Mohammed VI : dix ans de règne, toujours pas d’équilibre des pouvoirs

Par Amel Boubekeur

Dix ans après avoir succédé à son père, le roi Mohammed VI a réalisé d’importantes réformes économiques et sociales, sans toutefois les accompagner des changements politiques tant promis. Le « makhzen », l’élite économique et politique qui gravite autour du pouvoir marocain, domine toujours la scène politique.  Cela a été démontré par la victoire du tout nouveau Parti authenticité et modernité (PAM) au cours des dernières élections municipales de juin 2009.

Le PAM a été lancé par un proche du roi et seulement cinq mois avant le lancement de la campagne électorale. Il a remporté 21,7% des votes et a considérablement affaibli les partis historiques de l’opposition. De nombreux élus du Parlement ont ainsi déserté leurs partis d’origine pour rejoindre la nouvelle structure makhzenienne, démontrant que, dans la structuration du champ politique, les alliances avec la monarchie prennent souvent le pas sur une compétition électorale basée sur des idées et des programmes.
Un parti composé d’amis, d’alliés, de clients et de futurs clients du roi

Bien que cette pratique de promotion des « partis d’administration » remonte au roi Hassan II, la création du PAM constitue une première sous son fils Mohamed VI. Le soutien du roi à un parti essentiellement composé d’amis, d’alliés, de clients et de futurs clients a quelque peu délégitimé les promesses d’ouverture du champ politique du début de son règne. Pensée comme un moyen de mettre à niveau les pratiques des partis politiques, cette nouvelle formation semble, au contraire, avoir amoindri le potentiel d’opposition des partis islamistes et de la gauche, et avoir fragmenté un peu plus la scène politique marocaine, déjà encombrée par plus de trente partis.
Le PAM, lancé par Fouad El Himma -ancien ministre de l’Intérieur et premier conseiller du roi-, est né de la fusion de cinq petits partis dont il a récupéré nombre de députés. Il a ainsi, dès sa création, bénéficié d’une large majorité parlementaire sans même avoir participé aux dernières élections législatives de 2007. Parmi les conquêtes du PAM, on compte même d’anciens militants des droits de l’Homme emprisonnés sous Hassan II -qui espèrent une réhabilitation historique de la part du nouveau roi.
Et pour séduire les électeurs, le PAM s’est très vite présenté comme une alternative politique à la Koutla, la coalition formée au sein des récents gouvernements du pays. Coalition regroupant le parti Istiqlal (Parti de l’Indépendance, droite conservatrice) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP), deux partis historiques de l’opposition ayant finalement rejoint le gouvernement. La campagne du PAM s’en est tout particulièrement prise au Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD, islamiste), en le concurrençant notamment sur la question de l’authenticité de l’identité marocaine. Se distinguant des autres partis plus attirés en règle générale par les grandes villes, il s’est principalement occupé de séduire les votants des zones rurales.

Un préjudice à l’utilité même des partis

Toutefois, la visibilité de sa campagne et ses succès électoraux sont plus dûs aux réseaux d’influents notables capables de financer leurs campagnes et de s’assurer l’allégeance des populations locales, qu’à une plus-value en termes d’idées ou un travail militant sur le terrain.
Mais, à la différence d’Hassan II, Mohammed VI n’est plus directement impliqué dans le choix des candidats et des progrès importants ont été réalisés, dont la non-intervention du ministère de l’Intérieur dans le processus électoral. Mais en soutenant un parti comme le PAM, sans consistance idéologique ni projet novateur et reposant principalement sur des alliances clientélistes, la monarchie pourrait bien porter préjudice à l’utilité même des partis et aggraver les phénomènes d’abstention au sein de la population. Les réformes récemment encouragées par le roi, promouvant la participation politique des femmes et des jeunes, seraient ainsi toujours limités par le fonctionnement interne des partis si ces derniers restaient aussi faibles et désorganisés.
Les partis politiques, de leur côté, devraient cesser de s’aligner exclusivement sur les stratégies politiques des élites du makhzen durant les élections ; et se concentrer davantage sur l’éducation de leurs électeurs, sur la formation de leurs activistes et, au plan local, sur un véritable travail de terrain.
Le futur de la « monarchie exécutive » que Mohammed VI tente de construire est face désormais à deux défis majeurs. Premièrement, garantir, de manière démocratique et non
invasive, l’intégration politique de ceux qui le soutiennent. Deuxièmement, permettre l’émergence d’une opposition aux bases solides, capable de s’impliquer dans l’élaboration des réformes économiques et sociales dont le Maroc a besoin. Ce n’est qu’en parvenant à asseoir ces deux pôles politiques que le roi, toujours fortement appuyé par la majorité des Marocains, pourra efficacement revendiquer sa neutralité, et donner du sens à la vie politique de son pays.

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