Le dilemme des futures relations commerciales de l’UE avec le Sahara occidental

Suite aux arrêts de la Cour de justice sur le Front Polisario, l’UE est confrontée à d’épineux défis juridiques et politiques pour inclure le Sahara occidental dans ses accords commerciaux avec le Maroc.

Le 27 février 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un nouvel arrêt dans l’affaire C-266/16 Western Sahara Campaign UK concernant l’application territoriale d’un accord UE-Maroc au Sahara occidental, donnant lieu une nouvelle fois à tensions diplomatiques entre l’UE et Rabat. La Cour a conclu que ni l’accord de pêche (2006) ni le protocole associé (2013) ne sont applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. La Cour a suivi de près l’analyse qu’elle avait effectuée dans l’affaire C-104/16 Conseil c. Front Polisario, dans laquelle elle a jugé que l’accord d’association (AA) UE-Maroc et l’accord de 2012 libéralisant les produits agricoles et de la pêche (transformés) (le « Accord de libéralisation ») ne s’appliquent pas au Sahara occidental. Alors que la Cour clarifie le rôle du droit international dans les politiques extérieures de l’UE dans ces affaires fascinantes, elle laisse la Commission européenne dans une situation très difficile, tant juridiquement que politiquement, pour faire face aux conséquences politiques de ces arrêts.

Le Sahara occidental est reconnu comme un territoire non autonome conformément à l’article 73 de la Charte des Nations Unies, et le droit à l’autodétermination de ces territoires, le Sahara occidental en particulier, a été souligné à plusieurs reprises par différentes résolutions de l’ONU et par la communauté internationale. Cour de justice (par exemple son avis consultatif de 1975 sur le Sahara occidental). La plus grande partie du Sahara occidental est toujours contrôlée par le Maroc, qui considère ce territoire comme faisant partie intégrante de son territoire souverain, tandis que le Front Polisario (le mouvement de libéralisation en faveur de l’indépendance du Sahara occidental) contrôle le reste. Bien que l’UE et ses États membres n’aient jamais reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, l’UE applique de facto l’accord de libéralisation et l’accord de pêche entre l’UE et le Maroc (aux eaux adjacentes) au Sahara occidental, comme l’ont confirmé à la fois le Conseil et le Conseil. Commission.

L’accord d’association UE-Maroc et l’accord de libéralisation

Dans l’affaire Conseil contre Front Polisario, la Cour a annulé en appel l’arrêt du Tribunal (affaire T-512/12 Front Polisario contre Conseil), qui soutenait que l’AA et l’accord de libéralisation s’appliquaient au territoire du Sahara occidental. La CJUE a estimé le contraire, concluant qu’au vu du « statut séparé et distinct » garanti au territoire du Sahara occidental par le droit international (par exemple la Charte des Nations Unies et le principe d’autodétermination), il On ne peut considérer que le terme « territoire du Royaume du Maroc », qui définit la portée territoriale de l’AA et de l’accord de libéralisation, englobe le Sahara occidental et, partant, que ces accords sont applicables à ce territoire. Par ailleurs, la CJUE a rappelé le principe de l’effet relatif des traités selon lequel un traité ne doit ni imposer aucune obligation ni conférer aucun droit aux États tiers sans leur consentement (c’est-à-dire le principe pacta tertiis codifié à l’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). ). La Cour s’est déjà appuyée sur ce principe dans sa célèbre affaire Brita pour affirmer que les produits originaires des territoires palestiniens occupés n’entraient pas dans le champ d’application territorial de l’AA UE-Israël. Dans l’affaire Conseil c. Front Polisario, la CJUE a soutenu que le peuple du Sahara occidental doit être considéré comme une « tierce partie » au sens de ce principe de droit international et que, parce que le peuple du Sahara occidental n’a pas exprimé un tel consentement, que le L’AA et l’accord de libéralisation ne peuvent pas être interprétés comme incluant le Sahara Occidental.

Cette décision a bouleversé le gouvernement marocain car elle porte atteinte à ses revendications territoriales de longue date sur le Sahara occidental. Le Haut Représentant de l’UE et le ministre marocain des Affaires étrangères ont adopté une déclaration commune qui « a pris note » de l’arrêt de la Cour et a déclaré qu’ils « travailleraient ensemble sur toute question relative à son application dans l’esprit du partenariat privilégié UE-Maroc ». .[1] Il est remarquable que malgré ce jugement, l’UE soit désireuse d’étendre l’application de ces accords au Sahara occidental et de continuer à accorder aux produits du Sahara occidental un traitement préférentiel aux mêmes conditions que les produits couverts par l’accord de libéralisation. Afin de se conformer à l’arrêt de la Cour, le Conseil a autorisé la Commission le 12 mai 2017 à négocier un accord « sur les adaptations des protocoles à l’accord d’association UE-Maroc ».[2] Les négociations ont été finalisées le 31 janvier 2018 et le texte de l’accord a été paraphé (mais n’a pas encore été rendu public).

Cet accord prévoit essentiellement que les produits originaires du Sahara occidental continueront à bénéficier d’un traitement préférentiel au même titre que les produits couverts par l’accord de libéralisation. Cependant, le mandat de négociation du Conseil souligne que l’accord doit être conforme aux résultats de l’arrêt de la Cour, bénéficier au peuple du Sahara occidental et soutenir le processus des Nations Unies sur le Sahara occidental. Compte tenu de ces exigences, la Commission finalise également deux rapports qui accompagneront la proposition de décision du Conseil de la Commission visant à signer l’accord.[3] Le premier rapport analysera l’impact économique de cet accord sur le Sahara occidental. Des représentants de la Commission ont déjà révélé devant la commission INTA (Commerce international) du Parlement européen que le rapport conclura que l’accord entraînera des bénéfices considérables pour la population du Sahara occidental et que le fait de ne pas étendre le traitement préférentiel aux produits originaires de ce territoire aurait un impact négatif sur le commerce et les investissements au Sahara occidental. Le deuxième rapport analysera l’implication – et le soutien – du peuple du Sahara Occidental pour cet accord (c’est-à-dire l’extension du traitement préférentiel aux produits originaires du Sahara Occidental). Compte tenu de l’arrêt de la Cour, en particulier de sa conclusion relative au principe pacta tertiis, il est essentiel d’obtenir le consentement du peuple du Sahara occidental pour se conformer à l’arrêt de la Cour – et au droit (des traités) de l’UE et international en général.

Ce sera l’aspect le plus difficile de cette entreprise car il soulève des questions juridiques et politiques difficiles quant à savoir qui est réellement le représentant légitime du peuple du Sahara occidental aux fins de donner son consentement à cet accord. Afin d’analyser si le peuple du Sahara occidental soutient cet accord, le SEAE a mis en place une procédure de consultation comprenant des réunions à Rabat avec des interlocuteurs du « peuple du Sahara occidental ». Les responsables du SEAE ont souligné que la liste des interlocuteurs comprend non seulement le Front Polisario (reconnu comme le représentant du peuple du Sahara occidental par l’Assemblée générale des Nations Unies), mais également des membres des conseils régionaux du Sahara occidental, des acteurs socio-économiques, instituts de recherche, opérateurs économiques, agences de développement et organisations de la société civile œuvrant dans le domaine des droits de l’homme. Les conclusions de ces réunions seront présentées dans le rapport. Toutefois, afin de se conformer à l’arrêt de la Cour, l’UE devra faire preuve de créativité pour trouver un moyen d’obtenir le consentement exprès de ce groupe diversifié à être lié par cet accord.

Il sera également crucial que la Commission et le Conseil soient aussi transparents que possible sur ce processus, en particulier envers le Parlement européen, qui devra finalement approuver cet accord. Le Parlement européen avait rejeté début 2011 l’extension d’un précédent protocole à l’accord de pêche (voir ci-dessous) parce qu’il estimait, entre autres, qu’il n’était pas clair si l’accord profitait à la population de la région contestée du Sahara occidental. Le président de la commission INTA, Bernd Lange, s’est plaint en février de cette année du manque de transparence dans les négociations sur l’adaptation des protocoles AA, affirmant que l’accord avait été négocié « à huis clos ».[4] Par ailleurs, plusieurs membres du Comité ont exprimé leur inquiétude quant à la conformité de cet accord avec l’arrêt de la Cour et ont même suggéré des exigences d’étiquetage similaires à celles applicables aux produits originaires des territoires palestiniens occupés, ou encore de demander un avis à la CJUE pour savoir si l’accord envisagé est compatible avec le droit de l’UE.

L’accord de pêche (et les protocoles associés)

Conformément à son raisonnement dans l’affaire Conseil c. Front Polisario, la Cour a également soutenu dans l’affaire Western Sahara Campaign UK que le territoire (des eaux adjacentes au) territoire du Sahara occidental n’est pas inclus dans le champ d’application de l’accord de pêche ou des protocoles associés, car cela entraînerait être contraire à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et à certaines règles du droit international général applicables entre l’UE et le Maroc, notamment le principe d’autodétermination et le principe pacta tertiis. Dans une déclaration commune adoptée juste après l’arrêt de la CJUE, la Haute Représentante Federica Mogherini et le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita ont noté que « l’esprit de concertation étroite et sincère qui a guidé le processus d’adaptation de l’accord agricole a créé un réservoir précieux de confiance pour approfondir le partenariat » et ils ont exprimé « leur volonté de négocier les instruments nécessaires en relation avec le partenariat de pêche ».

Il semble que, à l’instar de l’AA et de l’accord de libéralisation, l’UE souhaite également étendre l’application territoriale de l’accord de pêche au Sahara occidental. Le 21 mars, la Commission a adopté une recommandation visant à négocier un amendement à l’accord de pêche et à conclure un nouveau protocole (puisque l’actuel expirera en juillet 2018).[5] Une étude d’évaluation ex post/ex ante de la Commission a conclu que le renouvellement du protocole serait bénéfique à la fois pour l’UE et pour le Maroc, y compris le Sahara occidental.[6] Le document indique que « la position de l’UE est qu’il est possible d’étendre les accords bilatéraux avec le Maroc au Sahara occidental sous certaines conditions ». Bien que la proposition mentionne qu’elle tient compte de l’arrêt de la Cour, le projet de directives de négociation annexé mentionne que l’un des principaux objectifs des négociations sera de donner accès « aux eaux adjacentes au territoire non autonome de l’Ouest ». Sahara ». La Commission propose l’inclusion d’un mécanisme pour garantir qu’elle est suffisamment informée sur la répartition géographique et sociale des avantages socio-économiques de l’accord afin de garantir que l’accord soit bénéfique pour « les personnes concernées ». Très probablement, ce mécanisme doit contrôler – et garantir – que la contribution financière de l’UE au Maroc (en échange des droits de pêche) est suffisamment allouée pour bénéficier à la population du Sahara occidental.[7] De plus, selon la proposition, l’accord doit soutenir les efforts de l’ONU pour trouver une solution prévoyant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental et inclure une clause relative aux droits de l’homme. Il est important de noter que les projets de directives de négociation mentionnent également que la Commission doit s’assurer qu’au moment de sa proposition de signature et de conclusion, « les personnes concernées par l’accord ont été correctement impliquées ». À la lumière de l’arrêt de la Cour (notamment en ce qui concerne le principe pacta tertiis), le peuple du Sahara occidental doit donner son consentement. Cela pose à nouveau les mêmes défis et questions juridiques que ceux auxquels la Commission est confrontée en ce qui concerne l’accord de libéralisation : qui est le représentant légitime du peuple du Sahara occidental pour la conclusion de cet accord (et est-ce à l’UE de prendre cette décision) ) ? Et comment obtenir leur consentement de manière transparente ? Le Conseil a approuvé la décision autorisant la Commission à lancer les négociations le 16 avril 2018[8], et le premier cycle de négociations se déroulera à Rabat du 18 au 23 avril.

Pas de réponses faciles

La Cour a jugé que les différents accords conclus entre l’UE et le Maroc ne s’appliquent pas au Sahara occidental, car cela serait contraire à certaines règles du droit international général et au droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Il est cependant remarquable que l’UE entend continuer à appliquer ces accords au Sahara occidental en modifiant leur portée territoriale. La Commission est poussée dans cette direction par plusieurs États membres, comme l’Espagne (la majorité des navires de pêche de l’UE au Sahara occidental étant espagnols) et la France (qui entretient traditionnellement des liens politiques forts avec le Maroc). Par ailleurs, l’UE ne veut pas mettre en péril ses relations diplomatiques avec le Maroc, qui est un partenaire stratégique clé de l’UE dans la lutte contre le terrorisme et le contrôle des migrations en Afrique du Nord. En outre, l’UE espère toujours relancer les négociations sur la zone de libre-échange approfondi et complet UE-Maroc.[9]

Toutefois, dans le même temps, la Commission (et l’UE en général) doit se conformer au droit international et à la jurisprudence de la Cour concernant le Sahara occidental et elle doit soutenir les efforts de l’ONU pour trouver une solution prévoyant l’auto-détermination. détermination de son peuple. Cela n’est possible que si « le peuple du Sahara occidental » donne son accord pour modifier la portée territoriale de ces accords pour inclure le Sahara occidental, ce qui pose à la Commission et au SEAE d’épineux défis juridiques et politiques. Il semble également que la « saga Polisario » pour la CJUE ne soit pas encore terminée. Dans un communiqué publié le 16 avril, le Front Polisario a réitéré son opposition à l’inclusion du Sahara occidental dans la renégociation de l’accord de pêche UE-Maroc et a annoncé qu’il entamerait une nouvelle procédure judiciaire devant la CJUE pour contester ce nouvel accord.[10]

En substance, la Commission doit poursuivre les intérêts stratégiques de l’UE et soutenir la situation économique et politique du peuple du Sahara occidental, tout en respectant simultanément les arrêts de la Cour et le droit international. Quoi qu’il en soit, si la Commission et le Conseil veulent éviter le rejet de l’accord par le Parlement européen, ils devront faire preuve d’une totale transparence sur la manière dont ils procéderont pour parvenir à cet équilibre difficile.

Guillaume Van der Loo est chercheur au sein de l’unité de recherche Europe dans le monde du CEPS.

Les commentaires du CEPS offrent un aperçu concis et orienté politique sur des questions d’actualité dans les affaires européennes. En tant qu’institution, le CEPS ne prend aucune position officielle sur les questions de politique européenne. Les opinions exprimées ne peuvent être attribuées qu’à l’auteur et non à une institution à laquelle il est associé.

© CEPS 2018

[1] Déclaration conjointe par Federica Mogherini et le Ministre des Affaires étrangères et de la coopération du royaume du Maroc Salahddine Mezouar, 21 décembre 2016.

[2] Recommandation de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations sur l’adaptation des protocoles à l’accord entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc (ST 9093 2017 INIT 12) mai 2017 (document non accessible).

[3] Les responsables du SEAE et de la DG Commerce ont discuté de cet accord et de ces deux rapports lors de la réunion de la commission INTA du 19 février 2018 (voir http://www.europarl.europa.eu/ep-live/en/committees/video?event = 20180219-1500-COMITÉ-INTA).

[4] Réunion de la commission INTA, 19 février 2018, ibid.



[5] Commission européenne, « Recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à ouvrir des négociations au nom de l’Union européenne en vue de la modification de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche et de la conclusion d’un protocole avec le Royaume du Maroc » (COM(2018) 151 final (y compris les directives de négociation proposées).

[6] Évaluation rétrospective et prospective du Protocole à l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc. Rapport final, septembre 2017 (F&S, Poséidon et Megapesca).

[7] Le service juridique du Parlement a soutenu, principalement sur la base de l’avis de 2002 émis par le secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique de l’ONU (l’avis Corell), que le Maroc, en tant que « puissance administrante de facto », est responsable du développement économique du Sahara Occidental et que le Protocole est compatible avec le droit international pour autant qu’« un certain montant de la contribution financière [accordée par l’UE] soit alloué par le Maroc au profit de la population du Sahara Occidental » (Service Juridique du du Parlement européen, Avis juridique : Protocole entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche en vigueur entre les deux parties, SJ-0665/13,D(2013)50041 , 4 novembre 2013, paragraphe 29).

[8] 3612e réunion du Conseil, Agriculture et pêche, Luxembourg, 16 avril 2018.

[9] Sur l’ALECA UE-Maroc, voir G. Van der Loo, « Mapping out the Scope and Contents of the DCFTAs with Tunisie and Morocco », Euromesco Paper n° 28, Institut européen de la Méditerranée, mars 2016.

[10] Par ailleurs, un autre recours contre le Protocole de pêche de 2013 intenté par le Front Polisario devant le Tribunal est toujours pendant (Affaire T-180/14, Front Polisario/Conseil).

https://www.ceps.eu/ceps-publications/dilemma-eus-future-trade-relations-western-sahara-caught-between-strategic-interests/

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