Si quelque chose est sorti à l’évidence après le renversement de Ben Ali c’est l’énorme fragilité des systèmes politiques nord-africains dont les traits, encore avec l’exception de la Libye, sont assez similaires. Ils reçoivent tous, cependant, un appui aveugle de l’Europe, avec la France en tête, la principale ancienne puissance coloniale, et avec le plein soutien de l’Espagne et de l’Italie.
Miguel Ángel Moratinos, ministre espagnol des Affaires Étrangères jusqu’au mois d’octobre dernier, était fier d’avoir obtenu que l’Union Européenne octroie au Maroc, en 2008, cette relation privilégiée dénommée « statut avancé ». Il regrettait en revanche que la présidence espagnole de l’UE n’ait pas eu le temps, en 2010, d’accorder à la Tunisie le même traitement avantageux.
Ce pari aveugle pour Ben Ali, la France l’a pratiquement maintenu jusqu’à vendredi, le jour même de sa fuite, presque comme l’Espagne. La nuit du 11 janvier, trois jours avant le renversement, le Ministère espagnol des Affaires Étrangères émettait un premier communiqué timoré où il ne condamnait pas l’usage disproportionné de la violence par la police ni demandait, non plus, la libération des prisonniers.
Avant la chute de Ben Ali les déclarations de Paris, Madrid et Rome restaient déjà courts, en comparaison avec ceux de Catherine Ashton, au nom de l’UE, et encore plus de celles faites par les diplomaties des USA et du Canada. Après la chute de la dictature, ils n’ont pas non plus « applaudi », avec l’enthousiasme de Barack Obama, « le courage et la dignité du peuple tunisien ».
Depuis plus de deux décennies, l’Europe n’a pas bougé un doigt pour animer Ben Ali à flexibiliser son régime – elle n’a jamais non plus menacé de faire recours à la clause de droits humains du traité d’association d’avril de 1995 – et elle n’a pas non plus aidé l’opposition démocratique à se préparer pour le relais. Pour Ben Ali le chemin est dégagé. Sa relation étroite avec l’UE ne lui a pas empêché de donner de nouveaux tours de vis.
Vers la fin de 1995, le président Felipe González s’est rendu en Tunisie, en pleine répression des social-démocrates tunisiens, pour signer le traité d’amitié et de coopération bilatérale. En public, il s’est abstenu de la dénoncer et n’a reçu ses coreligionnaires socialistes que quelques minutes, debout, lors de la réception qu’il a offerte dans la résidence de l’ambassadeur d’Espagne. Quinze ans après, le Ministère des AE a refusé, en novembre, des visas à quelques dissidents tunisiens à qui l »IFEX, une ONG canadienne, avait donné rendez-vous à Madrid.
Si en Tunisie l’opposition a été laminée c’est avant tout la faute de Ben Ali, mais aussi du sud de l’Europe incapable de tendre la main aux démocrates. Dans d’autres continents l’Espagne a agi autrement. Les gouvernements, les partis et la société civile espagnole ont joué un rôle dans le déclin des dictatures de quelques pays d’Amérique Latine et l’ont essayé aussi, en vain, en Guinée Équatoriale, mais Teodoro Obiang a résisté aux orages.
L’écrasement de l’opposition complique maintenant la transition en Tunisie. L’absence d’un courant démocratique consolidé peut encourager un collaborateur du président déchu à s’emparer du pouvoir ou laisser la voie libre aux islamistes. En Tunisie, ils ont maintenant peu de poids, mais en Égypte (Les Frères Musulmans) et au Maroc (Justice et Charité), ils constituent le gros de l’opposition.
Pendant les 23 ans du régime de Ben Ali, l’Europe n’a pas appuyé une stabilité authentique mais a soutenu une dictature qui laisse en héritage un terrain politique vierge où les mauvaises herbes peuvent pousser. Il conviendrait qu’elle révise ses relations avec les autres pays nord-africains et qu’elle appuie les démocrates pour que la même chose n’arrive pas dans des délais brefs.
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