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L ‘«espion» marocain qui a accusé José María Aznar d’être le père de la fille de l’ancien ministre Rachida
La personne qui a découvert le canular qui attribuait la paternité de la fille de Dati à Aznar a été révélée. C’était Ahmed Charai, un collaborateur des services secrets extérieur du Maroc. L’ancien président du gouvernement espagnol a déjà réussi à le battre devant le tribunal.
IGNACIO CEMBRERO
Mise à jour: 18/10/2014 12:04 heures
« Rachida Dati enceinte… d’Aznar ». Avec ce titre et un photomontage dans lequel apparaissent la ministre française de la Justice et l’ancien président du gouvernement espagnol, l’hebdomadaire marocain francophone « L’Observateur du Maroc » a ouvert son premier numéro de septembre 2008. Par l’intermédiaire du FAES, la fondation qu’il dirige, Aznar s’est empressé de démentir : « C’est un mensonge total et complet. Ce démenti n’a servi à rien. La ministre a refusé de préciser quoi que ce soit : « J’ai une vie privée compliquée et je n’en dirai rien. » Fille d’un immigré marocain et d’un algérien, Dati avait alors 42 ans, célibataire et n’avait pas d’enfant.
La rumeur est montée en flèche lorsque, dix jours plus tard, l’hebdomadaire espagnol ‘Interviú’ a publié un reportage intitulé « Les photos les plus embarrassantes d’Aznar » dans lequel l’ancien président a été vu en train de dire au revoir à Dati, avec un bisou sur la joue, alors qu’il sortait d’un restaurant parisien. Pour couronner le tout, Bakchich Info, une publication satirique française en ligne réputée pour ses exclusivités sur le Maghreb, a semblé crédibiliser les ragots avec une chronique intitulée « Bienvenue à la petite Dati-Aznar ».
Six ans plus tard, un tribunal de Versailles a jugé ce mois-ci que le père de la petite Zohra, aujourd’hui âgée de 5 ans, la fille de Dati, est Dominique Desseigne, un veuf de 70 ans, un riche homme d’affaires qui possède des hôtels, des casinos, auquel l’hebdomadaire Challenge attribue une fortune de 630 millions d’euros. Il doit verser à Dati, actuellement maire du VIIe arrondissement de Paris, une pension alimentaire de 2 500 euros par mois. Desseigne est un vieil ami de l’ancien président Nicolas Sarkozy.
Six ans plus tard, force est également de constater que le journaliste qui a diffusé la fausse nouvelle, Ahmed Charai, directeur de L’Observateur du Maroc, est un collaborateur de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), les services secrets étrangers marocains, qui Yassine Mansouri, 52 ans, dirige. A-t-il tenté, en répandant cette rumeur, de se venger d’un Aznar qui, aux yeux de nombreux Marocains, a humilié son pays en expulsant de force ses agents de l’îlot de Perejil en juillet 2002 ?
En plus de publier le démenti, Aznar a eu recours à la justice. Il a porté plainte en 2008 en Espagne contre Charaï et son hebdomadaire et, trois ans plus tard, il a finalement obtenu une condamnation définitive. Le tribunal provincial de Madrid a condamné le directeur de « L’Observateur du Maroc » à lui verser 90 000 euros pour « dommages moraux » -qu’il a déjà perçus- et à insérer le verdict dans trois journaux marocains et trois journaux espagnols.
D’ailleurs, Aznar a également poursuivi Bakchich Info en France et un tribunal de Nanterre (Paris) a jugé, en février 2013, que son honneur avait été violé. Elle a condamné son directeur à indemniser l’ancien président de 90 000 euros qui ne lui ont jamais été versés car l’entreprise avait fait faillite deux ans plus tôt. Bakchich Info a suspendu son activité pendant quelques mois, mais depuis juin 2011, il a rouvert son site Internet.
L’Observateur du Maroc fait partie de ces hebdomadaires marocains francophones qui ont peu de lecteurs, mais qui ne manquent pas de publicité. Il compte une quinzaine de journalistes, auxquels s’ajoutent trois chroniqueurs français chevronnés qui ont consacré une partie de leur vie professionnelle au Maghreb. Son directeur préside également Med Radio, le quotidien arabophone Al Ahdath Al Maghribia, et est membre des conseils d’administration de deux groupes de réflexion nord-américains.
Depuis le début de ce mois, Charai et les services secrets marocains dans leur ensemble ont une cailloux dans leur chaussure. D’abord sur Facebook, jusqu’à la fermeture de la page, puis sur Twitter. Il y a deux semaines, un compte anonyme appelé Le Makhzen a divulgué des documents compromettants pour chacun d’eux.
Charai y apparaît comme un intermédiaire du renseignement marocain qui gère, en échange d’enveloppes monétaires, que des journalistes et des think tanks américains, britanniques et français écrivent des articles favorables au Maroc et nuisibles à ses deux grands ennemis, l’Algérie et le Front Polisario. Les noms des bénéficiaires et les sommes qu’ils ont perçues, entre 11 750 et 47 000 euros, figurent dans les documents. A la caisse s’ajoutaient des invitations à passer des vacances au Maroc.
Pour avoir transporté trop d’argent liquide et ne pas l’avoir déclaré, Charai a même été arrêté le 14 septembre 2011, à l’aéroport de Dulles à Washington, selon un rapport de police révélé par Le Makhzen. Il a admis sa culpabilité – il a imputé ce qui s’est passé à sa mauvaise compréhension de l’anglais – mais il a quand même été condamné.
Charai n’est pas le seul protagoniste de ce Wikileaks à la marocaine. Figurent également dans les journaux une note sur la coopération militaire nord-américaine-marocaine, du ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, et des photographies du mariage de son vice-ministre, Mbarka Bouaida, dénuées de tout intérêt. Il y a même des photos d’identité d’agents présumés du Mossad, les services secrets israéliens, qui se sont rendus au Maroc pour tenir des réunions pour lesquelles il n’apporte cependant aucune preuve.
Un service secret douteux
Sous le titre Intrigues bon marché des services secrets, Ahmed Charai reconnaît, dans une tribune de son hebdomadaire, que sa messagerie a été piratée depuis 2010, mais ajoute que les mails et documents volés ont été manipulés – il n’explique pas en quoi consistait l’altération – de s’en prendre à « l’Etat marocain à travers un homme de presse indépendant » comme lui.
Qui attaque ? « (…) les rats des services secrets algériens », dit-il. Il est vrai que le compte Le Makhzen montre une certaine propension à suivre d’autres comptes Twitter, souvent en espagnol, d’indépendantistes sahraouis. Si prolifique à l’époque lorsqu’il parlait d’Aznar et de Dati, Charai n’a pas répondu ces jours-ci aux messages que lui adressait ce journaliste pour obtenir sa version.
Hakim Arid, bras droit de Charai à l’hebdomadaire, incite, dans un autre article intitulé A vos claviers hackers !, les hackers marocains à répliquer en entreprenant avec les Algériens. « Puisqu’ils aiment la guerre sur Internet, ils seront satisfaits », annonce-t-il, anticipant une contre-attaque virtuelle.
Malgré l’accusation de Charai de manipulation de ses e-mails, les quelques médias marocains – l’essentiel de la presse et des partis politiques ignorent l’affaire – qui se sont fait l’écho des révélations de Le Makhzen acceptent les documents comme valides. « Des informations confidentielles du contre-espionnage marocain fuient sur Twitter : ils pointent vers Mansouri et Mezouar », titrait par exemple le journal en ligne Yabiladi.
Et parfois, ces médias applaudissent leurs espions. « Dans quelle mesure les activités de la DGED pour recueillir des soutiens pour les Marocains posent-elles problème ? », s’interroge le journal en ligne Médias 24. « Dans la guerre interservices, tous les coups sont permis », ajoute-t-il. « Fermons la parenthèse, alors », conclut-il.
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