Les Noirs sont antisémites parce qu’ils sont anti-Blancs.

Pour résumer, nous ne souhaitons pas nous entendre dire par un Juif américain que sa souffrance est aussi grande que celle du Noir américain. Elle ne l’est pas, et nous savons qu’elle ne l’est pas simplement par le ton avec lequel il vous assure qu’elle l’est.

D’une part, l’effort du Juif américain, pour autant qu’on sache en quoi il consiste, a permis d’acheter une sécurité relative pour ses enfants, et un avenir relatif pour eux. C’est plus que ce que l’effort de votre père a été capable de faire pour vos enfants. Il y a des jours où il est extrêmement pénible de supporter certaines célébrités blanches du monde de la musique ou du théâtre, qu’elles soient juives ou non – qu’est-ce qu’un nom dans le show-business? -, dont les revenus grotesques nous font songer avec amertume aux destins de personnes telles que Bessie Smith ou King Oliver ou Ethel Waters. D’autre part, un Juif peut se sentir fier de sa souffrance, ou du moins ne pas en avoir honte. Son histoire et sa souffrance n’ont pas pour origine l’Amérique, pays où l’on a enseigné à l’homme noir à avoir honte de tout, en particulier de sa souffrance.

La souffrance du Juif est reconnue comme faisant partir de l’histoire morale du monde et le Juif est reconnu comme un contributeur à l’histoire mondiale : ce n’est pas le cas des Noirs. L’histoire juive, qu’elle ait pu être honorée ou non, est connue : l’histoire noire, elle, a été dévastée, calomniée et méprisée. Le Juif est un homme blanc, et quand des hommes blancs se soulèvent contre l’oppression, ce sont des héros : lorsque des hommes noirs se soulèvent, on considère qu’ils sont retombés à l’état sauvage. Le soulèvement du ghetto de Varsovie n’a pas été qualifié d’émeute, ni les participants traités de voyous : les garçons et les filles de Harlem et de Watts le savent parfaitement, et l’influence que cela peut avoir sur leur attitude envers les Juifs ne fait aucun doute.

Évidemment, le fait que je compare ces deux quartiers au ghetto de Varsovie sera immédiatement jugé scandaleux. Plusieurs raisons à cela. Le fait que l’Amérique adore les héros blancs armés jusqu’aux dents, mais ne supporte pas les mauvais nègres, en est une. Mais la raison fondamentale est que laisser entendre qu’une quelconque horreur gratuite et sans remords puisse avoir lieu ici contredit le rêve américain. Nous commettons des erreurs, aimons-nous à penser, mais nous devenons sans cesse meilleurs.

Eh bien, pour le dire gentiment, ce n’est pas le point de vue des Noirs, pour peu qu’ils soient sains d’esprit ou honnêtes. Très peu d’Américains, parmi lesquels très peu de Juifs; acceptent de croire que la situation des Noirs américains est aussi désespérée et dangereuse qu’elle l’est. Très peu d’Américains et très peu de Juifs ont le courage de reconnaître que l’Amérique dont ils rêvent et se targuent n’est pas celle dans laquelle vivent les Noirs. Ce pays-là les Noirs ne l’ont jamais vu. Et. Il ne s’agit pas uniquement de mauvaise foi de la part des Américains. La mauvaise foi, Dieu sait, abonde, mais il y a quelque chose dans le rêve américain de plus triste et nostalgique que ça.

Personne, je suppose, n’imaginerait un instant accuser feu Moss Hart (1) de mauvaise foi. Vers la fin de son autobiographie intitulée « Un Homme de Broadway », juste après qu’il est devenu un dramaturge à succès et alors qu’il rentre, pour la 1ère fois, en taxi chez lui à Brooklyn, il écrit :
« Par la vitre du taxi, je regardais un gamin de dix ans aux traits tirés dévalant les marches pour faire quelque commission avant l’école, et je me revis moi-même me précipitant dans les rues tous ces matins blêmes, sortant d’une porte et d’une maison semblables à celles-là. Mon esprit fit un bond dans le passé puis virevoltant tel un prisme à multiples facettes il déroula le temps – projetant des images de notre ancien quartier, la maison, l’escalier, le marchand de bonbons – pour enfin revenir à l’horizon de gratte-ciel devant lequel je venais de passer, la Première qui venait d’avoir lieu, et les programmes que je serrais encore sous mon bras. Il était possible, dans cette formidable ville, que ce petit garçon anonyme – où des millions comme lui – ait de bonnes chances de franchir les obstacles et de réaliser son souhait. Peu importent la richesse, la position sociale ou un nom imposant. La seule référence que la ville exigeait était l’audace de rêver. »

Mais ce n’est pas vrai pour les Noirs, et même le plus célèbre ou le plus stupide des Noirs ne peut réellement croire cela. Son périple lui aura coûté trop cher, un prix que révèlent son rejet – sauf s’il est tout à fait exceptionnel et extrêmement chanceux – par les autres personnes de couleur et son isolement, toujours, de la part des Blancs. De plus, pour chaque garçon noir qui arrive à faire un tel trajet en taxi, des centaines, au moins, auront péri autour de lui, non que l’audace de rêver leur fasse défaut, mais parce que la république méprise leurs rêves.

Peut-être est-il nécessaire de vivre une telle situation pour vraiment la comprendre. Mais si on est un Noir à Watts ou à Harlem et qu’on sait pourquoi on y est, et qu’on sait qu’on a été condamné à y demeurer à vie, on ne peut pas s’empêcher de considérer l’État américain et le peuple américain comme ses oppresseurs. C’est, après tout, exactement ce qu’ils sont. Ils vous ont rassemblés là où vous êtes pour leur confort et dans leur intérêt, et font tout leur possible pour vous empêcher d’en savoir assez sur vous-même pour être capable de jouir de la seule vie que vous avez.

On refuse de croire que le Noir américain puisse ressentir cela, mais parce que le monde chrétien a été trompé par sa propre rhétorique et endormi par son propre pouvoir.

Plusieurs générations durant, les natifs du Congo belge, pour citer un exemple, ont enduré des atrocités innombrables de la part des Belges, de la part de l’Europe. Leur souffrance a eu lieu en silence. Elle n’a pas fait l’objet d’articles indignés dans la presse occidentale, comme cela aurait été le cas s’il s’était agi de la souffrance d’hommes blancs. La souffrance de ces indigènes était considérée comme nécessaire, hélas, dans la perspective d’une domination européenne et chrétienne. Et comme le monde en général ne savait presque rien concernant la souffrance de ces indigènes, lorsqu’ils se sont soulevés, loin d’être salués en héros luttant pour leur terre, ils furent accusés de n’être que des sauvages affamés de chair blanche. Aux yeux du monde chrétien, la Belgique était un pays civilisé; mais non seulement n’y avait-il aucune raison que les Congolais pensent cela de la Belgique, il n’y avait aucune possibilité qu’ils puissent le penser.

Que dira le monde chrétien, lequel est plongé dans un silence angoissé actuellement, lorsque – et ce jour approche – les Noirs d’Afrique du Sud commenceront à massacrer les maîtres qui depuis si longtemps les massacrent? Il est vrai que deux maux ne font pas un bien, comme nous adorons le rappeler aux personnes à qui nous faisons du mal. Mais un mal ne fait pas un bien, non plus. Les personnes à qui du tort a été fait tenteront de rectifier ce tort; sinon, ce ne seraient pas des personnes. Il est rare que de telles personnes se permettent d’être regardantes quant aux moyens utilisés. Elles utiliseront ceux qu’elles ont sous la main. Et, d’une manière générale, elles ne feront pas non plus le détail entre les oppresseurs ni ne chercheront à connaître le principe à la source de leur oppression.

Dans le contexte américain, le plus ironique concernant l’antisémitisme des Noirs, c’est que le Noir est en train, en fait, de condamner le Juif d’être devenu un Blanc amér icain – d’être devenu, en réalité, un Chrétien. Le Juif profite de son statut en Amérique, et pour cette raison il doit s’attendre à ce que les Noirs se méfient de lui. Le Juif ne se rend pas compte que ses références, le qu’il ait été méprisé et massacré, n’accroissent pas la compréhension du Noir. Cela accroît sa rage.

Car ce n’est pas ici ni maintenant que le Juif est en train d’être massacré, et il n’est jamais méprisé ici, à la différence du Noir, parce qu’il est un Américain. Leur malheur a eu lieu de l’autre côté de l’océan et c’est l’Amérique qui a sauvé le Juif de la maison de servitude (2). Mais l’Amérique est la maison de servitude du Noir, et aucun pays ne peut venir le sauver, lui. Ce qui arrive au Noir ici lui arrive parce qu’il est un Américain.

Lorsqu’un Africain est maltraité dans ce pays, par exemple, il a recours à son ambassade. Le Noir américain qui est disons, arrêté par erreur, constatera qu’il est presque impossible pour lui de porter son affaire devant les tribunaux. Ainsi, parce qu’il est un natif de ce pays – « un de nos nègres » -, il n’a, effectivement, aucun recours ni aucun endroit où aller, que ce soit dans ou hors du pays. C’est un paria dans son propre pays et un étranger dans le reste du monde. Voilà ce que signifie d’avoir son histoire et ses liens à sa patrie ancestrale totalement détruits.

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