La vitesse de la liberté

C’est l’avis de beaucoup de gens : ce ne sont pas de révolutions dans le sens stricte du terme, ce sont des révoltes ou insurrections qui semblent être l’anti-chambre de transitions, supposées démocratiques, protagonisées par des populations lasses de décénnies d’autoritarisme, injustice, corruption, censure, et dans les derniers temps, le manque de travail et d’opportunités, en particulier pour les jeunes qui ne se résignent plus. Nous avons le besoin de nous expliquer ce qui est entrain d’arriver au monde arabe, qui est aussi notre proche Sud, et pour cette raison nous faisons des comparaisons avec emphase : la chute des régimes communistes dans le centre et l’Est de l’Europe à partir de 1989 et, malgré toutes les distances, la transition espagnole. Ce qui est commun aux protestations dans plusieurs capitales – ça on le sait- c’est un désir général de liberté dignité et bien-être mais, malgré cela, il n’y a pas de version unique viable à la fois pour la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie, la Syrie ou le Yémen. Mais ni cette circonstance ni les doutes sur le véritable signe de ces mouvements devraient noud empêcher de soutenir avec force le courage des hommes et des femmes qui se sont jettés dans la rue, pacifiquement, pour abattre leurs tyrans.

Josep Ramoneda avait raison lorsqu’il qualifie de suspect que ces révoltes  n’ont pas eu de nous, occidentaux conscients de la chance que nous avons, les gestes de solidarité et soutien que nous apportons à d’autres causes. Avec quel culot pourrons-nous continuer à dénoncer la  répression des chinois, les nord-coréens, les cubains, les théthènes, les tibétains, les iraniens, les saoudiens ou les sahraouis, si maintenant nous simulons que l’admirable lutte des égyptiens pour donner une raclée à Moubarak ne nous va pas? Le problème c’est que nous aimons les récits faciles ou ceux qui nous semblent l’être, alors que la complexité et diversité du monde arabe font que tout soit trop confus et déconcertant. Cela explique, peut-être, notre passivité. Mais ne la justifie pas. Nous avons le devoir civique de vouloir pour les gens d’autres latitudes les mêmes droits et libertés que nous nous sommes données ici, même si c’est devenu une mode le paternalisme qu’admire en Chine ce qu’à Barcelone serait inacceptable. Il faut, donc, applaudir ceux qui sont entrain de détruire le vieil ordre, même si l’on ignore ce qui viendra après. Nous ne sommes pas non plus aussi ingénus, nous savons que les hypothèses avancées sont inquiétantes : anarchie, guerres civiles, nouvelles tyranies. La démocratie n’arrive pas toujours avec une révolution de fourrure. Notre transition, n’a-t-elle, peut-être pas été truffée de violences de diverses couleurs et ne nous a pas laissé une longue liste de morts? N’avons-nous peut-être pas souffert une tentative de coup d’Etat dont les conséquences sont encore perceptibles? L’immobilisme n’est plus une option.

Heureusement, les temps changent à nouveau. La jeunesse des pays arabes -nous le voyons dans les images qui nous arrivent- a vaincu la peur et a fait que ses parents commencent, eux aussi, à la vaincre. Comme écrit par Ivan Klima dans « L’esprit de Prague », « tous les efforts pour libérer l’homme ont été, en réalité, des efforts pour le libérer de la peur, pour créer des conditions où il ne sentirait pas la dépendance comme une menace ». La question au million est claire  : Quelle vitesse faut-il à la transition et à la démocratie pour s’établir d’une fois pour toutes dans cette région de la planète? Le 30 janvier, les USA voulaient pour l’Egypte une « transition en ordre »; le 1er février, Obama exigeait que la nouvelle étape commence « maintenant »; le lendemain, l’UE réclamait « plus de rapidité » pour le processus; et le 3, les leaders de l’Allemagne, la France, le Royaume Uni, l’Italie et l’Espagne pariaient pour « une transition rapide et en ordre ». Le résumé est catégorique : l’Occident démocratique désire pour l’Egypte un changement rapide et sous une conduite fiable (l’armée, une personnalité reconnue, un gouvernement d’union?) qui évite le chaos. Mais personne ne sait ce qui arrivera demain et, en plus, il est évident que les tunisiens et les égyptiens sont pour la rupture et non pas pour la réforme, si l’on me permettait l’usage d’une dichotomie propre de l’Espagne des années soixante. C’est pour cela que les satrapes de tour n’ont plus comme option que dégager ou augmenter la répression.

Ceux qui jouent dans la rue et ceux qui s’attachent au pouvoir se battent aussi pour le levier du temps, et même si aujourd’hui, l’histoire se transmet en direct, c’est toujours un mystère comment et quand les évènements ouvrent une nouvelle époque et et nous pouvons entendre le clic de la réalité entrain de se transformer en grand. La volonté, le hasard, le besoin, les intérêts et les rêves  des gens conforment un magma que perturbe ceux qui veulent faire des prévisions. En plus, il faut pas trop croire ceux qui vous racontent qu’il y a un tableau où tout est écrit au préalable. La vitesse des transitions dans le monde arabe -la clef de son succès ou de son échec – ne peut pas être séparée de la profondeur, de la solidité et de l’étendu de celles-ci. Utilisons de nouveau le miroir domestique : Jusqu’à quel point la transition espagnole a été plus rapide que profonde? Faisons chacun son analyse, en séparant les changements institutionnels qui sont arrivés (ou qui ne sont pas arrivés) dans les mentalités. Certainement, l’Espagne vit, depuis plus de trois décennies, la période la plus longue et continue de liberté de toute son histoire. Mais cela ne veut pas dire que notre transition ait réussi à tout démocratiser comme un tour de magie; il ne manque pas de messages et d’attitudes qui confirment la survivance de zones pré-démocratiques, pour le dire d’une manière suave. L’on pourrait parler aussi, en remontant d’un dégré, du manque de solidité de la démocratie en Russie ou de certaines fragilités démocratiques dans des pays qui ont vécu sous dominations soviétique. On aimerait bien que ceux qui manifestent au Caire et dans d’autres villes arrivent à la liberté désirée et, entre-temps, qu’ils apprennent de nos erreurs.
La Vanguardia.es, 09/02/2010
Traduction non-officielle de SPS-RASD

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