Présidentielle 2019 : et si le président Bouteflika renonçait, quels candidats pour la succession ?
Par Amel Benabi
La polémique qui enfle ces dernières semaines à propos d’un cinquième mandat redevenu subitement hypothétique dans le sillage de la non réception par le président Bouteflika du prince Mohamed Ben Selman et l’annulation de la visite de la présidente d’Estonie, relance les supputations sur les personnalités susceptibles d’être adoubées par le régime.
Mais rien n’autorise à ce stade de trancher qu’Abdelaziz Bouteflika ne serait pas tenté par un autre tour en avril prochain. Tout dépendra naturellement de l’évolution de son état de santé. Il est vrai que l’image du chef de l’Etat le 1er novembre 2018 au mémorial du Martyr (Maqam E’chahid) l’avait montré pas au mieux de sa forme.
Qui pourrait bien succéder à Abdelaziz Bouteflika au palais d’El Mouradia si jamais la piste d’un renoncement venait à être actée ?
Il est absolument certain que «l’heureux élu» doit être une nouvelle fois un «candidat du consensus» comme l’avait été le président Bouteflika lui-même en 1999. Les différents centres de décision qui gravitent autour du pouvoir entre civils et militaires, ont tous leur mot à dire.
Soucieux de la cohésion interne, le régime fera tout pour présenter son poulain en tenue de soirée pour que tout le monde tombe sous son charme. Il pourrait même être amené à soigner le CV, requinquer l’image et souligner les mérites du candidat choisi pour lui donner une carrure et le mettre dans l’étoffe du chef d’Etat qu’il faut au moment qu’il faut…
Voici par ailleurs le casting non exhaustif et dans le désordre d’Algérie1 des personnalités nationales potentiellement éligibles à la magistrature suprême :
Ahmed Ouyahia :
Ahmed Ouyahia est pour beaucoup d’observateurs le successeur presque «naturel» de Bouteflika qu’il a soutenu fidèlement, du moins publiquement, depuis 1999. De par sa fonction de Premier ministre, il a l’avantage de la proximité avec le chef de l’Etat et sa bonne connaissance des dossiers qui lui permettront de se mettre tout de suite au travail. Ouyahia qui a exercé la fonction de chef de l’exécutif à quatre reprises (un record mondial), maitrise parfaitement les rouages de l’Etat et présente également une carte de visite non négligeable de diplomate de formation. Bon communicateur et polyglotte, Ouyahia serait un bon client pour le pouvoir. Même ses adversaires politiques admettent qu’il est un homme d’Etat. Mais le chef du RND devenu depuis quelques années aussi un homme politique rompu aux manoeuvres, souffre terriblement de sa proverbiale impopularité et pire encore il est resté cloué aux années du socialisme spécifique, des entreprises publiques nourries à la mamelle de l’Etat, l’Etat providence, le Tout Etat, le géniteur de la règle dite 49/51 qui a complètement tari l’investissement international…pour ainsi dire c’est un homme du passé. Cela étant, l’homme des «sales besognes», comme il aime bien se qualifier, pourrait-il être lavé facilement pour trouver grâce aux yeux du peuple ? S’il peut piocher dans l’électorat démocrate moderniste, il n’a aucune chance chez le courant islamiste. Ahmed Ouyahia est a priori, à la fois si proche et si loin du palais d’El Mouradia.
Abdelaziz Belkhadem :
Bien qu’il ait été banni par le président Bouteflika depuis 2014, Abdelaziz Belkhadem reste dans la short-list de candidats potentiels à la succession. Son rappel par Moad Bouchareb pour le réinjecter au sein du parti FLN, prouve qu’il garde encore des cartes en main pour prétendre à un destin national. Islamiste BCBG, Belkhadem qui a été «découvert» par Houari Boumediene dans une réunion à Tiaret, fait figure d’un dinosaure de la vie politique nationale. Il aura eu tous les postes prestigieux de l’Etat entre président de l’Assemblée Populaire Nationale, chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères, en plus d’avoir été à la tête du parti FLN. Abdelaziz Belkhadem qui incarnait les «barbeflen» du temps l’ex parti unique a l’avantage de pouvoir compter sur le courant islamo-conservateur contrairement à Ouyahia. Il est aussi un homme de compromis qui a la culture de l’Etat. Mais a-t-il l’aura d’un Président de la république ? Rares sont ceux qui le pensent assurément.
Said Bouteflika :
Le frère cadet du président n’a jamais montré un quelconque intérêt de succéder à son frère du moins publiquement. Certains de ses supporters zélés le font en revanche régulièrement. Du coup, il est souvent cité dans la liste des candidats possibles. Said Bouteflika à qui l’on prête un pouvoir immense auprès de son frère dont il est le conseiller depuis 20 ans, a l’avantage de connaitre parfaitement la maison et ses hommes. Tout le monde parle de lui mais lui ne parle jamais.
«Vice-roi» comme aiment le désigner les médias, Said Bouteflika reste tout de même silencieux et ne semble pas prêter attention à ces «commérages» de presse qui l’envoient au palais d’El Mouradia bien malgré lui.
C’est une piste qui parait moins sérieuse du fait que le concerné n’a pas jugé utile de descendre vers le peuple d’en bas qui ne connait pas sa voix, pour soigner son image et se fabriquer une aura. Et ce n’est pas en quatre mois qu’il pourra se mettre dans la peau d’un présidentiable. Il reste à savoir si les algériens accepteraient une succession dynastique qui ne fait pas partie de leurs mœurs politiques. Docteur en intelligence artificielle, Said Bouteflika est suffisamment intelligent pour comprendre que cette supposition ressemble à une équation à plusieurs inconnues.
Mouloud Hamrouche
Il est assurément l’un des rares sinon le seul homme capable de faire consensus au sein du peuple et même au-delà. Mouloud Hamrouche incarne une ligne patriotique décomplexée dont le souhait est de sauver le pays en ces temps d’incertitudes. Père des «réformes économiques», Hamrouche est aussi à l’origine du pluralisme médiatique sous le président Chadli et de la légalisation du front islamique du salut (FIS). Pour cette raison il s’est opposé aux militaires qui n’avaient jamais accepté cette légalisation. L’avenir leur a donné raison puisque le pays a été plongé par Abassi Madani et Ali Belhadj dans la tourmente infernale d’un terrorisme des plus aveugles durant une dizaine d’années.
D’aucuns le voit piloter un mandat de président de transition pour permettre à l’Algérie et au système de s’ouvrir à la société et installer les règles démocratiques et de transparence. Cet ancien sous-lieutenant de l’ALN, dispose de solides soutiens parmi la classe politique et dans les médias. Il a également l’avantage de rester loin de l’agitation médiatique ce qui lui confère une stature d’un homme d’Etat respecté. Mouloud Hamrouche peut par ailleurs rassembler largement au-delà des partis du pouvoir puisque il est très respecté aussi au sein de l’opposition. Un bémol cependant : «Si Mouloud» traine comme un boulet l’aversion de l’armée à son égard. Il n’est pas du genre à aller au charbon mais préfère attendre un coup de fil…
Abdelmalek Sellal
Le nom de l’ancien Premier ministre est également cité parmi les successeurs à Bouteflika. Abdelmalek Sellal est un fidèle parmi les fidèles du président dont il a été à trois reprises le directeur de campagne. Homme de confiance de Bouteflika qu’il a défendu à toute épreuve, Sellal a commencé à rêver d’être le «prochain» quand il a été autorisé à jouer le rôle de chef d‘Etat dans les prestigieuses enceintes internationales.
Contrairement à Ahmed Ouyahia, l’ancien Premier ministre a été également autorisé à faire le tour d’Algérie en y animant des rencontres avec la société civile comme le faisait le président Bouteflika. Abdelmalek Sellal a l’avantage aussi d’être un personnage affable qui n’hésite pas à user de boutades pour détendre l’atmosphère. Mais il en faisait visiblement trop au point où certains pointent ses saillies qui ne cadrent pas avec sa fonction de Premier ministre.
Abdelmalek Sellal Président de la république ? Pour beaucoup d’observateurs, cette hypothèse n’est pas impossible.
Ali Benflis
L’ex candidat malheureux par deux fois contre le président Bouteflika en 2004 et 2014, est censé être un candidat sous l’étiquette de l’opposition. Mais de par son extraction politique et idéologique et son parcours au sein des institutions de l’Etat et du parti FLN, rien n’interdit de penser que par un incroyable retournement de situation Ali Benflis redeviendrait un homme fréquentable et plus si affinités… Certes c’est une petite piste au milieu d’un maquis, mais le système soucieux de ravaler sa façade pour rallonger sa durée de vie pourrait être tenté de faire appel à ce «Chaoui» pour effectuer un transfert symbolique du pouvoir de l’ouest à l’est. Enfant du système dont il a tété les mamelles, Ali Benflis ne se fera pas prier pour prendre une revanche sur le sort quitte à embrasser la main qu’il mordait depuis une dizaine d’année. L’hypothèse Ali Benflis parait pour autant invraisemblable ne serait-ce que par rapport à la position de Bouteflika qui aura son mot à dire. En effet, il est désigné par ce dernier du vocable de Brutus, le fils traitre qui a assassiné son père Jules César.
Abdelghani Hamel
L’ex patron de la police nationale qui a réussi l’exploit de gravir rapidement les échelons pour finir général-major de l’armée, était un temps, quasiment présenté comme le successeur de Bouteflika. Jeune, élégant, universitaire, général, Abdelghani Hamel était pour beaucoup un sérieux prétendant à la magistrature suprême. Très proche du cercle présidentiel et originaire comme Bouteflika de la wilaya de Tlemcen, El Hamel aura travaillé à fond son image. Puis patatras, le président Bouteflika été contraint, pour des raisons inconnues, de le limoger. Le général Hamel qui aura pris du galon est tombé brusquement de son piédestal. Sa carte est-elle définitivement déchirée ? Difficile de le dire. Les voies du système étant impénétrables, Abdelghani Hamel pourrait bien revenir par la grande porte, lavé de tous soupçons et présenté comme un «monsieur propre», victime d’une cabale contre le président Bouteflika. Cette hypothèse n’est nullement à exclure.
L’inconnu
Parmi l’aréopage de personnalités citées plus haut comme de probables successeurs à Bouteflika, compte tenu de leurs pédigrées et de leurs soutiens, il est possible qu’aucune ne sera choisie in fine. Le régime qui nous a habitués à ses tours de passe-passe pourrait bien faire sortir un président inconnu de son chapeau. Depuis l’indépendance, aucun président n’a été choisi pour son charisme et son parcours. Le système dispose de règles non écrites en vertu desquelles il fait son casting. L’exemple le plus emblématique et le plus inattendu a été le choix du président Chadli en 1978 qui était alors inconnu au bataillon…politique. Il n’est donc pas exclu que le régime nous surprenne par un retraité de l’armée ou un jeune sans expérience à l’image de Moad Bouchareb pour confirmer la règle. Sa règle.
Et les schtroumpfs
Et plus de cette liste de potentiels successeurs au président Bouteflika, qui ont les chances de porter les couleurs du pouvoir, il y a bien sûr les éternels candidats à la candidature qui n’ont aucune chance d’être élus mais qui vont jouer l’alibi pluraliste en contrepartie d’un renvoi d’ascenseur sous forme de portefeuilles ministériels ou de rétributions sonnantes et trébuchantes. Dans ce panier, on retrouvera comme d’habitude, les Louisa Hanoune, Moussa Touati, Faouzi Rebaine en plus d’Abdelaziz Belaid, Ali Zeghdoud, Fethi Gheras, Nasser Boudiaf qui ont déjà annoncé leurs candidatures. Tout ce beau monde a vocation à servir de décor à la grand-messe présidentielle. Et les paris restent ouverts.
Be the first to comment