Il n’y a pas eu de tentative, comme en Tunisie, de manifester en soutien aux rassemblements algériens. Pas d’élan de solidarité non plus. Au Maroc, la mobilisation qui secoue le pays voisin n’a pas suscité un grand émoi. Les politiciens sont restés silencieux, les médias en parlent avec précaution. Mais l’élan révolutionnaire en Algérie inquiète.
Depuis le 22 février, le royaume suit avec préoccupation, jour après jour, les manifestations contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, après vingt au pouvoir. La crainte d’un débordement tourmente les plus hautes sphères du pouvoir, sur fond de conflits diplomatiques entre les deux nations. La frontière terrestre entre les deux pays est en effet fermée depuis 1994 et la dernière rencontre entre les chefs d’Etat remonte à 2005.
« Des divisions au sein de la hiérarchie militaire peuvent conduire, ou pousser, à nourrir des foyers de tension portant atteinte au cessez-le-feu instauré depuis 1991 », s’alarme l’hebdomadaire Maroc Hebdo dans un éditorial intitulé « La bombe algérienne », paru vendredi 1er mars. « Les Marocains suivent avec attention et inquiétude ce qui se passe en Algérie. L’espoir, c’est que le peuple algérien soit entendu et respecté par un pouvoir qui l’a tant ignoré », écrit l’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun sur le site Le360, un média proche du palais royal.
« Il ne faut pas confondre réserve et indifférence. La crise algérienne est une question de premier plan qui mobilise en ce moment l’appareil militaire, les services de renseignement… Tout le monde est attentif, analyse le politologue Mustapha Sehimi. Si la crise s’aggrave, il pourrait y avoir une forte pression migratoire au niveau d’Oujda, à la frontière, où beaucoup d’Algériens ont encore de la famille, et il sera difficile de les refouler. Des préoccupations partagées par la France, même si ce ne sont pas pour les mêmes raisons. »
Une déstabilisation de l’Algérie ferait planer des risques sécuritaires dans tout le Maghreb mais aussi au Sahel, où les frontières sont poreuses et la menace terroriste très élevée. La crainte d’une contagion de la contestation dans les pays voisins, à l’image des « printemps arabes », est encore difficile à évaluer mais reste peu probable, selon les experts.
"El Marokki" va-t-il déstabiliser le Maroc ?
L’autre préoccupation concerne bien entendu le dossier du Sahara, où le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, a proclamé en 1976 une République arabe sahraouie démocratique (RASD) et réclame depuis un référendum d’autodétermination. La question envenime les relations entre Rabat et Alger depuis plus de quarante ans. Bloquées depuis 2012, des discussions ont finalement eu lieu en décembre 2018 à Genève sous l’égide des Nations unies. Le Maroc et le Polisario se sont rencontrés lors d’une table ronde en présence de représentants de l’Algérie et de la Mauritanie et devaient se revoir début 2019. « Aujourd’hui, la question du Sahara n’est pas du tout prioritaire en Algérie en cette période de crise interne. Cela freine les avancées des négociations ainsi que la normalisation des relations maroco-algériennes initiée fin 2018 », poursuit Mustapha Sehimi.
Sur les réseaux sociaux, le ton est différent. Le soulèvement en Algérie a nourri un sentiment ambivalent. Des internautes marocains soulignent avec admiration le « civisme » de leurs voisins lors des manifestations et critiquent « l’humiliation » que le peuple subit. Mais d’autres ont mal supporté les références au Maroc pendant les rassemblements en Algérie, où le président, né il y a quatre-vingt-deux ans à Oujda, dans le nord-est du royaume, est surnommé péjorativement « el Marokki » (le Marocain). Vendredi à Alger, des manifestants ont mis en scène l’enterrement de l’octogénaire en transportant un cercueil vide surmonté de son portrait et enveloppé du drapeau du Maroc. Un symbole qui a provoqué la colère de certains internautes.