« Pourquoi le Maroc a fait une erreur en désavouant Ross… »

Le Maroc, par le biais de ses représentants diplomatiques, a désavoué la démarche de Christopher Ross, envoyé personnel de Ban Ki-moon pour le Sahara. Cela s’oppose ouvertement à l’appui manifeste que le Secrétaire général des Nations Unies, dans son dernier rapport, accorde à son représentant, dont il souligne la “diligence infatigable avec laquelle il a travaillé avec les parties en vue d’aboutir à un règlement politique juste, durable et mutuellement acceptable prévoyant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental”. C’est contraire aussi au « soutien sans réserve à ses efforts », donné à Ross par la dernière résolution du Conseil de Sécurité, dont le Maroc est membre cette année. 
Le Maroc doit réfléchir, au-delà de la flatterie destinée à son front interne, à la mauvaise image donnée à l’extérieur, en s’opposant à l’ONU dans une affaire où il a grand besoin de légitimité. N’oublions pas que la communauté internationale ne reconnaît pas encore de plein droit sa présence au Sahara, en attente d’un accord entre les parties, validé par la population du territoire. Ce n’est pas par la voie de l’isolement international que le pays atteindra la reconnaissance de son Sahara marocain. Ce n’est pas en se refermant sur lui-même qu’il parviendra à obtenir les appuis nécessaires de la communauté internationale en vue de son droit définitivement reconnu au Sahara. C’est ainsi qu’apparaît, encore une fois, ce complexe d’ « insularité », énoncé par Abdellah Laraoui, comme étant l’un des « non dits » du Maroc. 
Le problème du Sahara dépend, depuis 36 ans, d’une donne essentielle : les hommes et les femmes du Sahara Occidental doivent être reconnus comme des citoyens de premier rang chez eux, capables de diriger leur destin, en harmonie avec leurs frères marocains. Cependant, à mon avis, il n’en est rien. Les évènements de Dakhla en 2011 et ceux de Laâyoune de 2010, démontrent qu’il y a un problème de cohabitation au Sahara. Pendant un séjour dans les provinces du sud, en janvier 2011, j’ai pu constater que les Sahraouis originaires du territoire ne se sentent pas reconnus, à part entière, comme citoyens de première classe, capables de diriger leur destin, mais comme des citoyens de seconde zone, dirigés et contrôlés par des gens qui proviennent d’autres régions, qu’ils appellent même « barranis ». La question des droits de l’homme est au cœur de la solution du problème. 
En effet, le Front Polisario base une bonne partie de sa stratégie contre le Maroc, sur la dénonciation des détentions, de tortures et d’incarcérations des activistes sahraouis qui expriment leurs revendications identitaires. La dernière résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU insiste sur le besoin « d’améliorer la situation des droits de l’homme au Sahara occidental et dans les camps de réfugiés de Tindouf, et engage les parties à collaborer avec la communauté internationale pour mettre au point et appliquer des mesures indépendantes et crédibles qui garantissent le plein respect des droits de l’homme, en gardant à l’esprit les obligations que leur impose le droit international». 
En évitant de fournir des prétextes à l’opposant, en améliorant les droits des habitants du Sahara, le Maroc rejoindra le but final : la reconnaissance internationale de son droit au Sahara. Le droit à la reconnaissance d’une identité culturelle et linguistique spécifique est implicite dans la question des droits de l’homme. Beaucoup de détenus sahraouis le sont par des délits d’opinion. La Constitution marocaine de 2011 reconnaît la composante identitaire saharo-hassanie comme une partie intégrante de l’identité culturelle marocaine. Qu’empêche donc sa protection, reconnue dans l’article 5 ? Pourquoi ne pas permettre la libre expression de revendications qui sont légitimes dans d’autres contextes ? Ne serait-il pas logique de pouvoir le faire même à l’intérieur des partis régionaux pour défendre cette spécificité ? 
Dans l’Espagne de Franco, n’importe quelle revendication de la spécificité basque était criminalisée. Arborer l’ikurriña, le pavillon basque, symbole de son identité, était passible de longues peines de prison. Aujourd’hui ce drapeau brille devant les édifices publics, aux côtés du pavillon espagnol et le Pays Basque jouit d’une vaste autonomie et d’un gouvernement autonome. Plus encore, dans le Parlement espagnol, on trouve des partis qui défendent l’indépendance du Pays Basque. Le Maroc doit définir dans les mois à venir, le degré de décentralisation contenu dans la « régionalisation avancée ». 
Pour le Sahara, il s’agit d’une chance unique pour commencer à mettre à l’épreuve ce que proposait l’Initiative marocaine de 2007. Au cours d’un séminaire où j’ai participé en janvier 2011 à Laâyoune, aux côtés d’une quarantaine de Sahraouis, dont quelques membres du CORCAS, j’ai remarqué le souhait unanime de jouir de l’autonomie, le plus vite possible, sans attendre les négociations avec le Polisario. En assurant un climat le plus proche possible d’un gouvernement autonome, les Sahraouis, de Laâyoune à Lagouira, se sentiront à l’aise dans leur territoire et ceci sera la meilleure réclame pour que les habitants de Tindouf pressent leurs dirigeants en vue d’une solution politique qui réussisse, pour de bon, à réconcilier les habitants de la région. Voilà la manière d’éviter qu’il n’arrive, un jour, ce qui est déjà arrivé au Soudan du Sud, où, d’après les mots du président Salva Kir Mayardit, « l’unité avec le Nord n’étant pas attrayante », un référendum a été mis en place pour la séparation effective.
Le Soir-Echos, 16/07/2012

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