Bonjour,
Je m’appelle Mustapha Adib. J’ai été Capitaine dans l’armée de l’air au Maroc quand, en 1998, j’avais dénoncé la corruption qui sévit dans l’armée du Maroc par courrier au prince héritier de l’époque, Mohamed VI, et qui est actuellement le roi du Maroc.
Le mekhzen avait alors diligenté une enquête qui avait abouti à l’arrestation de 4 personnes dont 2 militaires et deux civils.
Juste après, j’ai fait l’objet de nombreuses brimades, punitions, mutations arbitraires, et prison militaire, comme vengeance des supérieurs de l’armée qui n’avaient pas apprécié que je dénonce des pratiques qu’ils ne cessent eux même de commettre pour s’enrichir frauduleusement, comme leur avait demandé Hassan II juste après le coup d’état raté de Skhirat en 1972.
J’avais tout fait pour faire cesser cette vengeance, y compris la réécriture à Mohamed VI qui était devenu roi entre temps. J’avais même fini par demander ma libération de l’armée. En vain.
Le responsable du cabinet du roi à l’époque, Fouad Ali Elhimma, se contentait juste de me dire de patienter… ce que j’avais fait pendant des semaines et des semaines.
Ne voyant rien venir pour me secourir de ce calvaire que je subissais suite à l’accomplissement de mon strict devoir d’officier, j’ai fini par rendre public le fait que l’armée au Maroc était corrompue et ce, sur les colonnes du journal Français Le Monde.
Avant même que l’article ne soit publié, j’ai été arrêté et séquestré sans jugement ou notification, dans une caserne militaire à 100m du bureau de Mohamed VI. En Janvier 2000, j’ai été présenté au Tribunal Permanent des Forces Armées Royales de Rabat pour des motifs imaginaires, à savoir « violation des consignes militaires » et « outrage à l’armée ». Après plusieurs audiences, ou tous mes droits ainsi que ceux de ma défense ont été systématiquement bafoués, j’ai été condamné à deux ans et demi de prison ferme.
Pendant, et après ce procès, j’ai fait l’objet de soutien d’un grand nombre d’associations internationales comme :
– Amnesty international m’avait adopté comme détenu d’opinion ;
– Transparency International m’a décerné le Prix International de l’Intégrité 2000 ;
– Le Groupe de Travail sur le Détention Arbitraire qui relève de l’ONU avait même conclu que ma détention était arbitraire et avait demandé au Maroc de me libérer immédiatement et sans condition, mais le Maroc ne l’a pas fait et a préféré que je demande la grâce au roi, chose que je n’ai pas faite ;
– La FIDH, l’OMCT, ASF, et autres
En quittant la prison après avoir purgé la totalité de ma peine, je n’ai pas pu trouver un travail au Maroc, malgré mon diplôme d’Ingénieur en Télécommunication et mon expérience dans les réseaux de télécommunication militaires.
Aujourd’hui, ma conscience m’interpelle concernant ce qui se passe au Maroc comme injustices et dérives. Et je crains que ce régime autocrate de Mohamed VI ne sache pas comment se comporter avec les Marocains s’ils étaient amenés à manifester comme c’est le cas dans les pays voisins. C’est pourquoi j’ai émis deux appels : le premier au roi, le deuxièmes à mes camarades de l’armée, et où j’explique de la façon la plus transparente, la plus directe et sans aucune hypocrisie la situation au Maroc telle que je la sens. J’y demande aussi au roi et à mes camarades d’armes de prendre chacun ses responsabilités.
Ces appels sont ci-joints, et je vous serai reconnaissant si vous voulez bien les publier ou les diffuser à la plus grande échelle possible.
Je vous remercie par avance.
Cordialement.
Mustapha Adib
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Appel adressé à Mohamed VI, roi du Maroc
de la part de Mustapha ADIB Ex-Capitaine de l’armée marocaine :
Soyez intelligent et pro réactif pour l’intérêt effectif de tous.
Mohamed VI,
Comme vous le savez et comme le sait maintenant la majorité du peuple marocain, le bilan de la dynastie alaouite, dont vous êtes le représentant, est très négatif. Durant les règnes successifs des monarques alaouites, jamais les Marocains n’ont été respectés par leurs dirigeants. Ces derniers les ont toujours considérés comme un peuple inférieur, de second rang. Certains monarques en étaient tellement convaincus qu’ils avaient même livré le Maroc à l’étranger – le Protectorat – avec pour seul souci de rembourser leurs dettes personnelles contractées auprès de pays étrangers. Ces monarques pensent, pour des raisons mystérieuses, que le Maroc est leur propriété, et que les marocains sont leurs esclaves.
Le pire est que, même à notre époque, aucun monarque n’a eu le courage de reconnaitre les nombreux torts de cette dynastie qui s’est distinguée par de multiples faits de corruption, de dérives et de crimes. Aucun monarque n’a pu ou su réconcilier cette dynastie avec le peuple marocain, comme si celui-ci n’avait pas d’autre alternative que de passer sa vie à se soumettre à ses desiderata et à ses caprices et à vivre dans l’humiliation et l’indignité.
Ainsi, durant le règne de Hassan II, le peuple marocain en a vu de toutes les couleurs : dahirs à profusion, constitution taillée sur mesure, pouvoir absolu du roi, répression féroce du peuple, disparitions forcées des opposants, corruption généralisée, dilapidation de l’argent public par le palais et ses affidés, clientélisme omniprésent, etc. Quand le peuple voulait exercer son droit légitime de manifester, Hassan II n’hésitait pas à donner l’ordre à l’armée de l’époque, gendarmerie comprise, de tirer à balles réelles sur des manifestants désarmés. Des centaines de personnes sont mortes ainsi, des milliers d’autres blessées, sans compter les disparus.
Avant même que vous ne montiez sur le trône, le makhzen a tenté de donner de vous l’image d’un futur roi différent des autres : roi des pauvres, roi anti-corruption, roi anti-favoritisme et clientélisme, roi ouvert d’esprit, et j’en passe. Bref, le souverain qui allait réconcilier le peuple avec la dynastie alaouite.
Aujourd’hui, les Marocains n’ont plus de doute : tout cela n’était qu’une mascarade du makhzen destinée à vous assurer une transition maitrisée. Force est de constater que rien n’a fondamentalement changé pour eux et pour leur vie quotidienne.
Mohamed VI,
En tant que citoyen très attaché à mon pays, je ne souhaite pas voir des Marocains manifester comme en ce moment dans d’autres pays arabes et mourir par centaines. Je ne souhaite pas non plus revenir aux jours sombres du règne de Hassan II. Enfin, je ne voudrais pas que vous vous retrouviez dépassé par de graves événements. C’est pourquoi, sans préavis, j’ai décidé de lancer un double appel, à vous-même et à l’armée marocaine, en espérant que vous prendrez personnellement les décisions adéquates, loin des « conseils » de ceux qui tirent déjà profit de la situation actuelle. Loin également des conseils des partisans de méthodes sécuritaires archaïques.
Si ma démarche devait conduire à mon arrestation ou pire encore, sachez que j’en serais honoré. Car comme des dizaines de millions de mes compatriotes, je ne supporte plus les nombreuses injustices causées par votre régime et ses vautours.
Mohamed VI,
Je vous invite à prendre sans tarder les mesures attendues par l’immense majorité des Marocains, en vous priant instamment de ne pas tergiverser ou recourir à toutes sortes de prétextes ou d’excuses destinées à gagner du temps. Je vous demande ainsi d’annoncer sans délais :
1- Le début de consultations pour une nouvelle Constitution, ou, au moins, une réforme profonde de l’actuelle Constitution, en prenant en compte les aspirations légitimes du peuple marocain et notamment, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il faudra y reconnaitre la suprématie de la Constitution nationale ainsi que celle des Conventions Internationales sur le droit interne en cas de conflit.
2- Le début de consultations pour une réforme radicale de notre système judiciaire qui ne répond ni aux attentes des Marocains, ni à celles de nos partenaires étrangers. C’est toute la crédibilité du Maroc qui est également en jeu.
3- L’arrestation immédiate des personnes impliquées dans les affaires de corruption et de violation des Droits de l’Homme au Maroc, et le gel de tous leurs avoirs au Maroc et à l’étranger, en vue de les présenter à la justice. Ces arrestations ne doivent épargner aucune personne, quelle que soit son degré de proximité ou de collaboration avec la famille royale.
Mohamed VI,
Des décisions en ce sens, même si elles doivent être suivie d’autres, notamment celles relatives au social et à l’économie, contribueraient à calmer les esprits et à rétablir la confiance. Il est temps que vous choisissiez clairement et courageusement votre camp : celui du peuple. Vous devez bien le comprendre, Mohamed VI : choisir son camp après la révolte sera certainement trop tard. Un bon chef d’état est celui qui, en voyant la révolution se préparer, la provoque lui-même. Et il n’ya pas de honte en cela.
Vive un Maroc libre !
Vive un Maroc juste !
Vive un Maroc fraternel !
Vive le Maroc !
Mustapha Adib
Le 01/02/2011
– Ex-Capitaine de l’armée de l’air au Maroc ;
– Ancien détenu d’opinion suite à la dénonciation de la corruption au sein de l’armée ;
– Lauréat du Prix de l’Intégrité 2000 décerné par Transparency International ;
– Adopté par Amnesty International ;
– Soutenu par Avocats Sans Frontières, la FIDH, l’OMCT et HRW ;
– Objet d’une décision du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire (ONU) demandant au gouvernement du roi du Maroc de libérer le Capitaine Adib immédiatement et sans condition, et que ledit gouvernement n’a pas daigné libérer avant l’exécution de la totalité de la peine de deux ans et demi ;
– Ingénieur en Télécommunication.
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Appel adressé de la part de Mustapha ADIB Ex-Capitaine
à ses camarades dans l’armée marocaine
Nous faisons partie du glorieux peuple marocain, et nous pouvons le montrer à tout moment, et à quiconque.
Chers camardes de l’armée marocaine :
Comme vous le savez, la majorité d’entre nous avait choisi l’armée par conviction, et essentiellement pour servir la patrie.
Malheureusement, une fois engagés, nous avons tous été confrontés à des pratiques qui non seulement n’avaient pas pour but de servir la patrie, mais au contraire, la desservaient et n’avaient plus rien à voir avec nos ambitions et nos valeurs. Personnellement, en dénonçant la corruption qui sévit dans l’armée pour que, entre autre, mes subalternes puissent bien manger et puissent accéder à tous leurs droits sans chantage, j’ai été condamné à la prison au lieu d’être promu. Cette prison a été un honneur pour moi, car mes subalternes m’apprécient pour ça à vie.
Aujourd’hui, après 12 ans de règne de Mohamed VI, et en toute franchise et responsabilité, qu’est ce qui a changé au Maroc ? On peut constater que la pauvreté a augmenté, tout comme la corruption, le favoritisme et le clientélisme, aussi bien au sein de l’armée que chez nos concitoyens civils. La fierté d’appartenir à l’armée se dissipe petit à petit à cause de la mauvaise gestion de Mohamed VI et de son entourage. Ne soyons pas dupes ou peureux, le roi a tous les pouvoirs pour remédier à cette situation. S’il n’a rien fait durant ces 12 ans, ce n’est pas seulement parce qu’il est mal entouré, c’est parce qu’il y trouve son compte aussi. Ne donnons pas l’impression que nous sommes lâches, car nous ne le sommes pas. Nos ancêtres ont déjà fait preuve de bravoure et de loyauté, comme lorsqu’ils avait arrêté les armées ottomanes à la frontière algérienne sans la présence d’un roi à leur côté, ou lorsqu’ils ont conquis l’Espagne alors que Tarik Ibn Ziad, qui les accompagnait, avait brulé tous les navires, sauf un seul qu’il avait gardé pour lui-même en cas d’échec.
Chers camarades,
Un roi qui se respecte, qu’il soit au Maroc ou ailleurs, est un roi qui d’abord respecte son peuple.
Un roi qui laisse pourrir ses officiers, sous-officiers et hommes de troupe, qui les condamne par des jugements abusifs et arbitraires en son nom dans un tribunal d’exception, qui de surcroit fait d’une telle armée corrompue le pilier de son régime absolutiste, qu’il soit au Maroc ou ailleurs, est un roi qui ne mérite aucun respect.
Des généraux qui fuient les champs de bataille, qui, dans leurs luxueux bureaux, passent leurs journées à voler les biens du peuple, ou sèment la terreur et la déception parmi les militaires et même nos concitoyens civils, sont des généraux qui ne méritent ni respect ni obéissance.
Chers Camarades,
Notre armée compte un grand nombre d’officiers, de sous-officiers et d’hommes de Troupe dignes et intègres. Ceux-ci sont régulièrement chassés et maltraités par ces hauts gradés corrompus. Faites confiance au peuple marocain et ne marchez pas au diapason de ces hauts gradés qui se remplissent les poches avec les biens du peuple marocain.
C’est pourquoi, le jour où il y aura une révolte au Maroc, si le roi ou ses généraux vous sollicitent, je vous implore, chers camarades, de ne pas ouvrir le feu sur nos concitoyens. Déployez-vous comme on vous le demandera, mais ne titrez pas sur vos familles. Je vous implore de protéger les femmes manifestantes qui sont nos mères, nos sœurs, nos filles et nos épouses. Je vous implore de ne pas ouvrir le feu sur nos jeunes, qui sont nos frères, nos fils et peut être les époux de certaines d’entre nous. Ces jeunes sont notre avenir, et s’ils se révoltent, c’est parce que ce régime, dirigé par Mohamed VI, n’a rien fait pour eux.
Je vous implore de ne pas obéir à tout ordre contraire à nos valeurs de défense du peuple marocain d’abord. N’ayez pas peur des pitoyables menaces de mise aux arrêts, de destitution ou de traduction devant une cour martiale, car leurs ordres ne seront pas justifiés. Ce sont eux qui, devant la volonté et la détermination du peuple marocain, finiront devant ces cours martiales. Ces ripoux, dont beaucoup dirigent notre armée, ont depuis longtemps sali notre image de militaires loyaux que nous sommes, et, par voie de conséquence, l’image du peuple marocain tout entier.
Il est d’ores et déjà temps pour le roi de choisir son camp : soit il veut être au côté du peuple et donc il doit entamer les réformes que celui-ci exige, soit il s’oppose au peuple, et dans ce cas là il ne doit pas compter sur l’armée qui est issue du peuple.
Mais s’il attend que la situation explose, il sera certainement trop tard.
Chers camarades,
Vive un Maroc libre !
Vive un Maroc juste !
Vive un Maroc fraternel !
Vive le Maroc !
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