"La France doit balayer devant sa porte"

Des morts se comptaient par centaines. Les uns abattus à bout pourtant à balles réelles et des dizaines morts par noyade après avoir été jetés dans la Seine. L ’Académie de la société civile algérienne (ASCA) milite depuis longtemps tant en Algérie qu’à l’étranger pour amener la France à se repentir et reconnaître les crimes commis contre les Algériens. Son président en France, Mohamed Saghour, ne cache pas sa détermination à remettre sur la table la question de la repentance à chaque fois que l’occasion se présente. Le 17 octobre est donc propice pour relancer cette question qui envenime les relations algéro-françaises. 
 
Entretien : 
 
La NR : Quelles interprétations donnez-vous à la visite de l’ambassadeur de France en Algérie à la prison de Serkadji à la veille de la commémoration du 17 octobre 1961 ? 
 
Mohamed Saghour : Avant de répondre à votre question, je vous fais savoir que notre Académie, et à sa tête Ahmed Chenna, préside la commission pour la criminalisation de la colonisation française réclamant la repentance de la France. Cela étant, il y a différentes interprétations à cette visite. Peut-être, c’est un pas vers la repentance d’autant que l’Ambassadeur a insisté sur la reconnaissance des crimes coloniaux. En quelque sorte, c’est une mini repentance. Mais à nos yeux, cela reste insuffisant et seul la repentance fait tourner la page sans bien sûr tirer un trait sur un passé douloureux. Ce retour sur les traces de ce passé n’est pas fortuit et peut aussi s’expliquer par une tentative de la droite française à glaner des voix dans les prochaines élections présidentielles. Une sorte de campagne électorale. Mais bon, l’essentiel, c’est que la France est revenue là où presque 200 Algériens sont passés par la guillotine. La reconnaissance oui, la repentance non, tels sont les propos de l’ambassadeur. 
 
N’est-ce pas de la provocation sur un lieu fort symbolique de la révolution algérienne ? 
 
Nous n’allons pas jusqu’à affirmer que c’en est une mais comme je vous l’ai dit, c’est un pas positif surtout que des voix s’élèvent en France même pour appeler à la repentance. Je voudrais ajouter aussi que nous militons pour ça et nous ne baisserons jamais les bras pour atteindre notre objectif. Ça sera difficile mais impossible. En plus, il est du devoir de l’Etat algérien d’exercer des pressions sur la France sur cette épineuse question. Notre pays possède des cartes entre les mains et il suffit juste de les utiliser pour obtenir gain de cause. De toute manière, un jour ou l’autre la France se pliera à l’évidence et reconnaîtra ses torts. 
 
Les juifs de France et la gauche de ce pays appellent à la reconnaissance officielle des évènements du 17 octobre 1961. Quelle lecture donnez-vous à cet appel ? 
 
Des émigrés ont été abattus à bout portant, certains sont morts par noyade à la Seine juste pour avoir contesté le couvre-feu qui leur est imposé. Il y a eu un massacre collectif de civils, par conséquent, il est un devoir pour tous les êtres humains épris de justice de demander cette reconnaissance. De notre côté, nous comptons organiser une conférence à Lille dans les tous prochains jours. Elle coïncidera avec la date du 1er novembre. Cette conférence a déjà reçu un large écho auprès de notre communauté décidée à exercer des pressions sur l’Etat français pour l’amener à reconnaître des faits historiques que nul ne conteste et ensuite à se repentir de ses crimes. Je tiens à remercier le Consul général de Lille pour sa contribution à la réussite de cette conférence ainsi le responsable d’Aigle Azur et celui d’Air Algérie. Vous voyez que nous ne sommes pas seuls quand il s’agit de remettre sur la table les crimes coloniaux. Nicolas Sarkozy a appelé la Turquie à se repentir de ses crimes contre les Arméniens commis durant la Première Guerre mondiale mais veut enterrer le passé de la France en Algérie. 
 
N’est-ce pas là du deux poids, deux mesures ? 
 
C’est clair que c’en est un et au lieu de balayer devant sa porte, Sarkozy le fait devant celle des autres. La France a un lourd passé en Algérie. Personne ne peut prétendre le contraire quand bien même Sarkozy fait la fine bouche quand il s’agit des crimes commis en Algérie. D’ailleurs, la Turquie n’a pas mis longtemps pour le lui rappeler. Il est inadmissible que l’ancien colonisateur se fait le porte-parole des autres alors qu’il oublie ou feint d’oublier que juste devant sa porte le sang des Algériens massacrés le long des 132 années de colonisation coule encore. D’ailleurs ses déclarations en Arménie ne sont pas passées sous silence. Même en France, elles y sont interprétées comme une campagne dénuée de moralité. 
 
Pour revenir à votre Académie, son rôle s’arrête-il uniquement à militer pour la repentance de la France pour ses crimes coloniaux ou bien active-t-elle dans d’autres secteurs ? 
 
En fait, nous déployons d’énormes efforts pour préserver l’image de l’Algérie et étouffer la publicité mensongère que certains cercles occultes tentent de lui coller. Il n’est pas sans rappeler que notre pays est visé comme le sont d’ailleurs d’autres pays. Notre rôle consiste alors à barrer la route à ces cercles qui visent sa déstabilisation. En plus, nos activités ne se résument pas uniquement à défendre l’Algérie mais aussi les causes justes comme par exemple la Palestine et le Sahara occidental. En d’autres termes, nos activités sont multiples. Même dans le domaine culturel, nous ne manquons pas d’être toujours au devant de la scène. 
 
Pouvez-vous être plus explicite ? 
 
Il ne va pas sans dire que notre Académie est une ONG et que ses activités touchent plusieurs domaines. Elle est aussi présente dans plusieurs pays. Nous étions à Bruxelles pour soutenir le peuple sahraoui. Nous le faisons aussi avec la Palestine à chaque fois que l’occasion se présente. En collaboration avec le journal « Nord Eclair » de Lille, on a aussi participé à l’envoi des médicaments en Somalie. En un mot, nous sommes toujours présents lorsqu’il s’agit de voler au secours des autres. Le domaine culturel est un domaine que nous projetons d’investir encore plus dans le but de vulgariser la culture algérienne. On apporte notre aide à nos émigrés à chaque fois que la situation l’exige. Vous voyez que nos activités ne s’arrêtent pas uniquement à demander la repentance de la France. 
 
En plus de la conférence prévue dans quelques jours, qu’est-ce vous comptez faire dans un avenir proche ? 
 
Nous n’avons nullement l’intention de nous arrêter à cette conférence quoique celle-ci soit plus que nécessaire mais de faire en sorte que les victimes des essais nucléaires de Reggane soient indemnisés et reconnus comme tels. D’ailleurs, j’attire votre attention que leur indemnisation est une forme de repentance. Comment alors la France affiche son repentir devant les victimes des essais nucléaires et ne le fait pas pour tous les autres crimes coloniaux. 
 
Un dernier mot ? 
 
Pour aplatir les différends entre la France et l’Algérie et pour que les relatons bilatérales soient au beau fixe, il est plus que primordial pour ce pays de reconnaître ses torts. Il faut bien que la France affiche ses bonnes intentions pour que ses différends s’estompent. On n’en est pas encore là mais peut-être que dans un avenir proche, ce pays comprendra que sans la repentance, les relations resteront à jamais conflictuelles. Enfin, je lance un appel à notre communauté de marquer sa présence dans cette conférence.
Entretien réalisé par Assem Madjid 

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