Les travaux pour la réalisation de la ligne à grande vitesse (TGV) devant relier Tanger à Casablanca ont été lancés jeudi dernier par le Roi Mohamed VI et le président français Nicolas Sarkozy. Le TGV devrait entrer en service en 2015 et réduire la durée du trajet à 2h10 mm au lieu de 5h45 mn actuellement. Tout ne baigne pas cependant. La satisfaction des officiels est «gâchée» par les critiques de ceux qui estiment que le Maroc avait autre chose à faire qu’à s’offrir un «caprice royal».
En France, on y voit un «cadeau» du président français à Alstom et à la Sncf et un effort de marketing pour un TGV français qui ne marche pas fort à l’export. Côté marocain, les officiels ont loué les conditions avantageuses de financement du projet dont le coût global est estimé à 1,8 milliard d’euros, avec des financements français et arabes, notamment saoudiens et koweitiens. La moitié de la facture sera financée par un prêt de 920 millions d’euros de la France, appuyé à un contrat de 400 millions d’euros pour la fabrication des rames confiée à Alstom, qui peine à trouver des marchés en Europe. Un don de 75 millions d’euros de la France au Maroc et un prêt à long terme de 200 millions d’euros de l’Association française du développement (AFD) s’ajoutent à ceux du Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades) pour 100 millions de dollars (800 MDH) et du Fonds koweitien pour le développement économique pour 712 MDH. La facture globale pour le Maroc sera de 3 milliards d’euros. Le TGV devrait être prolongé vers Marrakech puis Agadir, des destinations exclusivement «touristiques». Ces conditions de financements présentées comme avantageuses n’ont pas désarmé les critiques. D’autant que le marché du TGV est, de l’avis général, une «compensation» au fait que le Maroc ait choisi d’acheter des F16 américains au lieu des Rafale français.
Sans appel d’offres
Cette «compensation» a fait que le marché a été octroyé aux Français sans passer par un appel d’offres. Chose peu appréciée par l’Allemagne qui a usé de son veto pour empêcher un prêt de la Banque européenne d’investissements en raison de l’absence d’appel d’offres qui aurait permis aux entreprises allemandes de concourir. L’incidence économique du projet n’est pas évidente. Yasser Tamsamani, professeur-assistant à l’Ecole de gouvernance de Rabat souligne que 3 milliards d’euros c’est l’équivalent des investissements publics réalisés en 2009 admet qu’il y aura sur le court terme un apport à la croissance en raison des emplois générés. Mais, ajoute-t-il, «sur le long terme, c’est moins certain car ses effets dépendront de gains de productivité qui dépendent eux-mêmes de transferts de technologies, a priori limités. De nombreux observateurs se demandent également si la priorité pour le Maroc était bien de créer une ligne TGV et s’il ne fallait pas simplement améliorer l’offre ferroviaire existante». Doute partagé par l’homme d’affaires casablancais Karim Tazi qui se dit sceptique vis-à-vis d’un «projet de TGV, qui a été approuvé et octroyé dans un manque de transparence total » en ajoutant qu’il n’est pas du «tout prouvé que le Maroc ait besoin d’un tel projet».
Qui sera assez riche pour s’offrir le TGV ?
Sur le site Atlantico, Marc Fressoz, collaborateur à la Lettre de l’Expansion et à des journaux de transport et auteur du livre «FGV, Faillite à grande vitesse : 30 ans de TGV) met en doute la viabilité économique du TGV «marocain». «Mais qui sera assez riche pour acheter un billet de TGV au Maroc sachant que la construction des lignes et l’exploitation extrêmement onéreuses rendent ce train extrêmement cher ? Le Maroc pourra-t-il compter sur les classes aisées, les touristes occidentaux, sur les retraités français qui s’achètent des villas au soleil, mais tout cela ne fait pas le plein… Ce TGV est peut-être un cadeau empoisonné car il risque de plomber l’ONCF, l’Office national des chemins de fer marocains, l’équivalent de la SNCF». Fouad Abdelmoumeni, économiste, spécialiste marocain de la microfinance et militant de droits de l’homme, est, lui, tout simplement scandalisé par le projet. «Ce TGV est un scandale dans les conditions actuelles au Maroc». «Le TGV qui est passé sans appel d’offres, sans justification sociale ni économique, est vécu comme une situation de surexploitation et de corruption» a-t-il ajouté. Il est clair, selon lui et beaucoup d’autres Marocains, que la priorité n’est pas de se doter d’un TGV mais de s’attaquer aux problèmes de l’analphabétisme, de la pauvreté et du chômage.
Un «presque crime économique»
Dans une lettre ouverte au président Nicolas Sarkozy, le blogueur marocain Larbi dénonce un «presque crime économique». «Une fois rentré chez vous, nous on s’est retrouvé avec une commande énorme dans son montant, disproportionnée dans son objet sans que personne ne sache comment la financer ni pourquoi on s’est retrouvé face à un engagement aussi lourd (..) on parlait d’un budget de travaux d’aménagement et d’acquisition de rames estimé à deux milliards d’euros. Finalement ce sont plus de trois milliards d’euros que les Marocains devront débourser pour payer Alstom, si chère à votre cœur, vous son sauveur, SNCF et les divers prestataires français. Rapporté au PIB marocain, c’est comme si la France avait décidé de construire une ligne grande vitesse à 58 milliards d’euros ! C’est ce que vous appelez vivre au-dessus de ses moyens »
Le Quotidien d’Oran, 04/10/2011
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