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Maintes fois reporté, le prochain sommet France-Afrique se tiendra finalement en octobre. C’est le lieu de faire l’autopsie de la françafrique, nébuleuse dont tous les Présidents français ont du mal à s’en défaire, nonobstant leur promesse de campagne. À trois semaines du sommet, retour sur une institution cinquantenaire qui peine à opérer son aggiornamento
Lawoetey-Pierre AJAVON
De François Mitterrand à Emmanuel Macron, l’impossible rupture avec la Françafrique.
Les élections présidentielles françaises sont habituellement l’occasion pour les candidats de tous bords d’affirmer leur volonté de rompre avec la Françafrique cette vieille pratique politico-incestueuse initiée par le Général de Gaulle lui-même, au lendemain des indépendances africaines, et qui continue de régir de nos jours les relations entre la France et ses anciennes colonies. Si la paternité du terme Françafrique a été à tort ou à raison attribuée à l’ancien président ivoirien, feu Félix Houphouët-Boigny, mais c’est surtout avec l’inénarrable ex-conseiller aux Affaires africaines du Général de Gaulle, Jacques Foccart, que ce concept connaîtra sa cynique illustration concrète avec son lot d’opérations barbouzardes: renversements des chefs d’Etats nationalistes désireux de s’affranchir du joug de la France, traques et assassinats d’opposants anticolonialistes, déstabilisation des régimes suspectés d’être proches du bloc soviétique, mise en place et adoubement de dirigeants fantoches et compradores prêts à sauvegarder les intérêts français au détriment de leurs propres populations. On comprend dès lors le sens de la fameuse phrase de l’ancien Président de Guinée, feu Ahmed Sékou Touré: « Là où Jacques Foccart passe, l’herbe ne pousse plus ».
C’est peu de dire qu’une fois installé dans le fauteuil élyséen, et confronté à la realpolitik, chaque Président nouvellement élu a tôt fait de renouer avec les vieilles habitudes françafricaines, reléguant aux oubliettes ses promesses de campagne. L’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, Charles Pasqua, ne disait-il pas que les promesses n’engagent que ceux qui y croient?
François Mitterrand fut le premier à opérer une déchirante révision de ses promesses: l’élection du premier Président socialiste de la Cinquième République avait pourtant soulevé un immense espoir chez la plupart des démocrates africains qui ont placé dans l’élection d’un Président de Gauche, l’espoir d’un changement de politique à l’égard de l’Afrique, autrement dit, l’établissement de rapports normaux et plus sains, débarrassés du vieil paternalisme condescendant dont est coutumier l’ancienne puissance tutélaire. Galvanisés par le fameux discours de La Baule en juin 1990, où François Mitterrand invitait les pays africains à adopter des réformes démocratiques, beaucoup d’Africains ont cru à l’avènement d’une nouvelle ère plus respectueuse des droits de l’Homme dans leur pays respectif. Les plus pessimistes parmi ces derniers n’ont pas tardé à qualifier de pseudo rupture et de pure tactique électoraliste la posture du Président socialiste, alors que les plus optimistes ont vu leur espoir vite douché par le revirement à cent quatre-vingts degré de François Mitterrand. Après avoir exhorté ses pairs africains à davantage d’ouverture démocratique, il a ensuite revu ses prétentions «trop démocratiques » à la baisse, conseillant à ses amis autocrates «d’aller chacun à son rythme». En réalité, les velléités démocratiques du Président socialiste ont vite cédé, face aux collusions d’intérêt, surtout, sous la pression de certains potentats africains. Même sous un gouvernement de gauche, la France des «copains et des coquins», selon la formule du général de Gaulle, n’avait jamais autant étendu ses tentacules françafricaines sur le continent noir, promouvant et soutenant «l’Afrique de Papa », autrement dit, les ploutocraties liées aux intérêts de quelques grands consortiums économiques et industrielles de la Métropole.
Le premier à faire les frais de ce virage de François Mitterrand, sera son ancien Ministre de la coopération, Jean-Pierre Cot. Opposé à la politique du secret, marque de fabrique de la Françafrique, ce socio-démocrate poussa l’outrecuidance jusqu’à déclarer, dès sa nomination, que les rapports d’Amnesty International lui serviront désormais de jauge dans ses rapports avec les pays africains. Aussitôt démis de ses fonctions, il apprendra à ses dépens combien la Françafrique, domaine réservé du Président de la République, ne pouvait souffrir d’aucune intrusion, fut-elle ministérielle.
Par ailleurs, faut-il rappeler que l’une des causes de la défaite du Président Giscard d’Estaing face à Mitterrand en 1981 est liée à ses relations trop personnelles avec l’auto-proclamé ex-Empereur de Centrafrique, Jean-Bedel Bokassa dont le grotesque sacre fut encouragé et financé par la France? L’affaire des diamants et des cadeaux de Bokassa, sur fond de corruption d’Etat ont abondamment défrayé les chroniques de l’époque, en donnant le coup de grâce électoral à Giscard, non sans avoir empoisonné la dernière année de son mandat.
Que dire de «Chirac l’Africain», longtemps perçu comme l’avocat des causes africaines ? Son discours d’ouverture, au 24ème sommet France-Afrique en 2007, véritable plaidoyer pour l’Afrique, ne laisse aucun doute sur ses sentiments à l’égard du continent noir qu’il dit tant aimer: «L’Afrique est riche, mais les Africains ne le sont pas. Le continent détient le tiers des réserves minérales de la planète. C’est un trésor. Mais, il ne doit pas être pillé, ni bradé[…]aimait-il à répéter.
S’insurgeant contre l’injustice faite aux paysans africains, Jacques Chirac n’hésitera pas à lâcher devant ses pairs africains:« Il est temps que les pays riches cessent de subventionner les producteurs au détriment de ceux de Sahel qui ont là, leur unique source de revenu. Cette attitude est inacceptable et inhumaine […]. Poursuivant son apologie du berceau de l’Humanité, comme un pied de nez à un certain Nicolas Sarkozy qui prétendait que: «l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire», Chirac, l’amoureux des arts premiers et civilisations antiques, confiait au journal Jeune Afrique en 2009:«Les Africains ne doivent pas oublier qu’ils ont été au fond les premiers. L’Homme africain a été le premier homme civilisé. Il ne faut jamais oublier la perspective historique. Les Africains doivent être fiers d’eux-mêmes. Soyez fiers d’être Africains. Le monde a besoin de l’Afrique».
Chirac défendant les Intérêts de l’Afrique, qui l’eût cru? Hommage du vice à la vertu ou repentance tardive d’un héritier et continuateur de la «France à Fric» comme dirait le regretté François-Xavier Verschave.? Mais, il y a belle lurette que les populations africaines ne croient plus à ces paroles lénifiantes et anesthésiantes venant de ceux-là mêmes qui participent à leur malheur. Proche des autocrates africains tels que le Gabonais Omar Bongo, le Congolais Sassou N’Guesso et le Togolais Gnassingbé Eyadéma, pour ne citer qu’eux, Jacques Chirac, tout comme d’autres locataires de l’Élysée n’a pas échappé à la tentation du financement frauduleux de ses campagnes politiques. Si l’on en croit Robert Bourgi, le conseiller officieux de l’Élysée pour les affaires africaines, il aurait lui-même joué le rôle de porteur de valises d’argent des chefs d’Etat africains au profit de Jacques Chirac. Même l’ex-Président ivoirien, Laurent Gbagbo qui n’était pas en odeur de sainteté auprès de Chirac a de son propre aveu, contribué au financement de la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 2002: «c’était le prix à payer pour avoir la paix en Françafrique» avouera plus tard Gbagbo, dans son ouvrage « Libre. Pour la Vérité et la Justice» co-écrit avec le journaliste François Mattei. Déposé par l’armée française, puis incarcéré à la prison Scheveningen (Pays-Bas) pour mettre en selle Allassane Ouattara, l’ami intime de Sarkozy, Gbagbo a certainement eu le temps de méditer longuement à la trahison en Françafrique.
Mais qu’ on ne s’y trompe pas. Derrière les effets de manche de Chirac avocat des Africains, se dissimule la mainmise des multinationales françaises prédatrices des richesses du continent: Areva exploitant l’uranium du Niger au mépris du respect de l’environnement. Bouygues, Total, Lafarge, Vivendi, Bolloré etc, ayant la haute main sur les économie des pays comme le Cameroun, le Congo, le Togo, le Gabon, la Guinée, la Côte d’Ivoire, pour ne citer qu’eux. Il va sans dire que ces entreprises industrialo-commerciales se sont arrogé un contrat dol et léonin dans ces pays où elles détiennent pratiquement le monopole des ressources naturelles et infrastructurelles, avec la complicité de dirigeants locaux véreux et corrompus. Elles peuvent toujours prospérer en toute tranquillité, sous le parapluie des bases militaires installées dans plusieurs pays: Sénégal, Gabon, Niger, Tchad, Mali, Djibouti, en vertu de nombreux accords secrets pompeusement dénommés «accords de défense et de coopération», ainsi que d’autres gadgets, véritables pièces maîtresses du dispositif du maintien des autocrates au pouvoir. Jacques Chirac ami des Présidents africains? Il est difficile de ne pas le croire. S’adressant directement à ses pairs africains au 24 -ème sommet de Cannes en février 2007, il n’a pas hésité à laisser parler son cœur:« J’ai tissé de longue date, des liens personnels avec beaucoup d’entre vous, et vous le savez, j’aime et je respecte l’Afrique[…]».Les propos de Jacques Chirac, à la mort de l’ancien Président du Togo, Gnassingbé Eyadéma, illustrent bien ses «liens personnels» avec certains dirigeants: «j’ai perdu un grand ami personnel» disait -il, passant par pertes et profits les revendications démocratiques exprimées par les populations togolaises qui croupissent sous le joug d’un régime autocratique depuis plusieurs décennies.
Dans la même veine que ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, alors en campagne présidentielle au Bénin en 2006, promettait à son tour de «refonder la politique africaine de la France, sur des relations transparentes et officielles entre pays démocratiques, de tourner la page des complaisances, des secrets, des ambiguïtés et de cesser de traiter indistinctement avec des démocraties et des dictatures […] À nous Français, poursuit-il, de renier tout paternalisme, d’exclure toute condescendance à l’endroit des Africains. Et surtout plus de respect. Nous ne savons pas mieux que vous quel est le bon chemin. Je refuse la posture d’une France donneuse de leçons». Ces déclarations se donnent à interpréter comme un aveu implicite et une dénonciation sans ambages des vieilles pratiques chères à Jacques Foccart. Elles ont surtout eu une double résonance en Afrique, selon le camp dans lequel on se trouve: si elles ont réjoui les opposants aux dictatures qui voient, à tort ou à raison, en Sarkozy, l’homme de la rupture avec les régimes autoritaires, à contrario, elles n’ont pas manqué d’inquiéter certains chefs d’État françafricains qui redoutaient une brutale réorientation de la politique africaine du nouveau Président. D’autres, plus avisés ont tôt fait de déceler dans les propos de Sarkozy une fausse rupture, doublée de démagogie, à des fins électoralistes. Aussi, observent-ils également que le souci de préservation des intérêts français finira par l’emporter sur toute autre considération chez Sarkozy. En effet, le premier acte de Sarkozy nouvellement élu, fut de dérouler le tapis rouge à son «ami», l’autocrate Omar Bongo, Président du Gabon. Accusé de renier ses promesses de rompre avec la françafrique, Sarkozy a déclaré ne pas mélanger «amitié personnelle et amitié officielle ». On oublierait presque son coup de force contre Laurent Gbagbo grâce à l’intervention de l’armée française afin d’installer au pouvoir son ami Allassane Ouattara en 2011. Les liens ténus de Sarkozy avec ce dernier ne sont un secret pour personne. D’ailleurs, ne confiait-il pas lui-même dans une interview à l’hebdomadaire l’Express: « si j’ai six vrais amis dans le monde, il [ Alassane Ouattara] en fait partie?».
Il est loin le temps où Sarkozy condamnait la fraude électorale dont s’était rendu coupable le fils du «grand ami» de Chirac, Faure Gnassingbé, qu’il refusa de recevoir à l’Élysée, en septembre 2006. « Sarkozy pourrait-il se désolidariser des grands groupes industriels français pour qui l’Afrique est importante, et qui règlent directement leurs affaires avec les chefs d’Etats concernés: ces entreprises inévitablement demandeurs d’une relation amicale et apaisée entre Paris et les capitales du continent, quitte à fermer les yeux sur certaines pratiques […] », s’interrogeait à l’époque, un fin observateur de la Françafrique.
La réalité est qu’en matière de politique africaine, le statu quo demeure le point commun de tous les Présidents français: l’expérience ayant montré que malgré leurs promesses de «rupture», c’est plutôt la continuité et la perpétuation des vieilles pratiques «mafiafricaines» qui demeurent la règle.
«Le changement c’est maintenant !» Tel est le slogan de campagne du candidat François Hollande que ses adversaires disent assez éloigné des préoccupations de l’Afrique, voire, ignorant des réalités du continent. On donnerait presque un blanc-seing à François Hollande qui a surpris plus d’un Africain, dès sa prise de pouvoir, en prenant le contre-pied du discours condescendant et méprisant de Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007. Dans un cinglant réquisitoire contre son prédécesseur, il confiera au journal «Les Afriques» :«[…] Le regard français sur l’Afrique n’échappe malheureusement pas toujours aux caricatures […]. Chacun se souvient du tristement célèbre discours de Dakar et des clichés sur l’homme africain insuffisamment entré dans l’Histoire. Les lecteurs de « Les Afriques » à Abidjan, Dakar, Rabat et ailleurs sont la preuve que l’Afrique bouge à toute vitesse. Mais les regards changent, et les dérapages feront à leur tour partie de l’histoire […]. Promettant de «répudier les miasmes de la Françafrique » s’il était élu président de la République, il entend sortir les relations franco-africaines du «paternalisme d’antan» et s’engage à débarrasser celles-ci «des formes anciennes héritées de la période post-coloniale». Et de poursuivre : «Le regard sur l’Afrique doit changer. La confiance et l’amitié qui nous lient aux pays de la rive de la Méditerranée et de l’Afrique subsaharienne est une grande chance pour la France. Mais je veux changer le regard français sur l’Afrique et rompre avec l’arrogance, le paternalisme, les collusions douteuses ou les intermédiaires de l’ombre qui ont terni la relation entre la France et l’Afrique. Je veux aussi tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés […].
Des paroles déjà entendues chez Nicolas Sarkozy qui a fait de la rupture avec la Françafrique sa promesse de campagne en 2012, promettant «de tourner la page des réseaux d’un autre temps, des conseillers officieux, des officines et des émissaires de l’ombre». Comme son prédécesseur, François Hollande a été rattrapé par le réalisme politique, ouvrant grandement les portes de L’Élysée aux chefs d’États les plus contestables, champions de la modification de leur constitution et des fraudes électorales pour se maintenir au pouvoir, tels que : le Congolais Sassou N’Guesso, le Gabonais Bongo fils, le Tchadien Déby, le Burkinabé Compaoré, le Camerounais Biya. Alain Jupé n’avait-il pas prédit que la politique africaine de François Hollande risquait d’être un «mauvais copier-coller» de celle de Sarkozy? Renouant avec la politique de l’interventionnisme militaire au Mali et en Centrafrique à travers les opérations Serval, Sangaris, Barkhane, Hollande a affiché sa priorité: la sécurité et la lutte contre le terrorisme avant le développement du continent.
À l’instar de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, dès son élection en 2017, annonce sa volonté de rompre avec la nébuleuse de la Françafrique et d’établir d’autres rapports plus sains avec l’Afrique. Aussi, la tentation est-elle grande d’accorder un préjugé favorable à ce jeune Président, né après les indépendances africaines et n’ayant aucun passé colonial à revendiquer: « Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire […]» reconnaîtra-t-il dans son allocution au Burkina Faso, en novembre 2017, devant un parterre d’étudiants. Et d’ajouter: «il n y’a plus de politique africaine de la France ». Cependant, instruite par de précédentes fausses ruptures, la jeunesse africaine, en particulier, celle du Pays des Hommes Intègres à laquelle le Président français tentera de s’identifier, avait toutefois de bonnes raisons de se méfier du miroir aux alouettes. Par ailleurs, le supposé « sentiment anti- français» qui, selon Emmanuel Macron, s’enracine de plus en plus dans certaines couches des populations africaines s’explique, non seulement par le soutien de la France aux autocrates décriés par leurs peuples, mais également, s’agissant du Burkina Faso, par le vieux contentieux lié à la complicité de la France mitterrandienne dans l’assassinat de l’ex-Président burkinabé, Thomas Sankara. Ce «sentiment» est renforcé par l’implication directe dans cet assassinat, de l’un des caciques de la Françafrique, l’ancien Président, Blaise Compaoré, chassé du pouvoir à la faveur d’une révolte populaire en octobre 2014, et que les Services français ont vite fait d’exfiltrer vers la Côte d’Ivoire.
À trois semaines du 28 -ème sommet France-Afrique prévu à Montpellier, pour la première fois depuis 1973, date de la première édition, les Présidents africains ne seront pas de la partie. En lieu et place, Emmanuel Macron a préféré inviter les acteurs de la société civile africaine : entrepreneurs, intellectuels, chercheurs, artistes, sportifs etc. Il s’agit de «poser un regard moins diplomatique sur la relation France-Afrique, en valorisant les partenariats», selon les organisateurs du sommet. L’historien et philosophe camerounais, l’universitaire Achille Mbembe est chargé de coordonner les échanges avec la société civile. Ce dernier soutient la démarche du Président français qui veut « poser un regard neuf sur les rapports entre l’Afrique et la France […] À la différence de ceux qui sont passés avant lui, il a posé des gestes », dit-il. Refusant par ailleurs les procès d’intention faits au sommet, Achille Mbembe invite les protagonistes à revenir aux valeurs fondamentales que Emmanuel Macron appelle de ses vœux. On est surpris par ce brutal revirement du philosophe qui pourfendait, il y a peu, la Françafrique dans son ouvrage: «Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée » où il soutenait qu’ il « ne faut pas s’attendre à ce que la rupture vienne le l’Élysée. Ni Nicolas Sarkozy, ni aucun autre dirigeant de droite comme de gauche n’y mettront fin de leur plein gré. C’est aux forces sociales africaines d’imposer la rupture avec le système de corruption réciproque, ou alors il perdurera[…]».Dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique, Achille Mbembe s’est fait le défenseur de l’approche volontariste du Président Macron à qui il accorde un préjugé favorable concernant sa nouvelle politique africaine qui, affirme-t-il, tranche avec celle de ses prédécesseurs. Cependant, il en faut davantage pour convaincre ses contempteurs qui lui reprochent son opportunisme et sa naïveté, en le présentant comme «le cheval de Troie de l’ancien maître». Ils émettent également de sérieuses réserves quant à la sincérité de Macron à opérer un véritable changement dans son pré carré francophone, soixante ans après les indépendances africaines. Sans doute, Emmanuel Macron cherchera-t-il à imprimer sa touche personnelle aux relations franco-africaines. Mais l’immense majorité des Africains n’attendent aucun bouleversement de fond au cours du sommet de Montpellier qui, d’après les Afro-pessimistes, serait l’exacte réplique des précédents. Achille Mbembe, Kako Nubukpo, Souleymane Bachir Diagne et le collège d’intellectuels qui entoureront le président français à Montpellier peuvent claironner à l’envi dans les journaux, que Macron a manifesté une volonté de changer les rapports avec l’Afrique « en posant des actes ». On se demande d’ailleurs lesquels. Mais, cela suffira- t -il pour rompre radicalement avec les pratiques héréditaires qui collent de façon indécrottable à la peau de tous les locataires qui se sont succédé au Palais de l’Élysée? C’est presqu’un truisme de rappeler, pour la gouverne de ces intellectuels, que Macron a été élu pour défendre les intérêts de ses concitoyens. La bonne question est : les dirigeants africains sont-ils capables de défendre les intérêts de leurs peuples? Sont-ils capables de rompre la servitude volontaire que leur impose l’ancienne puissance colonisatrice?
De toute évidence, ce que les populations africaines attendent de la France, c’est qu’elle instaure avec leurs pays respectifs, de nouveaux types de rapports plus respectueux, et plus sains, fondés sur un partenariat gagnant-gagnant, et qu’elle cesse de soutenir les ploutocraties honnies par leurs peuples. À ce propos, n’est-il pas curieux de constater que l’Afrique est le seul continent dont les dirigeants accourent au moindre claquement de doigts d’un Président français ? À l’inverse, la France a toujours entretenu avec ses autres voisins européens, des relations bilatérales, sur la base de souveraineté et non de suzeraineté. En témoignent les sommets franco-allemand, franco-espagnol, et autres. L’Afrique francophone est également la seule sphère du continent dont la politique étrangère n’est jamais débattue à l’Assemblée nationale française. Cela, en vertu du vieux principe initié par Jacques Foccart, et qui fait des relations de la France avec ses anciennes colonies, «un domaine réservé» du Président de la République. Derrière cette formule, se dissimule un système politico-mafieux, sur fond de corruption, de fraudes électorales, de terreur etc, et enfin, de captation dolosive et de siphonage des richesses naturelles du continent, au profit des multinationales, notamment françaises, avec le soutien occulte ou manifeste des réseaux françafricains, et la complicité active des prédateurs locaux imposés ou adoubés par leurs parrains étrangers.
Pendant que la France est toujours arc-boutée sur son passé colonial via sa fameuse Françafrique, certains de ses alliés traditionnels, désabusés, quittent les rangs pour rejoindre la galaxie anglo-saxonne plus dynamique, en termes de projets de développement socioéconomique. Contrairement à la France, le Royaume- Uni a compris très tôt, l’impérieuse nécessité de couper les liens d’assujettissement avec ses ex-colonies. Est-ce d’ailleurs par hasard si les populations francophones sont les plus pauvres du continent, malgré les immenses richesses de leurs pays ? Après le Rwanda en 2000, un des plus fidèles du pré carré françafricain, le Gabon du clan Bongo, s’apprête à intégrer le Commonwealth. Le Togo qui a exprimé tout récemment son désir de se rapprocher de la Couronne britannique, s’apprête également à prendre ses distances avec la famille francophone. À qui le tour? La Centrafrique et le Mali qui lorgnent déjà vers la Russie de Vladimir Poutine?
En embouchant désespérément le tocsin de la francophonie, Emmanuel Macron a sans doute senti tourner le vent à l’avantage de nouveaux concurrents que sont la Russie, La Chine et la Turquie, prêtes à marcher sur les plates-bandes du pré carré françafricain.
Médiapart, 22 sept 2021
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