ENTRETIEN RÉALISÉ, DANS UN CAMP DE RÉFUGIÉS SAHRAOUIS DE TINDOUF, PAR FARID HOUALI
Le Courrier d’Algérie : Vous avez été témoins d’un génocide comme vous l’avez souligné auparavant sur les colonnes d’un bon nombre de quotidiens…
Isabel Terraza : Franchement moi, personnellement, il m’est trop difficile de revenir sur ce qui s’est passé ce jour là, je n’ai jamais crû qu’un humain pouvait en aucun cas faire preuve d’une telle violence envers un autre. En un mot, c’était un génocide. Cela restera gravé dans ma mémoire tant que je serai vivante. Pour revenir à votre question, oui, nous étions témoins du démantèlement du camp de Gdeim Izik, moi et mon ami Antonio Velazquez. Nous y étions depuis les premiers jours de son installation soit depuis le 20 octobre 2010 plus exactement. Disons que nous avons appris bien avant l’installation du campement en dehors de El Ayoun par les jeunes sahraouis et là, un fait nous a marqués.
Lequel ?
Franchement, le campement a été installé en un clin d’oeil. Les jeunes sahraouis ont fait preuve d’une solidarité rare en son genre. En regardant ces derniers monter les premières tentes, on est resté stupéfait et étonné par l’esprit de fraternité des Sahraouis. En un laps de temps, ces jeunes ont pu faire passer le message et ainsi réunir des milliers d’autres derrière eux. Leur message était clair. Ils n’en voulaient plus de l’occupation marocaine. En face, il n’a pas fallu une éternité pour connaître la réponse du régime marocain. La suite, le monde entier la connaît et le Maroc, quoi qu’il fasse, il ne pourra jamais nier ou cacher le génocide. Les mots ne suffiront pas pour décrire la cruauté marocaine. Elle dépasse l’imaginable. Pour réprimer, les forces marocaines ont usé de tous les moyens. On a vu des Sahraouis brulés vifs. Sincèrement, c’était abominable. Les autorités marocaines ne pourront falsifier la réalité et nous les défions de prouver le contraire. Nous, on dispose de preuves concrètes.
Les autorités marocaines savaient que vous y étiez…
Assurément, de ce côté-là les Marocains s’assuraient qu’aucune information ne sorte du campement. On veillait à ce que rien ne filtre.
Mais vous avez quand même pu être en contact avec le monde extérieur…
On est resté cachés pendant dix jours dans une maison fuyant les forces de police, de gendarmerie royale et les forces auxiliaires, d’où nous entendions les cris et les appels des Sahraouis lors des perquisitions menées d’une rare violence par les forces du Makhzen. Là, sans parler des enlèvements, on se croyait dans un cauchemar. Suite à quoi, il fallait du moins mettre nos amis de l’extérieur au courant de la barbarie marocaine. Nous avons réussi en dépit de tout, à envoyer les premières photos et vidéos, chose réussie.
Quel était votre sentiment en sachant que vous avez contribué à médiatiser les faits ?
Je dirai que malgré le blocus médiatique imposé par les autorités marocaines, on a fait notre devoir et ainsi tenir au courant les autres militants de la cause et des réalités sur le terrain contrairement à ce que ne cessaient de faire croire les marocains.
Mais vous avez été finalement repérés par les autorités marocaines qui vous ont expulsés…
Après nous avoir délestés de nos appareils-photo et téléphones. Oui, on a été expulsé le 17 novembre précisément. On a été prié de quitter El Ayoun sous prétexte de notre sécurité, mais moi, j’appelle cela une expulsion et rien de plus. En tout état de cause, nous ne cesserons en aucun instant d’apporter nos témoignages sur ce qui s’est passé ce jourlà. Il est inconcevable et inadmissible pour nous de voir cela se passer autour de soi sans faire bouger le petit doigt. C’est injuste de voir des milliers de Sahraouis qui ne revendiquent que ce qui leur revient de droit, massacrés au quotidien par les forces coloniales marocaines.
Peut-on comprendre par là que vous êtes déterminés à aller de l’avant dans votre combat pour la cause sahraouie ?
Certainement. Tous ceux qui croient à la dignité et les libertés des peuples doivent faire de même.
Etes-vous prêts à y retourner ?
Y retourner ? Non je ne pense pas, du moins pour le moment, on est dans la case des ennemis n°1 des Marocains. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à la défendre jusqu’au bout, ni les intimidations ni encore moins l’interdiction de se rendre sur les territoires occupés qui nous en dissuaderont. Nous le répéterons à chaque fois que c’est nécessaire, nous sommes et nous serons aux côtés des populations sahraouies. Notre présence ici parmi eux pour célébrer le 35e anniversaire de la proclamation de la République sahraouie en est la preuve formelle. La cause sahraouie, nous y croyons. Que ce soit ici ou ailleurs, les peuples ont droit à une vie sur la terre de leurs ancêtres, réellement ce n’est pas aussi compliqué que cela paraît. La cause sahraouie est la nôtre. Et ce qui m’intrigue le plus, c’est que tout cela se passe au vu et au su de tout le monde.
Justement, vous êtes espagnole et pourtant la position de l’Espagne officielle est claire ?
Oui, c’est désolant mais les Sahraouis le savent bien, le peuple espagnol ne cautionne guère la position officielle. La plus grande partie des Espagnoles sont pour la cause.
Et l’Algérie ?
Sa position est honorable. Ce pays a toujours su se montrer aux côtés des Sahraouis. C’est l’un des rares pays qui s’est clairement manifesté pour la cause. On l’a jamais connu, si l’occasion se présente, nous y viendrons et organiserons une conférence au profit de la cause sahraouie et du combat héroïque de son peuple, hommes et femmes. Et à l’occasion je salue les journalistes algériens. J’en connais pas, mais ce qui est sur et même certain c’est que ces derniers, pour leur part ont bien médiatisé la cause sahraouie et souvent dénoncé les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés, je salue également leur courage. Votre dernier mot… Parler des violations des droits élémentaires des Sahraouis par les autorités marocaines, on en dirait jamais assez. La communauté internationale, le Conseil de sécurité de l’ONU doit impérativement intervenir et amener le Maroc à accepter un référendum juste au Sahara Occidental et ainsi mettre un terme aux souffrances des populations sahraouies. Je pense que ce qui s’est passé en Tunisie et l’Egypte est un prolongement du soulèvement de Gdeim Izeik.
Source : Le Courrier d’Algérie, 5/03/2011
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