndicats nourrit méfiance et discrédit des institutions.

Les fruits amers du libéralisme nourrissent la révolte de nouvelles générations qui écrivent un nouveau chapitre de l’histoire aujourd’hui à Sidi Bouafif dans le Rif ; une femme s’est levée, a défié le pouvoir, la force, l’injustice.
CADTM, 18/12/2010

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