Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦
La vidéo qui circule sur le net est insoutenable. Elle témoigne du calvaire de deux jeunes femmes sous les coups d’une sauvagerie bestiale et l’on reste stupéfait devant la discrétion des médias français. Pas un mot ou presque sur cette nuit d’horreur au mont Toubkal où, le 17 décembre, ont été égorgées et pratiquement décapitées deux Scandinaves amoureuses du Maroc et de ses paysages.
De quoi nos médias ont-ils peur ?
Leurs homologues marocains, au contraire, s’honorent en faisant de cette affaire un événement majeur. Quand on connait et quand on aime ce pays, on peut croire dans l’indignation manifestée par une partie de la population au-delà de ceux qui vivent du tourisme. Les réseaux sociaux reflètent une honte sincère face aux faits — non dissimulés ni minimisés.
Le Maroc, ce sont des paysages magnifiques et une hospitalité légendaire. Mais c’est aussi un pays musulman traditionnel travaillé par des pulsions radicales qu’exacerbent encore les fractures économiques et sociales. Il y a deux Maroc.
Cela étant dit, la rapidité des autorités chérifiennes à imputer le massacre des deux randonneuses à des terroristes se réclamant de Daech est assez étonnante. Le royaume cultive l’image d’un pays ayant maîtrisé le terrorisme ou l’ayant considérablement limité, ce qui est vrai. La reconnaissance donc d’un attentat terroriste particulièrement répugnant n’a pas été faite à la légère. On aurait pu, à la française, dénoncer le geste de « déséquilibrés » car, motif religieux ou pas, ce sont bien des déséquilibrés sadiques qui sont passés à l’acte. L’essentiel était donc de séparer la population des égorgeurs coupeurs de tête de touristes venues du froid. C’est indispensable pour l’opinion publique marocaine traumatisée.
Il est fort possible que ce double meurtre soit à connotation islamiste radicale et donc terroriste. Il peut être aussi le passage à l’acte de frustrés sexuels n’ayant pour les blondes visiteuses que mépris et haine.
L’ignorance des touristes européens
Avant leur trek fatal, la Danoise Louisa Vesterager Jespersen et la Norvégienne Maren Ueland avaient passé un mois à Marrakech. Mais Marrakech ce n’est pas le Maroc, pas celui en tout cas des villages sans eau, à 40 km des villas luxueuses aux piscines californiennes et des restaurants branchés. Il y a chez certains touristes une méconnaissance totale du ressenti des populations. On ne leur dit rien. On ne les met pas en garde contre des comportements à risques selon l’endroit où on se trouve — même si la mère de Louisa avait formellement déconseillé à sa fille un tel voyage.
Le Toubkal, le plus haut sommet du royaume, est une région aussi attachante que magnifique. Imlil est un village charmant peuplé de montagnards berbères accueillants. On comprend la passion des deux touristes, l’une d’elle caressant même le projet de devenir guide dans l’Atlas pour les visiteurs venant de Scandinavie. Mais l’arrière-pays de Marrakech, ce n’est pas l’arrière pays niçois et il est impensable pour deux jeunes femmes de camper seules dans la montagne sauvage. Il est normal que le Maroc ne veuille pas l’admettre. Il est vrai aussi que ce qui est arrivé aurait pu se produire dans un autre pays, on pense au crime de Lurs en France et à l’affaire Dominici. Mais il y a des leçons à tirer.
Il faut s’informer, savoir où on va et appliquer un minimum de principe de précaution. On se sent plus en sécurité à Marrakech que dans bien des quartiers français, et le terrorisme frappe partout. Il peut le faire au marché de Noël à Strasbourg comme au pied du mont Toubkal. On sait que Noël excite les islamistes, les jeunes femmes indépendantes aussi.
On ne va pas au Maroc comme on va aux Baléares même si le mondialisme touristique fait tout pour nous le faire oublier. Il y a des touristes prédateurs à Marrakech, et la pédomanie allogène est une tare qui révulse à juste titre les Marocains. Mais il y a aussi dans certains villages, pas si loin des golfs et des résidences pour clientèle du Golfe arabique, des populations vivant dans un autre monde et qui se réfugient dans le rigorisme religieux sans pour autant faire explicitement allégeance à Daech.
Le savoir et le reconnaître, ce n’est pas du dénigrement, c’est de l’information. Pas forcément dans le « Guide du routard », exaltation politiquement correcte du vivre-ensemble partout. Le « tourisme responsable », c’est aussi faire en sorte que le touriste soit bien informé, loin des leurres utopiques.
Pierre Boisguilbert
29/12/2018
Source : Correspondance Polémia