Qatargate : la bureaucratie syndicale corrompue dévoilée

Un important scandale de corruption, impliquant le chef de la Confédération syndicale internationale (CSI) et des membres du Parlement européen, a été révélé fin 2022. Tous auraient reçu des pots-de-vin des régimes qatari et marocain, en échange du nettoyage du l’image du pays avant la Coupe du monde 2022. Une enquête du quotidien bruxellois Le Soir a révélé le scandale, qui a conduit à l’arrestation puis au limogeage du secrétaire général de la CSI, Luca Visentini. Il s’était précédemment retiré en décembre, n’ayant passé que quelques jours dans le rôle.

Les meneurs de ce stratagème de corruption sont l’eurodéputée grecque Eva Kaili (PASOK), son partenaire, un assistant parlementaire et deux autres politiciens : le membre du Parti socialiste belge Marc Tarabella et l’ancien bureaucrate de l’eurodéputé/CGIL, Antonio Panzeri. Visentini, ancien secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), a également été arrêté puis relâché. Il est soupçonné d’avoir reçu de l’argent d’une ONG financée illégalement pour financer sa campagne à la tête de la principale confédération syndicale. Il a reconnu plus tard avoir reçu l’argent de cette ONG.

La Coupe du monde au Qatar a été une source de grande controverse, notamment en raison des mauvaises conditions de travail des millions de travailleurs migrants qui ont construit les installations pour l’événement. Il y a sept ans, lorsque le Qatar a été annoncé comme hôte de 2022, la plupart des organisations de travailleurs ont dénoncé à la fois la corruption de la FIFA et les conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs au Qatar. Mais quelques mois seulement avant le tournoi, le ton a soudainement changé.

Après une réforme cosmétique de la législation du travail au Qatar, la haute direction de la CSI a commencé à présenter le Qatar comme un modèle pour l’amélioration des conditions de travail, sur la base de la promesse de signer quelques conventions de l’Organisation internationale du travail, sans mordant. Et ce malgré de multiples rapports sur les conditions de travail épouvantables sur le terrain montrant peu d’amélioration.

Maintenant, les juges belges ont lié Visentini à un effort pour blanchir le Qatar. Il a laissé aux syndicats européens une dette d’un million d’euros et a été autorisé à devenir le chef de la confédération syndicale mondiale. A ce titre, il est invité à assister aux réunions annuelles de Davos, côtoyant l’élite des classes dirigeantes du monde entier. Malheureusement pour lui, sa carrière a été rapidement interrompue par le scandale des paiements au Qatar.

Il a nié tout acte répréhensible, mais avoue avoir reçu 50 000 € d’une ONG appelée Fight Impunity (cofondée par Panzeri), qui aurait été utilisée pour escroquer des pots-de-vin du gouvernement qatari. Après avoir été libéré en décembre 2022, il a été démis de ses fonctions en mars de cette année. D’autres hauts fonctionnaires syndicaux seront sans doute impliqués, car il ne s’agit pas d’un cas isolé.

Une pomme pourrie ?
Comment des organisations, ostensiblement engagées dans la défense des droits des travailleurs, ont-elles pu avoir un tel personnage à leur tête ? Pour commencer, la CES et surtout la CSI sont à peine des organisations syndicales au sens propre, et leur direction privilégiée est liée aux intérêts capitalistes par mille fils. Cela dit, Visentini n’est pas qu’une pomme pourrie : les échelons supérieurs de la bureaucratie syndicale sont un panier rempli de pommes pourries ! La corruption sévit parmi ces dames et messieurs.

Juste pour donner quelques exemples : la syndicaliste estonienne Lina Carr, qui a travaillé avec Visentini à la CES, a reçu plus de 46 000 € d’indemnités pour 160 réunions de commission tenues à Bruxelles entre janvier 2015 et mai 2019, alors qu’elle était basée dans la même ville à cette époque ! C’était alors qu’elle percevait déjà un salaire élevé en tant que secrétaire confédérale de la CES. Ainsi, elle recevait de l’argent pour assister à des réunions à quelques centaines de mètres de son bureau, alors qu’elle était payée des milliers d’euros par mois pour assister à ces mêmes réunions !

Suite à ces révélations, la CES a appliqué une règle selon laquelle aucun membre « ne pouvait recevoir de cotisation d’un organisme extérieur ». Carr a démissionné en tant que membre du comité directeur en mai 2019, invoquant la pression de travailler à la CES. Sans doute lié au stress d’être payé deux fois pour la même rencontre. Malgré ce scandale il y a trois ans, Mme Carr était candidate au poste de secrétaire générale adjointe de la CES lors du prochain congrès à Berlin. Ce n’était apparemment pas un problème aux yeux des dirigeants syndicaux.

Cette clique privilégiée passe ses journées de travail dans des réunions avec des bureaucrates de l’UE, empochant de gros salaires, empêchant ses membres de base de lutter réellement et rendant leurs organisations dépendantes des subventions gouvernementales. Tout en « défendant les droits des travailleurs », ces personnages continuent d’être payés par les institutions publiques, exigeant plus de « renforcement des capacités », plus de « dialogue social » et plus de « négociation collective », sans aucune implication directe des travailleurs ordinaires qui souffrent vraiment de la crise du coût de la vie.

L’ancien syndicat de Visentini, l’Unione Italiana del Lavoro (UIL), a récemment été secoué par l’installation d’une direction syndicale par intérim en raison d’un scandale de corruption dans la fédération des travailleurs du secteur public. Au cours des dernières décennies, il n’y a guère de pays qui n’ait connu un scandale majeur lié à la direction des principaux syndicats. En Espagne , on s’indigne du rôle des syndicats dans les licenciements programmés (ERE) ; en France, les secrétaires généraux refaisaient leurs bureaux et ajoutaient des caves à vin sur les dépenses ; l’ Automotive Workers Union aux États-Unis a vu la plupart de ses dirigeants emprisonnés pour détournement de fonds ; même les célèbres syndicats nordiques ont vu leurs présidents démissionner pour détournement de fonds. La liste pourrait s’allonger, avec des scandales au Canada, mexicains ou australiens , pour n’en citer que quelques-uns.

Pourquoi cela arrive-t-il? La réponse a été donnée il y a 82 ans par Léon Trotsky , à la fin de sa vie, lorsqu’il écrivait :

« Il y a un trait commun dans le développement, ou plus exactement la dégénérescence, des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c’est leur rapprochement et leur croissance avec le pouvoir d’État.

Il continue:

« Le capitalisme monopoliste ne repose pas sur la concurrence et la libre initiative privée mais sur un commandement centralisé. Les cliques capitalistes à la tête de puissants trusts, syndicats, consortiums bancaires, etc., voient la vie économique du même niveau que le pouvoir d’État ; et ils exigent à chaque pas la collaboration de ces derniers. A leur tour, les syndicats des branches les plus importantes de l’industrie se trouvent privés de la possibilité de profiter de la concurrence entre les différentes entreprises. Ils doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir d’État. D’où le besoin des syndicats – dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes, c’est-à-dire sur des positions d’adaptation à la propriété privée – de s’adapter à l’État capitaliste et de lutter pour sa coopération. Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche principale consiste à « libérer » l’État de l’étreinte du capitalisme, à affaiblir sa dépendance vis-à-vis des trusts, à le tirer de son côté. Cette position est en parfaite harmonie avec la position sociale de l’a ristocratie ouvrière et de la bureaucratie ouvrière, qui se battent pour une miette dans la part des surprofits du capitalisme impérialiste. Les bureaucrates syndicaux font de leur mieux en paroles et en actes pour démontrer à l’État « démocratique » à quel point ils sont fiables et indispensables en temps de paix et surtout en temps de guerre. Cette position est en parfaite harmonie avec la position sociale de l’aristocratie ouvrière et de la bureaucratie ouvrière, qui se battent pour une miette dans la part des surprofits du capitalisme impérialiste. Les bureaucrates syndicaux font de leur mieux en paroles et en actes pour démontrer à l’État « démocratique » à quel point ils sont fiables et indispensables en temps de paix et surtout en temps de guerre. Cette position est en parfaite harmonie avec la position sociale de l’aristocratie ouvrière et de la bureaucratie ouvrière, qui se battent pour une miette dans la part des surprofits du capitalisme impérialiste. Les bureaucrates syndicaux font de leur mieux en paroles et en actes pour démontrer à l’État « démocratique » à quel point ils sont fiables et indispensables en temps de paix et surtout en temps de guerre.

Ces mots sonnent plus vrai que jamais avec le scandale d’aujourd’hui. Les dirigeants syndicaux, sur lesquels on s’est appuyé et récompensés pour leur service dans la défense du système capitaliste, se sont mêlés aux affaires criminelles de l’État bourgeois.

La pression de l’intensification de la crise du capitalisme a entraîné des luttes pour le contrôle des syndicats, alors que la base subit un certain rajeunissement, avec des éléments radicaux et plus jeunes entrant dans la mêlée. Mais les bureaucrates corrompus et sclérosés au sommet usent de tous les coups pour conserver leur poste : en partie pour défendre leurs salaires et leurs privilèges, mais aussi parce que de véritables combattants de classe gagnant des postes de direction exposeraient toute leur stratégie de coexistence pacifique et de collusion corrompue avec les patrons. et politiciens.

Par exemple, récemment, la droite a mené une guerre impitoyable contre le NEC contrôlé par la gauche du principal syndicat britannique, Unison, aidé par la faiblesse de la gauche réformiste et sa capitulation face à la politique identitaire, qui a été exploitée sans vergogne par ses adversaires.

Une direction ouvrière combative et responsable !
De nombreux syndicalistes honnêtes ont lu dans la presse qu’un dirigeant récemment élu a été emprisonné pour corruption. Ils pourraient soupçonner un complot des patrons pour saper l’image des syndicats, ce qui arrive souvent. Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit dans ce cas. Il ne s’agit pas d’une attaque contre le mouvement syndical par l’un de ses ennemis extérieurs, mais du cas d’un dirigeant élu qui a abusé de sa position avec la connivence de bureaucrates syndicaux aux vues similaires.

Accepter de l’argent du Qatar (ou d’une ONG illégalement financée par le Qatar) n’est guère différent que d’accepter de l’argent de n’importe quelle entreprise multinationale avec la promesse de ne pas faire grève, tout en étant autorisé à organiser un syndicat. Il suit la même logique que ce que l’on appelle le « partenariat social ». La même logique qui conduit ces gens à fréquenter les hôtels cinq étoiles de Davos et à avaler du champagne avec les patrons, sur le dos des millions de travailleurs qui paient leurs cotisations syndicales.

Plus on monte dans la bureaucratie syndicale, plus on s’éloigne de la lutte des classes et de la pression de la base. Dans le cas de la CSI, la plus grande confédération syndicale mondiale, on ne pourrait littéralement pas être plus éloigné des luttes quotidiennes de la classe ouvrière. Les bureaucrates dans la position de Visentini sont indiscernables de la bourgeoisie.

La classe ouvrière n’a pas besoin de sangsues qui vivent de ses efforts et de sa lutte. Elle a besoin d’un leadership déterminé qui s’engage à se battre pour ses intérêts et veut détruire le système qui cause ses maux ! Pour cela, il a besoin d’une nouvelle couche de dirigeants radicaux qui veulent combattre leurs patrons et le système.

Aujourd’hui, le mouvement syndical est en effervescence. La crise du coût de la vie, avec l’inflation qui ronge les salaires des travailleurs, a servi de fouet pour faire avancer la lutte sur le front industriel. Il y a eu des grèves et des mobilisations sérieuses dans un pays après l’autre : de la Grande-Bretagne, au Canada, aux États-Unis, en France, en Allemagne et au-delà. De nouvelles forces rejoignent les rangs des syndicats, les travailleurs étant contraints de retrouver leur volonté de se battre simplement pour défendre leurs conditions de vie. Il y a eu une augmentation modeste mais significative des affiliations syndicales dans de nombreux pays et une forte augmentation des actions revendicatives.

Même des dirigeants syndicaux arriérés et conservateurs sont parfois contraints, sous la pression d’en bas, d’aller plus loin qu’ils ne le souhaiteraient. Certains sont déjà remplacés par ceux qui professent une plus grande volonté de se battre. Mais pour que les organisations de masse de la classe ouvrière soient des instruments de lutte à la hauteur de la lutte des classes à l’ordre du jour, elles doivent être révolutionnées de fond en comble. Le vieux bois pourri au sommet doit être largué et de vrais combattants de classe doivent être mis à leur place.

La base doit mener une lutte impitoyable contre la corruption : exiger de ses dirigeants qu’ils ouvrent les livres syndicaux à leurs membres, tout en appliquant la responsabilité démocratique d’en bas. Les éléments corrompus et traîtres actuellement aux commandes doivent être expulsés pour que le mouvement ouvrier puisse avancer.

https://www.marxist.com/qatargate-corrupt-trade-union-bureaucracy-exposed.htm

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