L’histoire passionne la Belgique et le Maroc. Abdelkader Belliraj est accusé par le Maroc d’être le cerveau d’un réseau terroriste. Belge d’origine marocaine, Abdelkader Belliraj a habité à Evergem (près de Gand) jusqu’à la fin janvier. Le 18 février dernier, le Maroc le met aux arrêts et le place en détention à la prison civile de Salé, démantelant une cellule terroriste présumée de 35 membres. Or il semble qu’Abdelkader Belliraj était également fort bien connu des autorités belges. La presse belge, intéressée par cette affaire, rapporte que Belliraj était « un indicateur officiel rémunéré de la Sûreté belge ». Le ministre marocain de l’intérieur, Chakib Benmoussa, a affirmé, dans une interview accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique, que, selon lui, « il est évident que les services de renseignements belges le connaissaient ». Abdelkader Belliraj, aujourd’hui âgé de 50 ans, est soupçonné par le Maroc d’avoir exécuté ou fait exécuter six personnes, dont au moins quatre à caractère politique, sur le territoire belge depuis la fin des années 80. Abdelkader Belliraj aurait agi pour le compte d’Al-Qaïda. Les autorités belges ont-elles délibérément « fermé les yeux » sur ce sextuple assassinat? « La Belgique aurait-elle couvert des faits de grand banditisme pour protéger un informateur ? » Belliraj aurait été « un tuyauteur en or » pour la Sûreté. Il aurait été informateur pendant huit ans. Ce qui provoque une vive polémique dans le plat pays. Surtout à la lumière du fait que, lorsqu’Abdelkader Belliraj a acquis la nationalité belge, un avis a été émis, en 2000, à l’attention du Procureur du Roi, soulignant les liens de l’intéressé avec « la mouvance islamiste algéro-marocaine et les milieux marocains pro-iraniens ». Les révélations de cette affaire, particulièrement délicate pour la Belgique, ont été suivies d’effets : Jo Vandeurzen, le ministre de la justice, a demandé l’ouverture d’une enquête sur « la manière dont les services de renseignement » de son pays « ont collecté et traité les informations concernant le dossier de Belliraj ». En commentaire, le ministre a déclaré : « Il ne sert à rien d’avoir des méthodes particulières de recherche si la Sûreté ne communique pas ses informations au pouvoir judiciaire ». Investi du mandat de dénoncer et démasquer les réseaux de trafic de cannabis en partance du Nord du Maroc pour l’Europe, particulièrement la Belgique, Belliraj, selon le quotidien « Tijd », dans son édition du vendredi 7 mars, aurait de plus aidé la Sûreté de l’État belge à déjouer un attentat en Europe. Le quotidien belge Le Soir a révélé que les informateurs recrutés par la sûreté de l’État percevaient une somme allant de 500 à 2.500 euros par information. Le présumé terroriste a livré à la police marocaine les noms de 20 complices qui l’auraient aidé à commettre six meurtres et autres méfaits en Belgique. Belliraj, aidé d’un commando de trois hommes, travaillait en plus avec des « collaborateurs occasionnels » qui ont, par la suite, disparu de son entourage. Les victimes de ces meurtres sont un représentant de la communauté juive, deux responsables musulmans qui avaient pris leurs distances avec la fatwa prononcée à l’époque par l’Iran à l’encontre de Salman Rushdie, après la publication des « Versets Sataniques », et un chauffeur égyptien de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite en Belgique, qui aurait été pris pour un diplomate saoudien. Au moins trois des six meurtres ont été commis avec la même arme. Cet élément avait déjà été mis en évidence par l’enquête judiciaire menée en 1989, rapporte Het Laatste Nieuws. Le rôle obscur joué par Abdelkader Belliraj aurait « protégé » la Belgique contre une quelconque attaque terroriste. Le journal « La libre Belgique » a publié un entretien avec le patron des services secrets belges, Alain Winants, dans lequel, ce dernier estime que « la divulgation de l’information sur le statut d’informateur d’Abdelkader Belliraj est une irresponsabilité totale ». Alain Winants a, de plus, affirmé avoir porté plainte devant la justice après la parution de renseignements « hautement classifiés » dans la presse. « La Sûreté de l’État a décidé de porter plainte avec constitution de partie civile pour atteinte à la loi du 11 décembre 1998 sur la classification, et atteinte à la loi du 30 novembre 1998 du code pénal sur le secret professionnel ». Ce recours à la justice intervient sur ce qui apparaît être une querelle entre la Sûreté de l’État et la police judiciaire. Position appuyée par le président du Sénat, Armand De Decker, qui a déclaré à la télévision RTBF qu’un service de renseignement, par définition, ne révèle jamais qui sont ses informateurs. Une double enquête va être menée en Belgique pour démêler l’écheveau. Le parquet fédéral belge va tenter de déterminer quels sont les actes de terrorisme qui peuvent être imputés à Belliraj et commis en Belgique. Une commission rogatoire pourrait se rendre au Maroc, à Rabat, pour mener cette enquête. Parallèlement, le parquet de Bruxelles doit décider s’il va regrouper les six dossiers d’assassinats imputés également à Belliraj qui n’aurait cependant avoué que quatre de ces meurtres. Déjà, une première équipe de policiers de la section antiterrorisme de la police fédérale, s’est rendue au Maroc et a affirmé avoir eu une très bonne, voire une excellente coopération de la part de leurs homologues marocains. Le caractère international de l’affaire fait en sorte qu’une délégation d’agents de la police fédérale américaine (FBI) et de la Centrale du renseignement (CIA) a également été dépêchée au Maroc pour enquêter sur ce réseau. Selon le ministre marocain de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, le présumé terrroriste Abdelkader Belliraj a séjourné en 2001 en Afghanistan. Il a reçu ses ordres directement d’Al-Qaïda alors qu’il travaillait comme informateur pour la Sûreté de l’État en Belgique. Selon une source policière belge, citée par De Morgen, Belliraj a rendu visite à Ayman al-Zawahiri, le numéro deux du réseau terroriste Al Qaïda et collaborateur direct de son dirigeant Oussama Ben Laden. « Zawahiri a alors confié certaines missions à Belliraj, selon des éléments de l’enquête judiciaire menée au Maroc autour du groupe terroriste dirigé par Belliraj », a expliqué la source policière. Selon La Dernière Heure, Belliraj a également rejoint en 2005 le maquis du Groupe Salafiste algérien pour la Prédication et le Combat. Au Maroc, par suite de la révélation des activités d’Abdelkader Belliraj, les partis du Mouvement populaire (MP) et du Rassemblement national des indépendants (RNI) ont dénoncé les actes terroristes que comptait perpétrer sur son territoire le réseau terroriste de Belliraj. « L’ampleur des actes que préparait ledit réseau montre clairement que le Maroc est encore visé par le terrorisme, ce qui appelle à davantage de vigilance de la part des citoyens et de toutes les forces vives du pays », déclarait dans un communiqué le parti du Mouvement populaire (MP). Le ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, a révélé que le réseau terroriste Belliraj avait en effet mis au point un plan à long terme visant « l’infiltration des institutions de l’État, des partis politiques et de la société civile ». Selon le ministre Benmoussa, « les investigations menées par les autorités compétentes ont établi que le réseau Belliraj a tissé des liens avec des groupes et organisations terroristes internationaux, particulièrement Al Qaïda en Afghanistan en 2001, le Groupe Islamique Combattant Marocain (GICM) durant la même année ainsi qu’en 2003 et 2004, et le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) à la même période ». Des membres du réseau Belliraj ont eu aussi des contacts avec le Hezbollah en 2002, le but étant d’envoyer au Liban des membres du réseau pour entraînement. L’affaire Belliraj crée des remous au Maroc. TelQuel Online ne cache pas son scepticisme face aux nombreuses zones d’ombre qui subsistent dans ce dossier. « Déjà, la présomption (d’innocence) a été bafouée dans les organes de presse officiels et dans les déclarations, tant du ministre de l’Intérieur que du porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri », tonne l’un des avocats des personnes suspectées de terrorisme et mises sous arrêts. TelQuel Online poursuit ses interrogations : « Qui a introduit ces armes au juste, et quand, et dans quel but, et pourquoi et comment ces gens ont eu l’infinie patience de rester cois si longtemps… Tout ce dont on dispose, à cette heure, pour répondre à ces questions cruciales, ce sont les déclarations du ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa. Un honnête homme, sans aucun doute, qui, plus d’une semaine après les premières arrestations, ne donne toujours aucun détail sur les éléments dont dispose(raie)nt ses services, s’abritant, un coup derrière le secret de l’instruction, un coup derrière sa méconnaissance des détails opérationnels de l’enquête. Désolé, Monsieur le ministre, mais il nous en faut plus. En quoi consistent ces « éléments » ? S’agit-il de documents ? D’écoutes téléphoniques ? D’aveux ? Dans ce dernier cas, qui a avoué quoi ? Et dans quelles conditions ? Quand on connaît les méthodes d’interrogatoire des services anti-terroristes (suffisamment d’ONG ont rapporté suffisamment d’horreurs là-dessus), il est légitime d’entretenir quelques doutes… pour le moins ». Lapidaire, TelQuel Online pousse le scepticisme jusqu’à se demander, en éditorial : « Franchement, qui peut croire que la justice marocaine sera suffisamment indépendante pour examiner objectivement les « éléments » du ministère de l’Intérieur, quitte à les invalider ? Personne, et notamment pas l’auteur de ces lignes. Et notamment pas non plus la justice belge, qui ne sait plus comment dire sa « précaution » face aux « informations » transmises par les Marocains… ». Pour informations complémentaires : Le Reporter