Maroc, dans des documents secrets, la stratégie pour influencer l’UE et la liste des députés « amis » : outre Panzeri, il y a le père de Michel.
I CABLO ONLINE SINCE 2015 – Le mégadossier. Il y a dix ans, un plan pour « promouvoir les intérêts » de Rabat dans l’UE. Dans les dossiers, la liste des activités de lobbying et autres Italiens
Intitulé « Plan d’action pour le Parlement européen », il s’agit d’une communication « confidentielle » de la mission du Royaume du Maroc auprès de l’UE. L’ambassadeur Menouar Alem propose au ministère des Affaires étrangères à Rabat une opération détaillée visant à « promouvoir les intérêts du Maroc » au sein de l’Eurochambre. Un plan détaillé comprenant la collecte des « activités d’information, de promotion et de lobbying ». Le document est daté du 4 janvier 2013, soit près de dix ans avant l’enquête du procureur belge sur un certain nombre d’hommes politiques accusés d’avoir reçu des pots-de-vin des services secrets de Rabat pour influencer les décisions du Parlement européen. Un groupe qui, pour les enquêteurs, est dirigé par Pier Antonio Panzeri, député européen du PD (et ensuite de l’Art.1) jusqu’en 2019. L’enquête a débuté cette année-là, mais toute une série de documents classifiés pourraient faire remonter le début de cette histoire d’au moins une décennie. Le nom de l’homme politique italien, en effet, est mentionné à plusieurs reprises dans un certain nombre de câbles déversés sur la toile depuis 2015 : ce sont les Maroc-leaks, qui révèlent les manœuvres de lobbying menées dans le monde entier par Rabat. Et cela pourrait expliquer pourquoi en 2019, après avoir terminé son mandat d’eurodéputé, Panzeri reste à Bruxelles où il a créé l’ONG Fight Impunity, qui s’est retrouvée au centre de l’enquête des magistrats belges.
Le Snowden du Maghreb – Les Maroc-leaks ont été mis en ligne par un anonyme jamais identifié, connu sous le nom de « Chris Coleman » : il pourrait être un fonctionnaire infidèle de Rabat, un Edward Snowden du Maghreb ou le fruit d’une manœuvre des services algériens (comme le prétendent les Marocains). L’authenticité des câbles n’est cependant pas remise en question, après de nombreuses enquêtes journalistiques. Aussi parce qu’elle n’a jamais été contestée par le gouvernement marocain. Lequel, comme il ressort et est confirmé par les journaux, est l’auteur d’un plan de lobbying visant à influencer les choix des plus hautes institutions de l’UE sur le dossier du Sahara occidental, pomme de discorde entre le royaume kérifien, qui a pris possession de l’ancienne colonie espagnole par la force en 1976, et l’Algérie, qui soutient à bout de bras le mouvement indépendantiste sahraoui, le Front Polisario. Mais les Marocains sont aussi très vigilants sur le front des accords commerciaux avec l’UE, d’une valeur de plus de 35 milliards d’euros par an en 2020.
« Panzeri nous a assuré de son soutien » – Les négociations qui aboutiront à l’accord de libre-échange débutent en 2013, période pendant laquelle les Marocains étudient leur plan d’action top secret. Il s’agit d’une synthèse des « outils d’information, de promotion et de lobbying », peut-on lire, que le Royaume d’Afrique du Nord déploiera pour la « promotion des intérêts du Maroc au Parlement européen en 2013 ». Les missions sont classées par points, le nom de Panzeri apparaissant dans le premier paragraphe, où il propose de « soutenir les prochaines échéances maroco-européennes » en intensifiant les rencontres, séminaires et voyages. Le fonctionnaire de l’ambassade de Bruxelles précise que M. Panzeri, chef de la délégation de l’Europarlement pour le Maghreb, « a salué ces initiatives et nous a assuré de son soutien dans leur mise en œuvre ». Le plan s’articulera autour du groupe d’amitié UE-Maroc et de la commission parlementaire mixte UE-Maroc.
Un plan marocain sur le Parlement européen date de 2013 – Le plan explique également qu’au vu du rapport sur les droits de l’homme au Sahara occidental, l’eurodéputé britannique Charles Tannock « demande la vigilance ». » La Mission a déjà engagé une action de mobilisation et de pression sur ledit rapporteur. Une autre approche a été faite par l’intermédiaire du député Jean Roata (France, PPE, membre du groupe d’amitié), récemment nommé vice-président de la sous-commission des droits de l’homme au PE ». Dans les derniers points, les instruments de la diplomatie parlementaire et traditionnelle se chevauchent : « Nos ambassades sont invitées à entretenir des liens réguliers avec les députés européens des Etats membres de l’UE ainsi qu’avec les partis dont ils sont membres afin de les sensibiliser régulièrement au partenariat Maroc-UE et d’anticiper les actions de nos adversaires ». Une « coalition » parlementaire maroco-européenne est alors prévue, qui « peut fonctionner comme un réseau de pression composé de députés européens, de députés et de conseillers marocains afin de défendre les intérêts suprêmes du Royaume ». Enfin, noir sur blanc, il est question de la création d’une agence de lobbying interne : « Cela contribuera à renforcer l’influence du Maroc au sein des institutions de l’UE, en particulier le PE. Une telle agence pourrait agir en soutien de l’action diplomatico-parlementaire ».
« L’ambiguïté constructive » de Panzeri et le voyage « de couverture » à Tindouf – Le voyage « de bluff » de Panzeri. Parmi les câbles, on trouve également la « préparation » d’un voyage de Panzeri, conçu comme une sorte de voyage de couverture. En octobre 2011, l’ambassadeur Alem a annoncé que l’Italien se rendait à Tindouf en Algérie, où se trouvent quelques camps de réfugiés sahraouis. Selon la note, avant de partir, un « conseiller » de Panzeri rencontre un diplomate marocain en marge d’une plénière à Strasbourg. Le premier a un message pour le second. Les analystes de Rabat notent : « La visite est essentielle pour renforcer la crédibilité de Panzeri auprès de l’Algérie et du Polisario, car il est accusé d’être pro-marocain. Il n’est pas dans l’intérêt du Maroc que Panzeri soit perçu de cette manière ». Le conseiller de Panzeri garantit également que le député européen « n’évoquera pas l’autonomie avec le Polisario, ni ne fera de déclaration en ce sens ». Il se contentera d’écouter ses interlocuteurs. Selon l’ambassadeur du Maroc, M. Panzeri « est très conscient de la sensibilité de sa visite et fait un effort important pour se justifier ». Il promet de « tenir la mission informée de l’évolution de son programme ». Mais surtout, dit le document, les développements récents sont à considérer comme la continuation d’un travail méthodique entamé par Panzeri dès les premiers mois suivant son élection à la tête de la Délégation Maghreb. La note souligne l' »ambiguïté constructive » utilisée par Panzeri à l’égard des différents partis, une attitude qui « démontre un agenda politique à long terme ». Et, surtout, il est souligné que le député européen peut être autant « un allié solide » qu’un « adversaire coriace ». De ce point de vue, poursuivent les diplomates marocains, « les développements récents montrent, dans la ligne politique de Panzeri, une continuité rarement observée chez les autres députés européens ». En tout état de cause, concluent-ils, le député européen doit être « préparé » et doit au moins avoir un entretien avec certains des responsables afin d’être « convenablement lésé ».
« Les mauvaises actions du journaliste » appelant aux droits de l’homme – Moins de deux ans plus tard, entre le 20 et le 24 juin 2013, Panzeri est retourné au Maroc. Cette fois-ci avec une délégation de six eurodéputés du groupe S&D et leurs conseillers, dont l’assistant Francesco De Giorgi. Le rapport – signé par le conseiller diplomatique de la Chambre, Mounier El Jaffali – énumère une à une les rencontres avec les instances politiques et coopératives marocaines. Par deux fois, Panzeri a rencontré l’habituel Atmoune. Cependant, malgré la direction minutieuse de l’opérat
ion, tout ne se déroule p
as sans heurts. Le 23 juin, la délégation s’est déplacée de Casablanca à Laayoune, une province disputée entre le Maroc et le Front Polisario, parmi les camps de tentes sahraouis. Les députés européens demandent à rencontrer 10 prisonniers d’opinion, mais le directeur de la prison refuse. Ils posent ensuite des questions sur un jeune détenu, mais obtiennent seulement la confirmation qu’il est là. Le rapport se termine par des notes, relatant des actions inquiétantes : un journaliste de la chaîne de télévision locale Rtm pose trop de questions, au point d' »agacer » le délégué français Emmanuel Le Texier, qui ne veut pas répondre. Il en informe rapidement le gouverneur, qui appelle à son tour le directeur régional du réseau. Ce dernier, écrit le conseiller diplomatique, m’a assuré que le journaliste ne retournerait pas à l’hôtel, qu’il enquêterait sur ses mauvaises actions.
Le vote sur la pêche et le père de Michel entre amis – Comment le ministère des affaires étrangères marocain suit et tente d’influencer les décisions de l’Europarlement est bien décrit dans une communication « cryptée » datée du 5 décembre 2013. Elle est toujours envoyée par l’ambassadeur en poste à Bruxelles, Alem. Le document se concentre sur le vote pour l’approbation du protocole entre le Maroc et l’Union européenne sur la pêche qui se tiendra en plénière à Strasbourg cinq jours plus tard et qui tient à cœur à Rabat car, entre autres, il prévoit un financement de l’UE au Maroc de 30 millions d’euros par an. L’ambassadeur dit avoir envoyé une lettre à certains interlocuteurs considérés comme « pertinents », comme les membres du groupe Alde, qui sur le sujet « semblent divisés ». « Compte tenu des positions contradictoires, écrit-il, le groupe pourrait décider d’un ‘vote libre’. La mission diplomatique s’appuie fortement sur le rôle prépondérant de nos deux amis de l’Alde, Annemie Neyts et Louis Michel’. Ce dernier est l’ancien vice-premier ministre de Belgique, député européen et père de l’actuel président du Conseil européen Charles Michel. Le câble arrive presque immédiatement au chapitre « contacts pour les positions des députés européens italiens ». L’ambassade est préoccupée par les « positions ambiguës et imprévisibles » de certains d’entre eux. La rapporteuse du protocole est l’Espagnole Carmen Fraga Estévez, qui a rencontré au cours de la semaine – rapporte le diplomate – Raffaele Baldassarre, ancien député européen de Forza Italia (décédé en 2018), et Giovanni La Via, qui venait alors de passer de Forza Italia au Ncd. « M. Baldassarre, lit-on, a promis de sensibiliser les députés Rivellini et Antinoro (Enzo Rivellini, anciennement Fi et maintenant Fdi, et Antonello Antinoro, anciennement Udc et maintenant dans Noi con l’Italia, ndlr), qui se sont abstenus lors du vote en commission de la pêche. Le câble fait également référence à l’habituel Panzeri, avec qui l’ambassadeur dit avoir eu des contacts, « l’invitant à sensibiliser les Italiens pour un vote positif sur le protocole ». La sensibilisation ne se passe pas toujours comme les Marocains le souhaiteraient : si Panzeri et La Via votent en faveur de l’accord de pêche, Baldassarre s’abstient, Rivellini n’est pas présent, tandis qu’Antinoro vote même contre. Le protocole est en tout cas approuvé avec 310 voix pour, 204 contre et 49 abstentions.
Amis et ennemis : voici comment Rabat classait les « méchants » – Les câbles révèlent comment les Marocains classaient également les « méchants », c’est-à-dire les politiciens ennemis de leurs intérêts. En avril 2014, l’ambassadeur adjoint à Bruxelles, Mounir Belayachi, a affirmé avoir déjoué une tentative de certains opposants d’ouvrir une enquête du Parlement européen après qu’une délégation d’élus ait été refoulée à Casablanca. La personne identifiée (avec dossier détaillé et photo) est le représentant de l’Italia dei valori, Niccolo Rinaldi : il est coupable d’avoir demandé, lors d’une réunion de l’Alde, de soulever la question lors de la conférence des présidents qui a le pouvoir d’intervenir sur les ordres du jour des plénières. Les hommes de Rabat, pourtant alertés à temps, obtiennent que les institutions de l’UE « n’ouvrent pas d’enquête officielle », mais envoient simplement une lettre aux autorités marocaines. Ils se disent également prêts à proposer une visite parlementaire officielle, mais « la composition et la date de cette mission » devront être « coordonnées avec les autorités marocaines ». En bref, pour démanteler l’intervention de Rinaldi, l’ensemble du corps diplomatique travaille pour un résultat totalement opposé. Et c’est là que l’ambassade souligne l’intervention d’une série d' »interlocuteurs amis » qui « ont contribué de manière substantielle à saper les objectifs de cette initiative hostile ». Et ce n’est pas seulement Panzeri qui est mentionné, mais aussi le Français Joseph Daul (Ppe) et l’Allemand Elmar Brock (S&d). « Ils ont joué un rôle décisif » puis l’Espagnol Ignacio Salafranca (Ppe), les Belges Annemie Neyts et Frederique Ries (toutes deux Alde), décrits comme « amis et proches de cette mission diplomatique ». La note se termine par une promesse d' »informer » de la décision finale de la Conférence des présidents des groupes politiques. En bref, la liste des amis du Maroc ne s’arrête pas aux Italiens. Pendant au moins une décennie.
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