Entretien exclusif avec le Dr. Mohamed Mahmoud Ould Mah

En exclusivité pour Nouakchott Info à l’occasion du cinquantenaire de notre Indépendance nationale, le Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah, témoin de l’histoire contemporaine de la Mauritanie dont il a été et reste un acteur incontournable, revient sur les tenants et les aboutissants de cette colonisation, mais aussi sur ce que nous, Mauritaniens, avons fait de notre Indépendance et comment avons-nous réfléchi à ce qui nous attend.
Faut-il rappeler qu’avant de créer l’Union Populaire Sociale Démocrate (UPSD) dès les premières heures de la démocratisation de la vie politique dans notre pays, parti dont il est le Secrétaire Général, le Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah a occupé les fonctions de Directeur du Budget, de Directeur du Trésor et de la Comptabilité publique, de Directeur Général de la Sonimex, de Contrôleur financier de la Mauritanie, de Contrôleur d’Etat, de Professeur à l’Université à Nouakchott. Mieux, le Dr Ould Mah aura été le premier maire élu en 1986, de la capitale Nouakchott. Entretien …
Nouakchott Info: De mémoire de Mauritanien ayant vécu la décolonisation, l’indépendance nationale et participé à la naissance et à l’évolution politique, sociale et économique du pays, quelles sont, selon vous, les causes de la colonisation de la Mauritanie?
Dr Mohamed Mahmoud Ould Mah: En pleine industrialisation dont disait Adam Smith qu’elle est la « richesse des nations », les puissances coloniales se sont ruées vers les colonies. Trois raisons principales ont présidé à la colonisation de notre pays comme d’ailleurs à celle de toute l’Afrique; nous dirions même à toute colonisation: la recherche de matières premières bon marché pour les usines du Nord; la recherche de marchés pour l’écoulement des produits finis et enfin l’extension de la civilisation judéo-chrétienne à des peuples appartenant à d’autres civilisations. En effet, le colonisateur est venu à la recherche de matières premières bon marché pour les usines du Nord. Aujourd’hui, après 50 années d’indépendance, les matières premières sont bon marché, car leurs prix sont déterminés par les acheteurs (les anciens colonisateurs) dans des bourses de commerce installées dans les pays du Nord, à Chicago, New York, Londres, Paris, etc. et les pays anciennement colonisés sont victimes de ce que certains auteurs appellent la détérioration séculaire des termes de l’échange: pour acquérir un bien industriel, le cultivateur ou l’Etat africain minéralier, doit fournir une quantité de produis agricoles ou miniers toujours plus grande pour l’obtention du même bien industriel, surtout quand on se rappelle qu’un bien industriel est renouvelable alors que la quantité de matières premières, minerai par exemple, doit venir en déduction d’un stock national condamné à l’épuisement.

Ainsi, l’industrialisation de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle a créé une forte concurrence entre les puissances coloniales condamnées à chercher des marchés d’écoulement pour les produits finis.

Victimes d’une mondialisation débridée, les Etats anciennement colonisés, ne produisant rien, sont devenus des consommateurs universels. En effet, la mondialisation est une intégration économique de tous les pays; les économies sont ouvertes à la concurrence et il est formellement interdit aux pays anciennement colonisés de protéger leurs industries naissantes, cheminement incontournable vers l’industrialisation, et par lequel tous les pays industrialisés du Nord sont passés.
En invitant le monde à une intégration économique sans possibilité pour les petits pays de se protéger, les grandes puissances du Nord s’inscrivent en porte à faux contre les enseignements de leurs manuels prodigués sur les bancs de leurs universités: les pays candidats à une intégration économique doivent satisfaire au moins à deux critères: avoir un même niveau de développement économique (sinon le grand pays absorbe le petit); et avoir un minimum d’intégration politique, car des pays décidés à mener en commun la même politique économique, ne peuvent avoir des politiques opposées. Il est vrai que depuis l’avènement de la mondialisation, ces enseignements relatifs à l’intégration économique ont disparu des programmes dont ils assuraient pourtant la crédibilité. Pour prendre un exemple plus pratique, c’est comme si on venait à supprimer les règles régissant la boxe, c’est-à-dire les catégories. Un match de boxe opposant un poids lourd à un gringalet de 50 kg n’intéresse personne, car l’issue est connue d’avance. De même, l’issue de la mondialisation est déjà vécue par les petits pays anciennement colonisés devenus de plus en plus pauvres pendant que les pays riches s’enrichissent davantage.
Théoriquement, il ne nous est pas interdit de fabriquer un produit fini, mais l’importation de la matière première qui entre dans la fabrication de ce produit fini nous coûtera cher, car les institutions monétaires internationales (instruments du Nouvel Ordre Mondial) poussent les monnaies du Sud à des dévaluations successives, si bien que le produit fini revient plus cher que le même produit fabriqué dans les pays du Nord. Ajoutez à cela l’impossibilité de le protéger (OMC oblige, autre instrument du Nouvel ordre mondial) et la préférence psychologique des anciens colonisés pour les produits du Nord au détriment de ce qui est produit localement.

S’agissant de l’Afrique, elle est complètement déconnectée de cette mondialisation. Larguée, elle s’enfonce profondément dans des conflits interethniques issus des lignes de partages coloniaux appelées frontières «qui ont rapproché ceux que tout sépare et éloigné ceux que tout rapproche».

S’agissant de l’extension de la civilisation judéo-chrétienne, elle est aujourd’hui le fait d’institutions multinationales: World Vision, Caritas, etc; (ce n’est plus un curé accompagnant l’administrateur colonial.) qui travaillent en collaboration avec les missions diplomatiques, les organismes internationaux surtout les représentations du Système des Nations Unies. C’est ainsi que chez nous, la distribution du Programme alimentaire mondial (PAM) est confiée à World Vision. On ne peut mieux trouver pour lui faciliter sa mission que de lui donner l’occasion de distribuer gratuitement des produits de première nécessité à des populations de grande pauvreté.

En conclusion, nous sommes revenus à la case de départ. Force est de constater qu’après un demi siècle d’indépendance, les puissances coloniales, après avoir partagé l’Afrique à la conférence de Berlin de 1881, sont parvenues à préserver, nous dirions même à renforcer, les acquis de la colonisation grâce à la mise en place d’un nouvel ordre mondial sensé pourtant, à en croire ses initiateurs, apporter un bien être à tous les peuples. Il s’est avéré en fait un moyen pour perpétuer les effets de domination du Nord sur le Sud. C’est le règne de la pensée unique: il n’y a plus de pluralisme politique, le monde est condamné à une seule forme politique: la démocratie occidentale. Une démocratie de l’argent qui s’essouffle d’ailleurs, au profit de taux d’abstention élevés. Il n’y a plus de pluralisme économique, le monde est condamné à un seul système: le libéralisme économique sauvage. Il n’y a plus de pluralisme culturel: la civilisation judéo-chrétienne est la seule alternative.
NI: Qu’avons fait alors de nos 50 années d’indépendance?

Dr M.M.O.M:
Je diviserais volontiers ce demi-siècle en deux périodes qui sont la période glorieuse du parti unique de 1960-1978 et la période d’instabilité politique et de démocratie imposée de l’extérieur qui va de 1978 à nos jours.

On peut qualifier cette période (1960-1978) de période glorieuse. C’est la période du parti unique; une période de relative stabilité et d’émancipation politique grâce aux nationalisations et à la création de la monnaie nationale. Le président était au-dessus de toutes les parties et toutes les sensibilités régionales au sein de chaque région étaient représentées: si celui-ci est ministre, celui-là est ambassadeur, directeur de société ou gouverneur de région etc; ce qui a d’ailleurs favorisé les antagonismes inter et intra-tribaux; les antagonismes inter et intra-ethniques.

Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, les nationalisations ont été des succès. La Mauritanie est devenue une référence, un exemple souvent cité de succès du secteur public. La création d’une monnaie nationale reposant sur un panier de monnaies où le franc français ne bénéficiait pas d’une position privilégiée, contrairement à toute attente, était une source de tension avec l’ancienne puissance coloniale.
Sur le plan international, notre pays jouissait d’une bonne renommée et remplissait idéalement sa position de trait d’union entre le monde arabe et le monde africain en étant à la fois arabe et africain.
La période de 1978 à nos jours a été une période de coups d’Etat et de démocratie administrée; une période d’instabilité politique.
Les auteurs du premier coup d’Etat prennent pour prétexte à leur action la guerre du Sahara Occidental et décident de s’en retirer sans dire d’ailleurs à qui il appartient. La démocratie imposée de l’extérieur n’a pas su mettre à l’abri des coups d’Etat les régimes élus et a fait ressurgir les démons du tribalisme, de l’ethnicisme et du communautarisme que l’on croyait disparus.

Il y a lieu cependant de faire amende honorable aux différents régimes politiques de cette période et de reconnaître à leur décharge que la mondialisation par le biais de la politique d’ajustement structurel a soustrait à l’Etat toutes ses prérogatives et quasiment sa souveraineté. Et l’on doit à la vérité de dire que l’ajustement structurel imposé par les institutions de Breton Wood au début des années 80 et sensé assurer aux Etats du tiers monde une « croissance soutenue et un développement économique harmonieux » visait, en réalité, leur fin, car ces Etats constituent désormais des obstacles à la mondialisation et sont délaissés au profit de la société civile, des lois du marché et de la privatisation.

Depuis 30 ans, la situation des Etats au lieu de s’améliorer, empirait plutôt. Nous sommes en droit de nous demander s’il y a une vie après l’ajustement structurel?

Il y a lieu aussi de reconnaître que l’Etat mauritanien d’aujourd’hui n’a rien de commun avec la Mauritanie de la première période: le monde rural largement excédentaire durant la période de l’indépendance a été décimé par les différentes sécheresses qui se sont succédées et, finalement laminé par la sédentarisation des ruraux.

Les dépenses publiques d’aujourd’hui n’ont aucune commune mesure avec celles de l’Etat de la période de l’indépendance. C’est un Etat Providence qui a cédé la place à un Etat endetté.
NI: A présent où situez-vous la politique et le programme de l’actuel président Mohamed Ould Abdel Aziz?

Dr M.M.O.M:
J’ai gardé de la lecture du programme du président Mohamed Ould Abdel Aziz l’engagement de combattre le gaspillage, l’intérêt qu’il porte aux couches sociales les plus marginalisées, en un mot les pauvres. Il a également rompu les relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël, ce qui est une preuve de courage politique quand on se rappelle qu’Israël c’est en fait les Etats-Unis d’Amérique. C’est certainement pour cette même raison que ses prédécesseurs n’ont pas osé aller jusque là.

Je pense qu’on doit prendre un peu de recul par rapport à la période que le président Mohamed Ould Abdel Aziz a déjà passée à la tête de l’Etat pour pouvoir porter un jugement de valeur sur son bilan.

Néanmoins, il est confronté à deux défis majeurs, un défi sur le plan extérieur et un défi sur le plan intérieur. Les politiques économiques dictées par les institutions monétaires internationales et les crises économiques et financières que traverse l’Occident, ne lui laissent aucune marge de manœuvre. Ce sont là des données exogènes. En général, les pays du Nord résolvent leurs crises sur le dos des pays du Sud. Après les Etats-Unis, c’est au tour des pays européens de passer l’un après l’autre par le mécanisme de sauvetage de 750 milliards d’euros mis en place par l’Union européenne. Après la Grèce, c’est au tour de l’Irlande et la liste d’attente ne fait que s’allonger: le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la France dont le président a déjà pris le devant en supprimant, pour des raisons d’austérité, la Garden Party du 14 Juillet, en réformant 10.000 véhicules de fonction et en reconduisant le même Premier ministre dont il voulait se débarrasser à cause de ses déclarations pessimistes quant à l’avenir de la France en 2011 et 2012.

Sur le plan intérieur, les trois opérateurs de téléphonie mobile exercent une pression permanente sur la monnaie nationale en empêchant son taux d’échange de s’améliorer et en privant le pays de toute forme de croissance économique généralement tirée par la consommation des ménages. En effet, toute augmentation de la demande sur le marché (c’est-à-dire de la consommation) pousse les producteurs à augmenter leurs offres, c’est-à-dire, à produire davantage, à mettre en place de nouvelles capacités productives, c’est-à-dire, recruter des chômeurs, ce qui crée de nouveaux revenus et partant fait augmenter la demande (la consommation) sur le marché et l’offre augmente à son tour ainsi de suite… Ce mécanisme, incontournable pour prétendre à toute forme de croissance économique, est très faible chez nous, car l’essentiel des revenus est détourné du marché au profit des trois opérateurs de téléphonie mobile (les Mauritaniens ne consomment pas, ils téléphonent plutôt) dont les énormes recettes exercent des pressions à la fois sur la Banque centrale pour le transfert de la contrepartie en devises vers l’étranger et sur le marché libre en offrant plus d’ouguiyas pour un euro ou pour un dollar, ce qui pousse la valeur du taux de change de notre monnaie à la baisse.

Propos recueillis par Mohamed Ould Khattatt
 

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