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M. Sánchez a limogé M. González Laya de son poste de ministre une semaine après que le Maroc le lui ait demandé
Lors d’une réunion secrète tenue en juillet 2021, Rabat a exigé la tête du ministre des affaires étrangères comme condition préalable à des discussions sur la normalisation des relations avec l’Espagne.
Par José Bautista, Ignacio Cembrero
Le 2 juillet 2021, dans un geste de bonne volonté envers l’Espagne, les autorités marocaines demandent le renvoi de la ministre des Affaires étrangères, Arancha González Laya, et une semaine plus tard, le président Pedro Sánchez l’expulse de son gouvernement. Le 2 juillet 2021, en pleine crise hispano-marocaine, une rencontre secrète a lieu à Rabat entre une délégation espagnole, dirigée par l’ambassadeur d’Espagne, Ricardo Díez-Hochleitner, et son homologue marocaine à Madrid, Karima Benyaich. Mme Benyaich se trouvait alors dans la capitale marocaine depuis plus d’un mois, après avoir été convoquée pour des consultations par son gouvernement juste après l’incursion migratoire pacifique à Ceuta les 17 et 18 mai. Ces deux jours-là, plus de 10 000 Marocains, dont un cinquième de mineurs, sont entrés irrégulièrement dans la ville.
Cette réunion secrète a été consignée dans un rapport rédigé par les services de renseignement espagnols le 8 juillet, auquel El Confidencial a eu accès. « Cette réunion n’a pas transcendé (…), et seuls certains membres du cabinet royal sont au courant », indique le Centre national d’intelligence (CNI) dans une note d’information intitulée « Maroc : situation de crise bilatérale », qui a été remise au président Sánchez et à plusieurs ministres. Les services secrets espagnols ne précisent cependant pas que c’est dans ce contexte que l’ambassadeur Benyaich a demandé la tête de González Laya afin d’ouvrir la voie à la réconciliation. L’ambassadrice et son homologue espagnole, Mme Díez-Hochleitner, ont refusé de répondre aux questions de ce journal, mais d’autres sources au fait de la réunion de Rabat l’ont confirmé.
Le 10 juillet 2021, Sánchez a procédé à un vaste remaniement de son gouvernement. Il s’est passé de González Laya, qui a été remplacé par José Manuel Albares. « Le ministre ne s’y attendait pas, c’était une surprise absolue », raconte une fonctionnaire qui lui a parlé dans la matinée de ce samedi-là. Deux jours plus tard, lors de son investiture, M. Albares a souligné la nécessité de « renforcer les relations avec le Maroc, grand ami et voisin du sud ». C’est le seul pays qu’il a cité. M. Sánchez se présentera ce mercredi au Congrès des députés, à sa demande, pour faire le point sur les relations hispano-marocaines, un an après la réconciliation scellée à Rabat le 7 avril 2022 par lui-même et le roi Mohammed VI du Maroc. Il donnera également des explications sur l’évolution de la guerre en Ukraine et sur le dernier Conseil européen.
Réunion secrète
Si, du côté marocain, seuls « quelques membres du cabinet royal » étaient au courant de la réunion, du côté espagnol, l’ambassadeur Díez-Hochleitner n’a pas non plus informé les directions de son ministère, qui, dans des circonstances normales, auraient dû savoir ce qui y avait été discuté. « S’il a agi de la sorte, c’est qu’il avait des instructions de très haut niveau », affirme un diplomate qui a lu à l’époque tous les câbles provenant de l’ambassade d’Espagne à Rabat.
La Moncloa et le ministère des affaires étrangères ont refusé de commenter la réunion qui s’est tenue il y a 21 mois à Rabat ou ses conséquences sur la crise gouvernementale de juillet 2021. L’ambassade du Maroc à Madrid a nié qu’une telle réunion ait eu lieu et, surtout, qu’elle soit intervenue dans les affaires intérieures de l’Espagne. La demande du Maroc de voir González Laya quitter le gouvernement espagnol comme condition préalable à l’ouverture d’un dialogue entre les gouvernements espagnol et marocain n’est pas une surprise. Depuis l’annonce de l’accueil en Espagne de Brahim Ghali, le chef du Front Polisario, le ministre est devenu la bête noire de la presse marocaine. Malade du covida, Ghali a atterri à bord d’un avion algérien à l’aéroport de Saragosse et a été admis peu après à l’hôpital San Pedro de Logroño. Le 28 mai 2021, l’ambassadeur Benyaich s’est lui aussi élevé contre González Laya. Elle lui a reproché de faire « des déclarations à la presse et au Parlement dans lesquelles il continue à déformer les faits et à faire des commentaires inappropriés ». « On ne peut que regretter le caractère pitoyable, l’agitation et la nervosité qui caractérisent ses propos », ajoute-t-elle. « On se demande si ses dernières déclarations sont un dérapage personnel de la ministre ou si elles reflètent la véritable hargne de certains milieux espagnols contre l’intégrité territoriale du Royaume », c’est-à-dire l’appartenance du Sahara occidental au Maroc.
La dureté de ses propos a déconcerté les diplomates espagnols qui traitent avec elle depuis des années. Ils les ont soupçonnés d’avoir été dictés d’en haut. Bien qu’elle représente le Maroc en Espagne, Mme Benyaich, dont la mère est originaire de Grenade et qui est mariée à un médecin marocain, est également espagnole. Elle a renoncé temporairement à sa nationalité en 2018, lorsque Mohamed VI l’a nommée ambassadrice, afin de pouvoir prendre ses nouvelles fonctions. Elle la retrouvera à son départ. La presse marocaine s’est réjouie à l’unisson du limogeage de González Laya. « Elle a payé cher son attitude irresponsable qui a permis de recevoir en catimini le chef des séparatistes du Polisario », écrit par exemple Hassan Alaoui, rédacteur en chef du Maroc Diplomatique. Ses pages sont remplies d’analyses d’éditorialistes et de politologues, comme Atik Essaid et Mohamed Boudan, qui saluent ce « premier pas » de Sánchez vers le Maroc, même s’il est encore insuffisant.
Entrée de Brahim Ghali
Ce n’est pas Mme González Laya qui a pris la décision d’ouvrir les portes à Brahim Ghali, également citoyen espagnol. Elle a transmis à M. Sánchez la demande de son homologue algérien, Sabri Boukadoum, et s’est prononcée en faveur de son acceptation. Le président aurait pu convoquer un Conseil national de sécurité pour recueillir de nombreux avis, mais il a préféré ne consulter que quelques membres de son gouvernement, comme le chef du ministère de l’intérieur, Fernando Grande-Marlaska. Ce dernier s’y est opposé.
Sánchez se prononce en faveur de González Laya. Non seulement il accepte de recevoir Ghali « pour des raisons humanitaires », mais il accepte aussi que, comme le préconise le ministre, Rabat ne soit pas immédiatement informé de son arrivée. Son collègue marocain, Nasser Bourita, lui avait demandé d’intervenir auprès de la Commission européenne pour qu’elle ne reprenne pas la « liste grise » du Groupe d’action financière (GAFI), qui incluait le Maroc avec d’autres pays ne luttant pas efficacement contre le blanchiment d’argent. Le GAFI a finalement retiré le Maroc de cette liste il y a deux mois. A cette fin, M. González Laya a écrit à la commissaire européenne Mairead McGuinness. Selon des sources diplomatiques, il voulait attendre le résultat de ses efforts pour transmettre deux nouvelles à Bourita, l’une bonne avec la réaction de la Commission européenne et l’autre mauvaise, aux yeux de Rabat, sur la présence de Ghali sur le sol espagnol. Il n’en a pas eu le temps. L’un des services secrets marocains, probablement la Direction générale des études et de la documentation (DGED), a appris l’hospitalisation du chef du Polisario. Ils ont d’abord communiqué la nouvelle à El Noticiario, une publication espagnole mystérieuse et inconnue qui qualifie Ghali de « séparatiste », un terme utilisé par la presse officielle marocaine. Elle a été immédiatement reproduite par Le 360, le journal en ligne marocain le plus favorable au palais royal, et par Jeune Afrique, un hebdomadaire français qui fait l’éloge de la monarchie marocaine.
Comment la DGED a-t-elle appris que Ghali se trouvait à Logroño ? Les hypothèses sont multiples. L’une des plus récurrentes rappelle que le téléphone portable du ministre était infecté par un logiciel malveillant, comme le Centre national de cryptologie l’a indiqué au ministre après l’avoir vérifié au printemps 2021. González Laya elle-même l’a confirmé dans une interview accordée à El Periódico le 7 juin 2022. Interrogée par El Confidencial, l’ancienne ministre n’a pas voulu s’étendre sur ce sujet ni sur d’autres.
Affaire d’espionnage
Curieusement, le gouvernement espagnol n’a reconnu que le 2 mai 2022, par la bouche du ministre Félix Bolaños, que trois appareils, celui du président et ceux de ses ministres de l’Intérieur et de la Défense, avaient été piratés avec Pegasus. La porte-parole de l’exécutif, Isabel Rodríguez, n’a ni nié ni confirmé que l’appareil de González Laya avait également été contaminé. Le CNI a émis l’hypothèse, dans sa note d’information, que la réunion secrète du 2 juillet porterait ses fruits au cours du même mois. Il y a « la possibilité que Mohammed VI utilise le discours de la Fête du Trône du 31 juillet 2021 pour envoyer un message à l’Espagne », peut-on lire dans la note confidentielle. En réalité, il aura fallu attendre trois semaines supplémentaires pour que le monarque alaouite prononce, le 20 août, un discours annonçant l’inauguration d’une « nouvelle étape inédite dans les relations entre les deux pays sur la base de la confiance, de la transparence, du respect mutuel et de l’honorabilité des engagements ».
L’annonce n’a pas été suivie d’effet. Le sacrifice de González Laya n’a pas suffi aux yeux de Rabat. La diplomatie marocaine exigeait ce qu’elle appelait « la sentence » par laquelle le gouvernement espagnol donnerait un aval retentissant au plan d’autonomie proposé par le Maroc pour résoudre le conflit du Sahara occidental. Tant qu’il ne s’engageait pas à l’écrire, Albares n’était pas le bienvenu à Rabat. C’est alors qu’intervient Miguel Ángel Moratinos, haut représentant de l’Alliance des civilisations promue par les Nations unies et l’un des Espagnols les plus appréciés par les autorités marocaines. « J’ai facilité le dialogue entre les deux ministres après l’arrivée d’Albares au gouvernement », a expliqué l’ancien ministre à ce journal. « C’est ma seule implication », conclut-il. Moratinos nie avoir écrit la lettre que Sánchez a envoyée à Mohamed VI le 14 mars 2022. Il y affirme que « l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, crédible et réaliste pour la résolution de ce différend ». Outre les attaques verbales contre Mme González Laya, les services secrets de Rabat ont ouvert un autre front pour harceler la ministre et son chef de cabinet, Camilo Villarino. Le même rapport du CNI cité ci-dessus et un autre, daté du 24 juin 2021, indiquent clairement que la DGED « exploite la voie judiciaire pour attaquer la direction du Front Polisario et faire pression sur le gouvernement espagnol afin d’obtenir une position favorable au Maroc dans le conflit du Sahara ».
La DGED a par exemple sollicité un avocat, Juan Carlos Navarro, pour que l’homme d’affaires valencien Rachad Andaloussi et l’ancien député du Parti populaire de Valence, Juan Vicente Pérez Aras, puissent déposer une plainte contre Ghali ainsi que contre la ministre et son chef de cabinet devant le 7e tribunal d’instruction de Saragosse, selon le CNI. « Le service de renseignement [marocain] dispose ainsi d’informations sur les procédures à suivre par ce tribunal, y compris le contenu des déclarations du personnel étranger et de défense qui est convoqué par le juge », a indiqué le CNI dans sa note. González Laya et Camilo Villarino ont été accusés de prévarication, de détournement de fonds et de dissimulation par le magistrat Rafael Lasala. Le juge a finalement abandonné les charges contre le diplomate le 13 mars 2022. L’ancien ministre a dû attendre deux mois de plus, jusqu’au 26 mai, pour que l’Audience provinciale de Saragosse fasse de même. M. Sánchez a scellé la paix avec Mohamed VI alors que ses services secrets harcelaient judiciairement un ancien membre de son cabinet. « J’espère qu’ils ne remettront plus jamais en question devant les tribunaux des décisions humanitaires qui appartiennent à la sphère de la politique étrangère espagnole », a écrit M. González Laya sur Twitter après avoir pris connaissance de la décision du tribunal.
M. Albares n’a pas non plus accordé un traitement de faveur au tandem González Laya-Villarino. Le gouvernement avait demandé l’approbation de la Russie pour que M. Villarino soit ambassadeur à Moscou, mais le nouveau ministre des affaires étrangères a retiré la proposition de son prédécesseur et a retiré la demande. Il a affirmé qu’il n’avait pas le « profil adéquat » pour ce poste. Dans les couloirs du ministère, sa décision a été interprétée comme une deuxième faveur gouvernementale au Maroc après la décapitation du ministre. Enfin, M. Albares a refusé de donner le soutien du gouvernement à la candidature de M. González Laya à la direction de l’Organisation internationale du travail, un organe des Nations unies basé à Genève, dont le poste est devenu vacant en octobre dernier. Selon des sources syndicales proches de l’OIT, l’ancien ministre avait déjà demandé le soutien de M. Sánchez en 2021 et celui-ci l’avait accordé en paroles, mais lui avait dit de s’adresser à son successeur pour déterminer la marche à suivre. Albares lui a expliqué, en substance, que sa candidature n’avait aucune chance d’aboutir car l’élue serait l’ancienne ministre française du travail Muriel Pénicaud. Le nouveau directeur est le Togolais Gilbert F. Houngbo.
El Confidencial, 19 avr 2023
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