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Dans un entretien à Sputnik, Carlos Ruiz Miguel, directeur du Centre d’études sur le Sahara occidental en Espagne, analyse la portée des arrêts du Tribunal de l’UE annulant deux accords Maroc-UE, incluant le Sahara occidental. Il évoque également la nomination de De Mistura comme envoyé spécial de l’Onu et les relations entre Alger et Rabat.
Le Tribunal de l’Union européenne (UE) a annulé les deux accords agricole et de pêche liant l’UE au Maroc, en vigueur depuis plus de 20 ans, pour cause d’illégalité de l’exploitation du sol et des ressources du Sahara occidental. Les deux arrêts rejettent ainsi, une nouvelle fois, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, considéré comme territoire non autonome.
C’est dans ce contexte qu’intervient la nomination du nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu, l’Italo-suédois de 74 ans Staffan De Mistura qui prendra ses fonctions le 1er novembre. Sa tâche s’annonce difficile, à cause de la reprise des hostilités militaires au niveau du passage frontalier de Guerguerat, situé dans la zone démilitarisée, suite à l’intervention militaire marocaine en novembre 2020 pour reprendre son contrôle.
Pour toute reprise du dialogue en vue de l’application des résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui, l’Algérie exige l’arrêt immédiat des hostilités militaires et la démilitarisation totale de cette région frontalière, conformément aux accords de paix, signés sous l’égide de l’Onu.
Quelles sont les conséquences juridiques des arrêts rendus par le Tribunal de l’UE? Que pourrait apporter la nomination de De Mistura? Quelles pourraient être les implications de la position algérienne sur le conflit et les relations avec le Maroc?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le professeur Carlos Ruiz Miguel, directeur du Centre d’études sur le Sahara occidental de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Pour lui, « la plus importante conséquence des deux décisions rendues par le Tribunal de l’Union européenne réside dans le fait qu’ils reconnaissent au Front Polisario le droit et le statut juridique de représenter légitimement le peuple sahraoui aussi bien dans les négociations politiques qu’économiques et commerciales ».
Rien ne se fera sans « le consentement des Sahraouis »
Signés en 1996 entre le royaume chérifien et l’UE, ces accords qui lient les deux parties sont entrés en vigueur en mars 2000. Ces accords englobaient également le territoire du Sahara occidental, sans le désigner nommément. Or, lors de leur renouvellement en janvier 2019, un mécanisme d’extension de leur application au territoire du Sahara occidental a été introduit d’une manière explicite. Ce partenariat prévoit l’application de tarifs préférentiels aux produits du territoire et stipule que ces derniers bénéficient de préférences commerciales.
Ceci a permis au Front Polisario de saisir le Tribunal de l’UE non seulement pour empêcher leur renouvellement mais aussi pour demander leur annulation pure et simple. En effet, le Polisario avait introduit deux recours en avril et juin 2019 sur la base desquels le Tribunal de l’UE a rendu ses deux arrêts fin septembre 2021.
« Le Tribunal de l’UE a donné raison au Front Polisario tout en lui reconnaissant le droit légitime et le statut de représentant légal du peuple sahraoui, dont le consentement, d’une manière libre et originelle, est nécessaire à la conclusion ou l’application de n’importe quel accord économique ou commercial engageant le territoire du Sahara occidental », affirme le Pr Miguel. Par ailleurs, il souligne toutefois que « le Maroc et la Commission européenne disposent de deux mois pour introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la plus haute instance juridique de l’UE. Durant ces deux mois, les accords en question restent en vigueur ». Et de rappeler qu’en « 2016, la CJUE avait également émis des avis sur ces accords dans lesquels elle avait récusé la question de la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental ».
Pour le Maroc, ce partenariat avec l’UE avait une importance en termes d’exportation de ses produits agricoles vers l’Europe, en raison de tarifs préférentiels. Alors que pour l’UE, leur avantage réside dans le déploiement de la flotte de pêche européenne de 128 navires dans les eaux adjacentes du Sahara occidental de 1.100 kilomètres, parmi les plus poissonneuses du monde.
La nomination de De Mistura, un pas positif?
Depuis la démission en mai 2019 de l’ancien Président allemand Horst Köhler, le poste d’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental est resté vacant.
Le 15 septembre, le Maroc, qui a refusé de donner son accord à plus d’une dizaine de noms proposés par le secrétaire général de l’Onu, a finalement accepté la nomination de l’Italo-Suédois Staffan de Mistura, ancien envoyé spécial pour la Syrie. Fin août, le secrétaire général de l’Onu avait également nommé le Russe Alexandre Ivanko en tant que chef de la mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO).
« Staffan De Mistura a des prérogatives qui lui donnent les possibilités de faire avancer la mise en application des solutions au conflit et d’accompagner les négociations entre les deux parties, ainsi que fédérer l’appui international nécessaire à l’application des avancées réalisées », affirme le Pr Miguel, soulignant néanmoins qu’il « reste assujetti au mandat et à la feuille de route que lui tracera le Conseil de sécurité ».
Et d’affirmer que « si le Conseil de sécurité adopte la même démarche de gestion du conflit au lieu de le résoudre, l’action de De Mistura sera inéluctablement un échec total, à l’instar de ses prédécesseurs qui étaient également des personnalités de stature internationale. Dans le cas contraire, alors que la situation régionale a changé suite à l’intervention le 13 novembre 2020 des Forces armées royales (FAR) marocaines pour prendre le contrôle du passage frontalier de Guerguerat, forçant le chef du Polisario, Brahim Ghali, à signer un décret mettant fin à l’engagement de son mouvement pour respecter l’accord de cessez-le-feu signé en 1991 avec le Maroc, on pourrait voir des avancées positives vers la résolution définitive du conflit ».
Quid de la position algérienne?
L’Algérie, qui soutient le Front Polisario dans sa lutte pour l’autodétermination, a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc et fermé son espace aérien à ses avions civils et militaires. Alger a plusieurs griefs envers le royaume chérifien, dont le soutien affiché et renouvelé de ce dernier au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), présidé par Ferhat Mehenni et basé en France, et les attaques du chef de la diplomatie israélienne contre l’Algérie depuis Rabat.
Début octobre, Alger a demandé le retrait des Forces marocaines de la zone tampon de Guerguerat, comme impératif catégorique préalable à toute reprise de négociations sérieuses entre les deux parties en conflit, en vue d’un règlement juste, viable et définitif, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité.
« La position de l’Algérie est tout à fait raisonnable, du fait que c’est l’intervention militaire marocaine qui a enflammé cette région et mené à la suspension des accords de paix de 1991 », explique l’interlocuteur de Sputnik, estimant que les relations algéro-marocaines « ne sont pas encore prêtes de s’améliorer. La première cause réside dans le rôle négatif du Maroc au Sahel, où les organisations terroristes arrivent à écouler d’énormes quantités de cannabis produites dans ce pays, dont les retombées financières leur permettent de financer leurs activités. La seconde est le jeu trouble du royaume dans la crise libyenne dans le but de ne pas voir ce pays à nouveau dans le camp du soutien à la cause sahraouie, comme au temps de Mouammar Kadhafi », conclut-il.
Kamal Louadj
Sputnik,14/10/2021
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