Par Noureddine Khelassi
L’enlèvement de trois humanitaires européens à Hassi Rabouni, au cœur même de la capitale administrative de la RASD, est le signe le plus tangible de l’insinuation d’AQMI dans le conflit du Sahara Occidental. Depuis près de trois ans, le centre de gravité des actions d’AQMI s’était déplacé au Sud et dans les confins sahélo-sahariens. Aux portes du Sahara Occidental, la franchise d’Al Qaida déplace cette fois-ci un peu plus au nord, jusqu’à toucher les limites Sud-ouest du territoire algérien, l’aire des rapts. On observe alors que la succursale sahélo-maghrébine de l’Internationale terroriste est en train de se reconfigurer, ouvrant de nouveaux fronts au Nord-ouest. Comme ce fut le cas en janvier 2011 lorsque les forces de sécurité marocaines avaient démantelé une cellule présumée d’Al Qaida au Maghreb islamique à Amgala, à près de 200 kilomètres au sud d’El Ayoune, au Sahara Occidental. Trois mois plus tard, les violents affrontements avec les forces de sécurité mauritaniennes ainsi qu’avec l’armée malienne préfiguraient l’inauguration de ce nouvel axe de crise à la lisière du Sahara Occidental. La cellule neutralisée à Amgala, soit trois caches d’armes et vingt-sept personnes arrêtées, dont un Marocain membre d’AQMI, projetait de commettre des attentats terroristes aux moyens de kamikazes ciblant des lieux de pouvoir du royaume chérifien, selon un communiqué officiel marocain. Ces actions, loin des bases de retranchement et de lancement traditionnelles d’AQMI, renseigne sur un glissement tactique de l’organisation terroriste. En voulant s’attaquer au Maroc après des opérations contre le Mali et la Mauritanie, et en s’incrustant au cœur du Protocol House qui accueille les étrangers à Hassi Rabouni, AQMI a déployé sa capacité de nuisance dans la profondeur stratégique. Il a montré aussi que ses capacités logistiques et techniques se sont considérablement accrues du fait du développement de ses sources de revenus constituées des rançons perçues pour la libération de plusieurs otages occidentaux, dont trois humanitaires espagnols relâchés l’été dernier.
L’incursion d’AQMI dans les bornes du Sahara Occidental était déjà manifeste à travers des narco-connexions avec des trafiquants sahraouis. En septembre dernier, un accrochage à quelques centaines de kilomètres au sud de la localité d’Aïn Salah et près de la frontière avec le Mali, a opposé un groupe armé malien et des sahraouis armés, faisant plusieurs morts, selon des échos d’agences de presse. Les affrontements tournaient autour d’une cargaison de cocaïne et de cannabis que se disputaient des trafiquants maliens et sahraouis, dont des membres d’AQMI. Les narcotrafiquants maliens seraient issus de la tribu des Hel Akkoury. Des sources sécuritaires maliennes, relayées par l’AFP, semblent vouloir accréditer la thèse récurrente du Maroc selon laquelle il existerait une branche sahraouie d’AQMI. Ces sources croient même savoir que les humanitaires européens de Rabouni, deux espagnols et une italienne, auraient été enlevés par des éléments proches du groupe d’Hakim Ould Mohamed M’Barek, sahraoui, membre présumé d’AQMI, arrêté en 2008 à Bamako puis extradé vers la Mauritanie où il était recherché et où il est toujours incarcéré. Ce Djihadiste sahraoui aurait reconnu l’existence de réseaux d’endoctrinement et de recrutement d’islamistes à l’intérieur des camps sahraouis de Lahmadat et de Tindouf. Ces éventuels soutiens dormants d’AQMI dans les camps sahraouis, auraient-ils facilité l’enlèvement des trois humanitaires et leur exfiltration vers un lieu de détention inconnu, dont on suppose qu’il serait dans la zone escarpée de l’Adrar des Iforas au nord du Mali, non loin de la frontière algérienne ? Probable, pas sûr, évidemment. On le constate donc, la mutation d’AQMI est, à la fois, opérationnelle, tactique et stratégique. Il est même à redouter une mise en place d’une ligne de jonction avec les groupuscules extrémistes nigérians comme la secte islamiste Boko Haram. Cette ligne de communication serait fondée sur un partage de savoir-faire, de techniques, ainsi que la mutualisation de zones-refuge et de moyens. Des possibilités accrues notamment depuis le déclenchement du conflit libyen et l’extraordinaire dissémination d’armes de tout type, dont des milliers de missiles, les plus redoutables étant les Sam 7-Grail russes et les Milan français. Une alliance entre AQMI et des groupes sévissant au sud et au nord du Sahel signifie un élargissement significatif des zones d’instabilité. Vaste défi pour les pays de la région et pas seulement pour les «failed states», les Etats très faibles de la région. Concernée, impliquée, ciblée, menacée de toute part, l’Algérie, qui a des frontières longues de 5 880 kilomètres, dont 80 % sahariennes, est plus que jamais en première ligne. La géographie lui impose un défi historique. Celui de la sécurité permanente qui l’oblige à sanctuariser son vaste territoire et à sécuriser ses longues, très longues frontières. Le territoire et ses frontières étant sous la même menace terroriste. de moyenne intensité mais durable. AQMI à Hassi Rabouni et, hier, à Cherchell, ne sont en fait que des piqures de rappel.
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