Les centres d’état civil en Mauritanie : corruption et gabegie.

Tout celui (ou celle) qui verrait sa pièce d’identité ou son passeport mauritanien expirer devrait savoir qu’il (ou elle) va emprunter un chemin de croix. La bêtise n’épargnant pas les gouvernants, en Mauritanie ils en ont fait un art de tous les jours la poussant à son extrême.

Ainsi, le passeport Mauritanien ne se renouvelle, qu’en Mauritanie, aucune possibilité non plus de prolonger sa validité auprès d’une ambassade ou consulat de Mauritanie à l’étranger, ainsi si votre passeport expire et que vous êtes au bout du monde, vous devrez voyager en Mauritanie pour le renouveler. Et là, encore, vous allez vous rendre compte de l’extrême gabegie ou injustice qui règne dans ce pays. Et vous comprendrez très vite que ce n’est pas le service public qui guide l’administration de l’état civil mais la corruption qui règne en ses centres.

Voici raconté mon périple pour renouveler mon passeport qui expira deux jours avant mon arrivée à Nouakchott.

La machine temporelle

Première chose que j’appris en me présentant dans le premier centre d’état civil, c’est que ce dernier était devenu un véritable business. Toute une mafia d’individus, policiers, agents administratifs, s’est transformée en intermédiaires, dont le rôle est de vous faire obtenir vos documents d’état civil, pièce d’identité et passeport en un temps record contre monnaie sonnante et trébuchante.

Comment cela fonctionne-t-il ? Machiavéliques. Ils ont inventé deux mécanismes bureaucratiques perfides:

Le fractionnement multiple d’une tâche administrative unique : la machine à remonter le passé.

Le saut en chaine d’attente : la machine administrative pour voyager dans le futur

Le fractionnement d’une tâche administrative : la machine à remonter le passé.

Cela fonctionne de la manière suivante : lorsqu’un agent est chargé de réaliser une tâche simple, il la fractionne, avec la complicité de collègues, pour la rendre complexe de telle sorte qu’à chacune des étapes de la chaine il obtient un bakchich pour vous permettre de passer à l’étape suivante ou mieux vous faire sauter des étapes. Chaque étape est faite pour vous faire remonter dans le passé. C’est une machine à vous réclamer tous vos anciens documents, les vôtres et ceux de vos proches (mort ou vivants, existant ou ayant existé).

Ainsi, lorsque vous vous présentez, pour le renouvellement d’un passeport on vous réclame votre carte d’identité nationale et si vous ne l’avez pas, il faut l’obtenir et c’est encore une autre descente aux enfers. Ainsi la perte justifiée de votre carte d’identité n’est pas acceptée même si l’existence de votre passeport périmé prouve bien qu’il a été confectionné sur votre pièce d’identité. Vous irez donc chez le collègue chargé des pièces d’identité qui vous dira que, dans tous les cas, la pièce d’identité ne peut être délivrée que dans un minimum de trois semaines et il vous renvoie chez un autre collègue qui vous dira que la pièce d’identité ne pourra être délivrée que si vous rapportez toutes les preuves civiles de l’existence de vos ascendants , père et mère et de vos descendants si vous en avez (titre de recensement, acte de naissance, attestation de nationalité etc. etc.) et que, s’ils sont au bout du monde vous devrez y retourner pour les rapporter et s’ils sont décédés vous devrez en rapporter la preuve. Et que tous ces actes doivent porter un patronyme unique et commun et gare à un nom de famille mal transcrit. C’est encore une autre voie sinueuse à prendre dans laquelle interviendront d’autres agents qui fractionneront à leur tour la procédure administrative à leur profit.

Les pauvres gens sont pris dans ce piège machiavélique et des familles entières dorment souvent sur place pour être aux premières loges lors de l’ouverture des centres mais on les refoule souvent en fin d’heure faute de pouvoir satisfaire les exigences paperassière de l’administration de l’état civil.

Les personnes possédant quelques moyens sont les seules à pouvoir s’en sortir, car le fractionnement injustifié d’une tâche ne sert que la poche des administratifs véreux, il suffit alors de graisser leurs pattes à chaque étape de la chaine. Et cela est d’autant plus révoltant que beaucoup des documents requis ne sont nullement nécessaires à la confection du document en question. Ainsi parmi les pièces que l’on vous réclame pour renouveler votre passeport, les actes de naissance de vos enfants et celui de votre épouse. Et n’essayez pas d’expliquer à l’administratif en question que le passeport est un titre personnel de voyage et que vos caractéristiques physiques, taille et couleur des yeux, sont plus importantes que les documents qu’il demande.
Quant aux documents exagérément demandés par l’administration des centres pour confectionner on les retrouve par poubelles entières jetés à même le sol devant ces mêmes centres.

– La machine administrative pour voyager dans le futur

Si vous êtes assez riche, vous pourrez éviter tous les tracas de ces fractionnements, de la machine à remonter le passé en achetant un ticket pour la machine administrative pour voyager dans le futur. Les agents des centres peuvent vous faire un saut gigantesque dans le futur. Et ô miracle ! Obtenir vos documents civils en un temps record. Votre pièce d’identité que l’on vous avait annoncée dans 3 semaines, vous pouvez l’obtenir en trois jours chrono, votre passeport idem.

Comment cette machine fonctionne-t-elle ? Comme toute machine qui voyage dans le futur, vous projeter à un niveau avancée de la chaine d’attente de ceux qui ont déposé et attendent depuis des mois leurs documents.

Ainsi si vous avez le numéro 450 dans la liste d’attente, cela signifie que vous n’obtiendrez votre passeport qu’après plusieurs dizaines de jours, sinon des semaines (si par miracle vous avez échappé à la machine à remonter le passé), alors on vous recommande des agents bien connus de tous qui viendront vous proposer de raccourcir la chaîne et vous faire passer au numéro 1. Cela signifie que vous allez passer directement à la photo, à la prise d’empreinte et à la validation de votre document (condition de son envoi et impression à l’Agence du registre des populations et des titres sécurisés). La somme requise pour obtenir ce ticket peut varier de 20 000 UM à 50 000 UM. Les agents qui interviennent sont aussi divers que des agents de police, des agents de centres que des intermédiaires civils.

La gabegie généralisée

Cette arnaque sournoise et pénalisante de toute justice, se déroule dans un environnement administratif des plus exécrables. Les citoyens sont traités comme des moins que rien. Bousculés, alignés devant des bureaux sales, aux portes bringuebalantes, comme du bétail dans une atmosphère insipide de vociférations et d’invectives venant de partout et surtout de l’intérieur des bureaux. Le demandeur d’un état civil est traité avec des égards de chien battu. Des centres où règne une chaleur souvent étouffante et où femme, avec enfants, et hommes de tous âges assis à même le sol, attendent depuis des jours leur tour, d’autres sous les arbres environnants et dans la canicule sont résignés à attendre que quelque agent passe pour l’agripper à propos de leur documents. Tristes paysages humains de désolation et de révolte contenue.

La relation du citoyen avec l’administratif à l’intérieur du centre est caractérisée par le dédain, le rabrouement et surtout des menaces parfois non voilées de ne pas le servir. Il fait alors des pieds et des jambes pour rester dans la file et garder espoir d’avoir à franchir une quelconque étape de son long et pénible périple pour obtenir des documents auxquels il a droit.

Triste réalité que ces centres où des groupuscules organisés font la loi et qui vendent les passe-droits contre monnaie sonnante et trébuchante.

La corruption à tous les échelons.

Mon sentiment le plus profond est que l’administration de l’état civil est une machine de découragement de franges entières de la population pour l’obtention de leurs documents d’état civil, notamment les pauvres, les démunis et les sans soutien. L’exclusion aussi de la population émigré qui outre les voyages obligés au pays, pour renouveler ses documents d’état civil, est soumise à la production d’une infinité de documents inutiles (d’ascendants et de descendants) qui constituent un véritable handicap.

Mon séjour pour obtenir mon passeport fut un véritable voyage à travers une administration d’état civil qui, à l’image du pays, est un véritable lieu de corruption et de gabegie où les citoyens souffrent le martyr.
Pr ELY Mustapha.

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