La dernière audition publique organisée par l’Instance vérité et dignité (IVD), chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme des décennies écoulées, s’est penchée sur les mécanismes ayant permis aux régimes de contrôler l’information et assurer leur propagande, en Tunisie et à l’étranger.
L’IVD, créée en 2014 dans la foulée de la chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali en 2011, est chargée de faire la lumière sur ces violations des droits de l’Homme de 1955 à 2013, de réhabiliter les victimes et de proposer des réformes pour empêcher que cela se reproduise.
Au cours de la 14e audition publique qui s’est poursuivie jusque tard dans la nuit de vendredi à samedi, cinq journalistes ont notamment témoigné du rôle de l' »ATCE », acronyme de l' »Autorité tunisienne de communication extérieure », outil clé de la propagande sous Ben Ali.
Mounji Ellouze, du journal d’opposition Al-Mawkef (1984), a expliqué comment l’Etat l’avait privé de toute publicité, notamment après la couverture des troubles sociaux dans le bassin minier de Gafsa en 2008, souvent considérés comme un prélude à la révolution.
« Ils pouvaient tolérer qu’il y ait des trafics de drogue, mais Al-Mawkef, pas question! », s’est-il souvenu, amer.
Lors de l’audience publique, l’IVD a présenté un documentaire révélant certaines pratiques de l’ATCE, créée en 1990 pour valoriser le régime Ben Ali et qui « achetait » des médias tunisiens et étrangers. Elle distribuait notamment des fonds de soutien, principalement en fonction du « degré de décrédibilisation des opposants politiques ».
Ben Ali et le ministre de l’Information, Abdelwahab Abdellah, donnaient l’ordre de fournir des subventions et des cadeaux à certains journalistes et certains médias, selon le documentaire.
Pour sa part, l’ancien journaliste Mohamed Bennour a témoigné de la manière dont s’organisait, alors qu’il écrivait dans le journal Al-Rai, la censure sous le premier président de la Tunisie indépendante, Habib Bourguiba. « Il y avait une personne qui contrôlait dans le journal, une autre dans l’imprimerie et dans tous les lieux », et même des policiers travaillant comme journalistes afin de fournir aux autorités des rapports sur ce qui se passait au sein des rédactions.
Il a rappelé « l’interdiction de la publication d’interviews avec des opposants », et la censure de certaines éditions dont les autorités empêchaient la distribution.
Selon une dirigeante du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Soukeina Abdel Samad, « ceux qui ont accepté de travailler sous les ordres dirigent aujourd’hui des médias en Tunisie ».
L’IVD, qui achève son mandat à la fin de l’année, a indiqué vendredi avoir recensé environ 25.000 « violations graves » contre 19.252 victimes sous les dictatures et lors des troubles post-révolutionnaires. Elle a appelé à la poursuite des procès ainsi qu’à des réformes des services de sécurité.
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