Un étrange domaine de liberté avait été créé, un espace où les lois et les coutumes étaient permissives. Mais cette même tolérance a fait de la ville un lieu d’accueil pour les criminels, les trafiquants, les espions et les profiteurs de toutes sortes.
Il y a cent ans, un long différend international au sujet du Maroc fut résolu, et suite à un accord multilatéral, il fut décidé d’accorder un statut spécial à la ville de Tanger et de la déclarer zone internationale. Mais cela n’était que la fin d’une longue histoire.
Le partage de l’Afrique
À partir de la Conférence de Berlin en 1884-85, les puissances coloniales européennes décidèrent que le partage de l’Afrique se ferait par des accords entre pays pour reconnaître mutuellement leurs territoires respectifs, évitant ainsi les guerres entre Européens. Cependant, en 1898, une guerre éclata presque entre la France et le Royaume-Uni à Fachoda (Soudan). La France souhaitait construire une ligne ferroviaire entre ses colonies de l’est et de l’ouest du continent, reliant le Sahara à Djibouti. Le Royaume-Uni poursuivait le même objectif, reliant le nord et le sud, de l’Égypte à l’Afrique du Sud.
Les expéditions militaires envoyées par les deux pays pour déblayer le terrain se sont retrouvées à Fachoda, face à face, prêtes à se battre. À leur tête se trouvaient des hommes bien connus de l’histoire coloniale : Marchand dirigeait les Français et Kitchener les Britanniques. Les pourparlers diplomatiques évitèrent la guerre et eurent des conséquences définitives : aucun pays européen (y compris l’Allemagne et le Portugal) ne devait relier le continent africain du nord au sud ou d’est en ouest avec ses territoires. De plus, cela ouvrit la voie à l’Entente Cordiale entre la France et l’Angleterre en 1904, un grand pacte d’alliance. À partir de ce moment, les deux alliés décidèrent de se partager les zones d’influence dans la Convention du 8 avril 1904.
L’Angleterre obtint une ouverture en Égypte et au Soudan, avec un régime de navigation spécial en faveur d’autres puissances. La France vit l’opportunité pour le Maroc. L’Allemagne fut satisfaite avec quelques colonies au sud du continent et des avantages commerciaux au Maroc et au Congo, comme convenu dans le Traité du 4 novembre 1911. L’Italie obtint la Libye et l’Éthiopie, et l’Espagne fut satisfaite avec la Guinée, le Sahara et une partie du Maroc. Il y avait une autre question sensible : aucune puissance ne voulait qu’une autre possède des territoires des deux côtés du détroit de Gibraltar. C’est pourquoi il fut décidé de créer une zone internationale à Tanger et d’empêcher l’Espagne de fortifier ses possessions au Maroc. Tanger était la ville ouverte aux étrangers de l’Empire du Maroc, où résidait le corps diplomatique.
Tanger, zone internationale
L’Acte final de la Conférence d’Algésiras de 1906 donnait à la France un fort soutien car, contrairement à 1904, ce n’était plus un seul pays qui soutenait l’action française au Maroc, mais tous les signataires. À ce moment-là, c’était seulement un accord de police et de commerce, mais les bases de la souveraineté du sultan étaient déjà ébranlées. Une série d’incidents au sein du Maroc et les attaques contre des sujets européens ont provoqué l’intervention de la France et de l’Espagne. Ces événements ont abouti à l’établissement d’un Protectorat français en 1912 par le biais du traité entre la France et le Maroc du 30 mars. Ce traité prévoyait l’obligation pour la France de céder la zone nord à l’Espagne, ce qui fut concrétisé par l’Accord franco-espagnol du 27 novembre de la même année.
Il fut décidé entre les puissances que Tanger et son hinterland constitueraient une zone spéciale. L’Espagne soutenait que cela devait être sous l’autorité du jalifa (représentant de l’État marocain dans la zone espagnole) et la France considérait que c’était au sultan de personnifier l’État. Les négociations ont duré plus de onze ans jusqu’à la signature du Traité du 18 décembre 1923. Une zone internationale fut créée sous l’autorité du mendub et des institutions furent mises en place pour l’administrer et la gérer.
Elle serait neutre et démilitarisée, et la surveillance de la contrebande d’armes et de munitions serait confiée aux flottes britannique, française et espagnole. Une assemblée législative internationale, un tribunal mixte et un comité de contrôle ont été créés pour veiller au régime spécial de Tanger, comprenant un membre par pays, bien que la Russie et les États-Unis n’aient jamais nommé les leurs.
L’Assemblée législative serait composée de membres des États signataires : six Marocains, quatre Français, quatre Espagnols, trois Britanniques, deux Italiens et un Belge, un Américain, un Néerlandais et un Portugais. L’autorité suprême serait l’administrateur (français pendant les six premières années) avec deux sous-administrateurs (espagnol et américain). Le Tribunal mixte serait composé de magistrats espagnols, français et américains, avec deux procureurs d’Espagne et de France. La police serait commandée par un Belge avec des effectifs espagnols et français.
La solution était novatrice et compliquée. Comme l’a souligné Graham H. Stuart dans « The international city of Tangier » (Stanford 1931) : une solution irrationnelle et insatisfaisante, mais la seule possible dans ces circonstances. C’était une zone soumise à une administration de plusieurs pays, où des situations d’extraterritorialité très larges se produisaient. Elle ne satisfaisait personne, et l’Espagne en particulier voyait sa zone nord amoindrie. Un étrange domaine de liberté avait été créé, un espace où les lois et les coutumes étaient permissives, et le régime fiscal avantageux permettait des transactions commerciales avantageuses. Mais cette même tolérance a fait de la ville un lieu d’accueil pour les criminels, les trafiquants, les espions et les opportunistes de toutes sortes. De grands écrivains sont arrivés en même temps que des escrocs et des faussaires. Pendant la Guerre Civile, elle a servi de refuge pour les exilés espagnols, puis plus tard, de lieu de passage vers l’exil.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la zone a été envahie par les troupes jalifiennes au service du Protectorat espagnol, sous le commandement du colonel Yuste. Cette intervention était prévue dans le Statut lorsque la sécurité le conseillerait, et à ce moment-là, on craignait une possible invasion italienne ou allemande. Cet événement, négocié avec d’autres puissances, a été perçu comme une tentative d’occupation définitive de la part de l’Espagne. Peut-être que si la guerre avait suivi un autre cours, cela se serait produit. Mais après la défaite allemande, les Espagnols ont de nouveau quitté la ville. L’indépendance du Maroc a eu lieu en 1956, un an plus tard, le régime statutaire a pris fin, bien que Tanger ne soit définitivement intégrée au royaume du Maroc qu’en 1960.
Etiquettes : Maroc, Tanger, statut international, Conférence de Berlin en 1884-85, colonisation,
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