Niger : Des objectifs différents derrière un consensus apparent

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A première vue, toutes les parties au chevet de la crise nigérienne sont d’accord pour considérer que son dépassement réside dans un double rétablissement : celui du président renversé et toujours détenu, Mohamed Bazoum, et celui de l’ordre constitutionnel à la tête duquel il se trouvait. Mais pour peu qu’on y regarde, on ne manque pas de s’apercevoir qu’en réalité ces deux points fondamentaux ne revêtent pas la même importance pour chacune d’entre elles. Pour la Cédéao, ce qui compte le plus, c’est qu’il y ait retour à la situation d’avant le coup d’Etat, à l’avant-26 juillet autrement dit. Elle est bien plus anti-putsch que pro-Bazoum, à la différence de la France, qui tient bien plus à ce dernier qu’au respect de la Constitution en vigueur au Niger. S’il y avait moyen pour la Cédéao de revenir en arrière, sans avoir pour cela à rétablir le président renversé, probablement elle s’en contenterait, car en fait elle n’a aucune envie d’intervenir militairement au Niger. Il y a des chances pour qu’elle s’y résolve au bout du compte, mais ce ne serait pas sans avoir tout essayé pour l’éviter.

Elle serait de ce fait intéressée à une solution reposant sur un seul rétablissement, celui de l’ordre constitutionnel, à condition que l’annonce en soit faite sans plus attendre. L’initiative algérienne pour le Niger, déclinée par Ahmed Attaf il y a quelques heures, relève de cette inspiration, en ce qu’elle privilégie le rétablissement de l’ordre constitutionnel sur celui du président Bazoum, même si elle reconnaît la légitimité de ce dernier. Elle n’est pas facile à mettre en œuvre parce que les deux rétablissements semblent indissociables. Mais ce que recherche par-dessus tout l’Algérie, c’est qu’il n’y ait pas d’intervention militaire ouest-africaine au Niger, car la conséquence en serait la déstabilisation de tout le Sahel. Voilà pourquoi faire barrage à l’intervention est sa véritable priorité. Ses propositions de règlement de la crise sont conçues et agencées en premier lieu à cet effet. Ce n’est pas là l’objectif premier de la Cédéao, pour qui l’essentiel est dans le rejet non seulement de ce coup d’Etat précis mais de tout coup d’Etat à venir dans son domaine de compétence. Si elle était assurée que ce coup d’Etat serait le dernier à se produire, elle serait disposée peut-être à le laisser passer.

La priorité des Etats-Unis n’est ni celle de l’Algérie ni celle de la Cédéao, et encore moins celle de la France. Pour eux, ce qui importe par-dessus tout, c’est que d’une part la Russie ne prenne pas pied au Niger, et de l’autre qu’ils puissent conserver leur présence militaire dans ce pays. Dès les premiers jours suivant le putsch, Victoria Nuland était à Niamey pour bien faire comprendre à ses auteurs qu’il y a quelque chose qu’ils ne devraient pas même songer à faire : faire appel aux Russes. Pour tout le reste, eux les Américains fermeraient les yeux. On peut donc dire que de toutes les parties concernées, seuls les Etats-Unis ne s’inscrivent pas en réalité dans la solution basée sur les deux restaurations, bien qu’ils tiennent le même langage.

Pour la France seule le retour du président renversé est le plus important. C’est pour cela qu’elle pousse de toute son influence à l’intervention militaire. Elle la veut à ce point qu’elle s’y mettrait toute seule si elle était mandatée en ce sens. Or pour rétablir Bazoum, nul besoin de rétablir l’ordre constitutionnel. Il suffirait pour cela de le libérer par un raid fulgurant sur la présidence à Niamey, où il est détenu. Si le coup de force est un succès, c’en est même fini pour longtemps de tout ordre constitutionnel, vu que le résultat en sera la recolonisation du Niger.

Mohamed Habili

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