Alors qu’une note diplomatique suggérait de réduire ses visites au Maroc
Le roi Mohamed VI n´est pas près de donner suite à la demande de Christopher Ross d´effectuer une nouvelle tournée au Maghreb dans le but de convaincre le Maroc et le Front Polisario d´engager, cette fois, des négociations officielles et non plus informelles sur le conflit sahraoui qui les oppose depuis 1976.
Depuis qu´il a pris ses fonctions il y a 5 ans, le représentant personnel du secrétaire général de l´Onu pour le Sahara occidental s´est rendu plus d´une dizaine de fois dans la région.
Si le mouvement sahraoui a montré dès le départ une disposition réelle à négocier une solution politique définitive sur la base du principe incontournable du droit du peuple sahraoui à l´autodétermination, les autorités marocaines, elles, ont tout fait, par le chantage, les pressions et les manœuvres, pour faire échouer sa médiation.
La réunion de Fès avec Mohamed VI
Dans un article de son spécialiste du Maghreb, Ignacio Cembrero, le grand quotidien espagnol «El Mundo» a fait état, jeudi dernier, de la série de câbles adressés à leur centrale par diverses ambassades marocaines en Occident, faisant ressortir l’hostilité manifeste du Maroc envers Christopher Ross.
Ignacio Cembrero a fait lui- même l´objet le 7 juillet dernier d´une note diplomatique captée sans doute par les services secrets espagnols (CNI).
Il est écrit dans ce câble que ce journaliste, pourtant reconnu en Europe pour son professionnalisme et son objectivité, «est connu pour son hostilité au Maroc et son soutien aux séparatistes (entendre le Front Polisario) du temps où il était au journal «El País».
C´est à la suite d´un procès engagé contre lui par le gouvernement Benkirane que Cembrero a dû se séparer à «l´amiable» de son journal pour faire partie depuis quelques semaines du quotidien «El Mundo» où il apporte des révélations chaque fois plus compromettantes pour le royaume alaouite.
Cette fois, le journaliste cite des câbles transmis depuis le mois d´octobre dernier sur son Tweeter «par celui qui se présente sous le profil de Chris Colemen» autour de l´image que le Maroc s´est forgée sur Christopher Ross que le roi Mohamed VI avait reçu pour la dernière fois le 24 février 2009 à Fès.
Le diplomate américain aurait alors apporté au roi du Maroc son soutien à son «plan d´autonomie» pour l´ancienne colonie espagnole. Cette position serait «encore la sienne cinq ans plus tard», comme l´est aussi son profond attachement au droit du peuple sahraoui à l´autodétermination.
Les raisons d´une haine sans limites
Le représentant de M.Ban Ki-moon a réitéré cette même position à la fin du mois de juin dernier à New York à une importante délégation marocaine conduite par M. Nasser Bourita, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères.
Pourquoi donc cette «haine» qui a conduit le roi Mohamed VI à réclamer en juin 2013 le départ de M.Ross, si le diplomate américain était en faveur d´une solution qui coïncide avec la proposition marocaine ? Les «notes diplomatiques» marocaines datant du début de l´année en cours apportent un début de réponse à cette question.
En fait, Rabat accuse M.Ross «d´avoir démontré sa partialité et son attitude fondamentalement hostile au Maroc par ses flagrantes contradictions».
Non seulement le Représentant de M. Ban Ki-mon ne veut pas renoncer à son attachement au droit des Sahraouis à l´autodétermination, mais il n´a pas cédé aux pressions du gouvernement marocain pour que l´Algérie soit mentionnée dans ses rapports au Conseil de sécurité de l´Onu comme «partie impliquée» et non pas «intéressée» au conflit du Sahara occidental.
Le diplomate américain connaît parfaitement le fond du dossier dont il est chargé pour avoir été ambassadeur de son pays à Alger dans les années 80.
«Planifier» le départ du diplomate américain
Rabat accuse également le diplomate américain d´avoir «engagé des initiatives qui n´entrent pas dans ses prérogatives».
Il faut se rappeler que le représentant personnel du SG de l´Onu avait adressé, il y a trois ans, un rapport au CS de l´Onu accusant le Maroc d´ «espionner» la délégation de la Minurso à Casablanca, organisme onusien chargé de la surveillance du cessez-le-feu au Sahara occidental.
Il est accusé aussi d´avoir soutenu puis «marginalisé» le plan d´autonomie marocain. Ce plan n´a pas fait recette malgré l´appui dont il a bénéficié de la part de la France sous Chirac et Sarkozy, puis en Espagne, notamment sous les socialistes de Zapatero et son ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, celui qui avait soufflé cette formule au roi Mohamed VI.
Enfin, les Marocains ont été irrités de voir M.Ross chercher à «impliquer l´Union Africaine» dans le règlement du contentieux de la dernière colonie du continent. Les raisons de l´hostilité marocaine sont nombreuses. Le 9 avril 2013, M.Ross avait attiré l´attention du ministre des Affaires étrangères d´alors, Saadeddine Al Othmani, sur les violentes répressions des manifestations des Sahraouis à Al Ayoune, ultime escale de sa dernière tournée maghrébine.
«Vous devez convaincre la communauté internationale que la vie est pacifique sous la souveraineté du Maroc», avait-il suggéré à son interlocuteur.
Pour toutes ces raisons, une note diplomatique marocaine datant de l’époque propose qu´une action soit engagée en vue d’«isoler M.Ross pour le forcer à renoncer à sa mission, sans pour autant entrer en confrontation avec lui et, surtout, éviter qu´il puisse passer pour une victime».
Concrètement, la note suggère de «réduire au maximum ses visites au Maroc», donc dans la région où M.Ross n´a plus remis les pieds, les autorités marocaines exigeant depuis que «le but de sa mission soit clarifié», jouant sur le statu quo qui les arrangent, faisant fi de la menace du président Mohamed Abdelaziz d´un «retour aux armes» dans ces conditions.
En plus, la même note suggère «de faire circuler via les cercles universitaires et les réseaux sociaux civils un message de scepticisme sur les efforts de médiation déployés par de M. Ross afin d´introduire le doute sur sa capacité à poursuivre sa mission».
Le «pire» fut sa rencontre avec Navi Pillay
Cette campagne «est loin de s´arrêter puisque M.Saadine Al Othmani avait opté pour une stratégie» d´évaluation de la situation dans sa globalité, portant sur le calcul du prix politique à payer par le Maroc à travers sa décision de refuser le représentant de M.Ban Ki-moon, car une telle initiative comporte le risque d´un affrontement avec le SG de l´Onu et le Département d´Etat des Etats-Unis avec lesquels le Maroc entretient des relations déjà assez tendues».
Mais «le pire» aux yeux de Rabat, c´est lorsque M.Ross avait été reçu le mois de juillet 2013 à Genève par Mme Navi Pillay.
La Haute Commissaire de l´Onu pour les Droits de l´Homme avait exprimé au diplomate américain «sa déception» à la suite du retrait par les Etats-Unis de la proposition qu´ils avaient faite, le mois d´avril de la même année, sur l´élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance des droits de l´homme au Sahara occidental.
«Ce fut un revers pour la cause des droits de l´homme», répondit le représentant personnel du SG de l´Onu avant d´inviter Mme Navi Pillay à effectuer une visite au Sahara occidental pour «soutenir» la recommandation portant sur «l´inclusion des droits de l´homme dans la mission de la Minurso».
Cette conversation a été relatée par l´ancien ambassadeur du Maroc à Genève, Omar Hilale, après un entretien avec une «source proche de Mme Navi Pillay», dit un câble cité par «El Mundo».