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Cette ouverture a été annoncée par Sánchez et Albares le 7 avril comme l’une des principales réalisations de la réconciliation avec Rabat. En contrepartie, l’exécutif s’est aligné sur les thèses marocaines dans le conflit du Sahara occidental.
Il n’y aura pas de douane commerciale à Ceuta et probablement pas non plus de réouverture de celle de Melilla, que les autorités marocaines ont fermée d’un trait de plume, sans prévenir le gouvernement espagnol, le 1er août 2018. Il fonctionnait depuis un siècle et demi et sa fermeture n’a suscité aucune protestation de la part de l’exécutif. Le DG des Douanes marocaines, NabylLakhdar, a catégoriquement démenti la principale annonce faite le 7 avril par le PM Pedro Sánchez lors de sa visite à Rabat, pour sceller la paix avec le roi Mohamed VI, après 15 mois de crise bilatérale. M. Sánchez, puis son ministre des finances, José Manuel Albares, ont affirmé que la normalisation comprenait la réouverture du bureau de douane de Melilla et l’inauguration d’un bureau à Ceuta, qui n’en avait jamais eu depuis l’indépendance du Maroc en 1956.
Ces déclarations de Lakhdar tombent mal pour Sánchez, qui se présentera devant le Congrès des députés le 8 juin pour expliquer la nouvelle relation établie avec le Maroc depuis qu’il a envoyé une lettre au roi Mohamed VI le 14 mars soutenant la solution préconisée par le Maroc pour résoudre le différend sur le Sahara occidental. Sánchez a ainsi mis fin à la crise avec Rabat, mais en a ouvert une autre avec Alger. « Pour développer des opérations commerciales, il est nécessaire de construire des infrastructures », a répondu Lakhdar à une question de l’hebdomadaire casablancais « Tel Quel » sur l’établissement de douanes aux frontières des deux villes autonomes.
« Aujourd’hui, même les conditions géographiques ne le permettent pas », a-t-il ajouté. « D’ailleurs, ce n’est pas une question d’actualité ». « Les points de passage de Ceuta et Melilla ne sont que de petits couloirs », a-t-il argumenté pour justifier l’impossibilité d’ouvrir une douane. « Les contrôles douaniers nécessitent beaucoup plus d’espace ». « Nous aurions besoin de plusieurs dizaines d’hectares pour construire des zones de visite, des zones de contrôle, etc. » « La configuration actuelle de Bab Sebta [frontière de Ceuta] ne le permet pas ». « Nous ne disposons pas de la surface nécessaire pour envisager un tel projet », conclut-il. Il y a encore quatre ans, les douanes de Melilla disposaient effectivement d’un espace suffisant pour effectuer des opérations de contrôle.
Quant à Ceuta, les propos de Lakhdar montrent clairement qu’il n’existe aucune volonté politique d’agrandir le passage d’El Tarajal ou d’en ouvrir un nouveau, dans une autre zone le long des 12 kilomètres de la clôture, pour faciliter le transit des marchandises. Le manque d’espace physique pour disposer d’un point de passage contrôlé par les douanes cache un autre argument, selon des sources diplomatiques européennes à Rabat. La diplomatie marocaine craint que l’ouverture des douanes ne soit interprétée comme une reconnaissance implicite de la souveraineté de l’Espagne sur ces deux villes, notamment sur Ceuta, qui ne l’a jamais eue. Au cas où un doute subsisterait, la DG des douanes insiste sur le fait que « ces postes frontaliers ne seront ouverts qu’aux voyageurs et non aux opérations commerciales (…) ».
Depuis sa réouverture le 17 avril, après 26 mois de fermeture, le soi-disant « régime des voyageurs » n’a même pas été appliqué aux frontières de Ceuta et Melilla. La police marocaine ne permet pas d’entrer au Maroc, depuis les villes autonomes, avec des achats effectués dans les villes autonomes, même s’il ne s’agit que d’une boîte de biscuits ou de chocolats. Ces restrictions ont donné lieu à de nombreuses plaintes. Le Parti populaire (PP) de Melilla a déjà demandé que l’Espagne agisse avec réciprocité.
Annoncée fin avril comme « imminente » par le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, la réouverture des frontières a été retardée de trois semaines car son collègue Albares tenait à ce qu’elle coïncide avec le démarrage du bureau de douane de Melilla, dont les installations sont fermées depuis 2018. Il n’a pas compris. La déléguée du gouvernement à Melilla, Sabrina Mohm, n’a pas donné son bras à tordre aujourd’hui au sujet de la douane tant attendue. Devant les micros du réseau SER à Melilla, elle a affirmé que les réunions avec les autorités marocaines se poursuivaient « en avant » pour la mettre en route, mais elle n’a pas pu préciser quand cette ouverture serait une réalité.
Les propos de Lakhdar soulignent que, en échange de l’abandon de la neutralité et de l’alignement sur le Maroc dans le conflit du Sahara Occidental, le Premier Ministre Sánchez n’a pratiquement rien obtenu, pas même des douanes commerciales. Il est vrai que les frontières terrestres de Ceuta et Melilla ont été rouvertes et que le trafic de passagers à travers le détroit, interrompu pendant 26 mois, a été rétabli.
Rabat y était plus intéressé que le gouvernement espagnol. Cette année, il y aura bien l’opération Traversée du détroit qui, à partir du 15 juin, permettra à des millions de Marocains de rentrer en bateau dans leur pays pour y passer leurs vacances d’été, comme ils le faisaient jusqu’en 2019. « La contrebande, telle qu’elle fonctionnait jusqu’à récemment, quelques années, c’est un temps dépassé », a ajouté Lakhdar dans l’interview. « La contrebande (…) c’est avant tout quelque chose d’illégal », a-t-il souligné. Plus tard, il a expliqué les mesures de création d’emplois que les autorités marocaines ont prises pour tenter de reloger une partie des 9000 porteurs, en majorité des femmes, qui acheminaient au Maroc les marchandises achetées à Ceuta et Melilla.
En fait, Rabat a déjà suspendu la contrebande – que les habitants de Ceuta et Melilla appellent le commerce atypique – avec Ceuta en octobre 2019 et elle a également été coupée avec Melilla en mars 2020, lorsque la frontière a été fermée en raison de la pandémie. Dans ses meilleurs moments, les exportations irrégulières des deux villes vers le Maroc pouvaient avoisiner 1 400 millions d’euros par an. Elles donnaient du travail à des milliers de Marocains, mais elles privaient aussi les douanes marocaines de la perception des droits de douane. L’interview de Lakhdar a été publiée 24 heures après que les premiers ministres de Ceuta, Juan Jesús Vivas, et de Melilla, Eduardo de Castro, se soient rendus à Bruxelles, invités par le député européen Jordi Cañas (Citoyens), pour assister à la présentation d’un rapport préparé par le cabinet Ernst & Young Consulting. Intitulé « Ceuta et Melilla : plus d’Espagne et plus d’Europe », ce document de 118 pages analyse les avantages et les inconvénients de l’entrée des deux villes dans l’espace Schengen de libre circulation, dans l’union douanière de l’UE et de leur inclusion dans l’Union européenne.
Bien qu’avec des nuances, le rapport est en faveur de ces démarches pour être plus européen. Le gouvernement de Melilla a quelques doutes, notamment sur Schengen -ce qui n’est pas le cas du PP dans l’opposition-, alors que le PP de Ceuta est clair à ce sujet depuis plus d’une décennie. C’est en décembre 2011 que la session plénière de l’assemblée de Ceuta a demandé à l’unanimité à l’exécutif de traiter son entrée dans l’union douanière, une demande que les gouvernements espagnols successifs ont ignorée par crainte de la réaction marocaine. Depuis 2019, Vivas, le premier ministre de Ceuta, plaide pour que sa ville fasse partie de l’espace Schengen, mais, pour l’instant, il n’a pas non plus obtenu gain de cause.
El Confidencial, 03 juin 2022
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