Il y a une place au Caire, la place Tahrir, et sur cette place des manifestants et dans ces manifestants un peuple levé, mais allez savoir pourquoi, nous regardons plutôt Suez et son canal et, dans ce canal, les tankers, et dans ces tankers le pétrole et dans ce pétrole les barils et dans ces barils notre inflation.
Les marchés en tout cas regardent et anticipent. Anticiper, en termes de marchés, veut dire aggraver la situation, la plier à ses propres contingences, à ses propres défaillances.
Les marchés n’aiment pas l’instabilité, on le sait bien, mais sans instabilité il n’y aurait pas non plus de stabilité, essayez voir quand vous marchez, mais cela, les marchés ne le savent pas. Moody’s et Standard&Poor’s ont déjà dénoté l’Egypte – pouvait-on attendre autre chose ? -, voilà donc que le pétrole flambe tandis que le canal est ouvert, que les bateaux naviguent et que l’oléoduc qui part de Suez vers la Méditerranée achemine toujours le brut. Rien n’a changé, sauf qu’il existe de drôles de différences, à ce qu’on voit, entre les nouvelles libertés et l’antique néolibéralisme.
Un blogueur égyptien présent sur place, on veut dire sur la place Tahrir, notait ceci, ce matin : « L’humour est au rendez-vous de façon écrasante.
Un enfant tient à bout de bras une pancarte s’adressant à Moubarak : ‘Allez quoi, dégage, j’ai super mal au bras » ». On préfère cette pancarte à la cloche de Wall Street, elle nous donne plus d’enthousiasme. Car oui, pourquoi, lorsque nous voyons quelque chose que nous ne reconnaissons pas – pas un trader n’a connu de son vivant une révolution arabe – faut-il que nous appliquions de vieux réflexes et derrière ces vieux réflexes de vieilles recettes ?
Comme le disait le prince Mulay Hicham, cousin de Mohammed VI du Maroc, et qui ne voit pas comment son pays pourrait éviter aussi cette protestation, pour ne pas dire révolution : ce qui est frappant dans ces démonstrations populaires, c’est qu’elles n’offrent « aucun caractère religieux, anti-impérialiste ou anticolonialiste« .
Cette nouvelle nouveauté, faut-il l’accompagner ou bien la sanctionner ? Le FMI, c’est une surprise, dit sans le dire qu’il accompagnera. Il ne dit pas : « dégage, j’ai mal au bras ». Il dit qu’il est prêt à aider l’Egypte à reconstruire son économie. Ça ne mange pas de pain, mais au moins ça en tient compte.
On veut dire quoi, en disant ça ? On dit simplement que le changement de paradigme est aussi une révolution. Mentale. Elle supposerait, dans ce cas-ci, de troquer notamment l’image du musulman terroriste contre celle de l’Arabe démocrate. Ou en tout cas de se dire que les uns existent, certes, mais que les autres aussi. Allez belle soirée et puis aussi bonne chance.
Paul Hermant
RTBF.BE, 01/02/2011
Soyez le premier à commenter