Les Européens n’en démordent pas. Depuis des mois, ils font pression sur les pays du Maghreb pour qu’ils acceptent d’installer des centres de rétention pour migrants. Les pays concernés esquivent. Ils invoquent une autre approche du phénomène migratoire et mettent en avant leur besoin de protéger leurs propres frontières plutôt que celles de l’UE.
À l’occasion de diverses rencontres bilatérales, de visites officielles ou de missions plus discrètes, une demande européenne revient sans cesse. Depuis plusieurs mois, la sollicitation insistante n’a d’égal que l’immuabilité de la réponse qu’elle provoque. Les pays du Maghreb refusent encore et toujours de créer sur leur territoire des centres de rétentions pour les immigrants secourus en mer, à la poursuite du rêve européen.
«Tout le monde connaît la position de l’Algérie, qui refuse l’établissement de ces centres sur son territoire», a déclaré début novembre le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, devant son homologue italien Giuseppe Conte, en réponse à une question qui lui a été adressée par un journaliste.
Le point ne fut pas soulevé par le Premier ministre italien lors de la conférence de presse. La question migratoire n’a d’ailleurs «occupé que 10 minutes, tout au plus, de nos entretiens qui se sont étalés sur des heures, principalement sur les questions économiques et l’affaire libyenne», a assuré Ouyahia. Pourtant, en tant que pays d’entrée «submergé» par les flux de réfugiés, l’Italie rate rarement une occasion d’évoquer la question, notamment avec les pays du sud de la Méditerranée.
Au petit matin du 29 juin 2018, à l’occasion d’un sommet des 28 à Bruxelles, les Italiens réussissaient même à arracher un accord sur la gestion des flux migratoires. Le texte prévoyait la création de centres d’accueil dans les pays européens volontaires, mais aussi des «plateformes régionales de débarquement» sur la rive sud de la Méditerranée.
L’idée «des centres de rétention dans les pays périphériques à Schengen» avait été exprimée en 2015 par Nicolas Sarkozy, en pleine crise migratoire européenne. Elle était entrée en résonnance avec ce qui s’exprimait, tout bas, dans les couloirs des institutions européennes, assure l’écrivain Philippe Boggio. Objectif, «repousser les frontières de l’Europe» en renvoyant «au plus loin le choc des mondes».
L’idée de Bruxelles était que «ces plateformes (puissent) prévoir un traitement rapide pour distinguer les migrants économiques de ceux qui ont besoin d’une protection internationale». En d’autres termes, faire le tri entre les demandeurs d’asile et les migrants économiques, que l’Europe, saturée, ne peut plus accueillir. Sauf que depuis, c’est toujours un niet catégorique dans les pays de la rive sud concernés…
«Il faut arriver à tarir les sources de l’immigration illégale. Il y a des pays du Sahel par exemple, de l’Afrique de l’Est, dont viennent des milliers qui fuient crise, guerre, famine. La réponse donc, c’est de traiter ces problèmes. Pour la Libye, par exemple, résoudre la crise libyenne participe de la stabilité de la Libye, d’abord, mais aussi de celle de son entourage.
Au Sahel, on défend toujours la nécessité d’accompagner les efforts contre le terrorisme ou les problèmes sécuritaires, avec des programmes et des encouragements au développement. C’est cela l’approche algérienne. Créer des centres, ce n’est pas la solution. Le barrage érigé finira par se rompre, devant l’eau qu’on a essayé au début de contenir», a poursuivi l’officiel algérien.
La même position prévaut côté tunisien et marocain. Pour un cadre du ministère tunisien des Affaires étrangères approché par Sputnik, la position tunisienne se veut «cohérente». Autant l’immigration concertée fait florès (au point que certains parleront d’une immigration-ponction puisque 95.000 Tunisiens, dont 78 % d’universitaires, sont partis travailler à l’étranger pendant les 6 dernières années), autant le pays poursuit des efforts pour respecter ses engagements internationaux. Dès lors,
«La Tunisie ne veut pas subir les conséquences d’une question qu’elle n’a pas participé à créer. Sa propre responsabilité, elle l’assume, en empêchant les Tunisiens de quitter le territoire de manière illégale vers l’Europe ou d’autres destinations. On a réussi jusque-là à sécuriser nos frontières, à empêcher beaucoup de candidats à l’immigration clandestine à atteindre les rives européennes, qu’ils soient Tunisiens ou venus d’ailleurs», assure le responsable tunisien.
Sur les six premiers mois de l’année 2018, 5.986 candidats à l’émigration clandestine ont été arrêtés par les autorités tunisiennes, selon des chiffres officiels. Selon l’Organisation internationale pour la Migration (OIM), les 6 premiers mois de l’année ont vu débarquerprès de 2000 migrants tunisiens irréguliers en Italie, principale porte d’entrée européenne pour ce pays d’Afrique du Nord. Après une passe d’armes blanches avec les Allemands, qui ont accusé les Tunisiens de ne pas en faire assez pour le rapatriement de leurs citoyens en situation illégale, des charters rapatrient désormais, chaque semaine, des sans-papiers tunisiens par petits nombres.
De leur côté, les Algériens insistent aussi sur le fait que leurs propres migrants en situation irrégulière sont en nombre restreint. Entre 3.000 et 5.000 en Allemagne, alors qu’ils ne dépassent pas les 900 dans un pays comme l’Italie. «Pour l’Algérie, c’est un devoir de récupérer ses enfants», a assuré le Premier ministre Ouyahia, quelques minutes après avoir réitéré la position de principe sur les centres de rétention. À ce titre, au Maroc, on aime aussi à rappeler certains faits, à contre-courant du «tapage européen».
«La migration reste intra-africaine à hauteur de 80 %. Et quand elle ne l’est pas, elle n’est irrégulière qu’à hauteur de 0,5 %! La politique du royaume se nourrit de plusieurs considérations pour refuser ce genre de sollicitations européennes, au premier rang desquelles notre approche de la migration, qui n’est pas une approche purement sécuritaire.
Sa régulation devrait être le résultat d’une politique encourageant le développement des pays africains. Le Maroc est clairement engagé dans cette voie avec ses partenaires subsahariens. Et vu la nature de nos relations, privilégiés, nous nous voyons mal jouer aux gendarmes en établissant ou en laissant établir ces centres de rétention!», a affirmé à Sputnik une source marocaine proche du dossier.
Même son de cloche côté tunisien, où l’on assure pourtant que si les trois pays parlent d’une seule voix, «aucune concertation préalable n’a été faite dans ce sens».
«Sous couvert d’efficacité, au demeurant douteuse, la démarche européenne ne se soucie que des conséquences immédiates du phénomène, en se souciant moins des causes, le chômage, le manque d’espoir, la pauvreté… C’est une approche de fermeture, opposée à la nôtre et qui est, on le pense, dans le sens de l’histoire, puisque le monde est appelé à s’ouvrir davantage.
En ce sens, et même si nos partenaires n’exercent pas sur nous de pressions formelles, la question s’exprime avec tellement d’insistance que cela nous interpelle. Ce que l’on sent, de notre côté, c’est que c’est davantage eux qui sont sous pression. Celle exercée par les médias et que leur fait subir l’opinion et la montée de l’extrême droite», a poursuivi la source tunisienne.
L’approche d’ouverture invoquée par les pays du Maghreb ne se nourrit-elle pas, elle-même, de considérations «sécuritaires», et ce, sans préjudice de leur légitimité? Le camp de Choucha, dans le sud tunisien, créé dans l’urgence de l’attaque de l’Otan contre la Libye, a été démantelé, car constituant «un danger pour la sécurité nationale». En Algérie, la déclaration du chef de la diplomatie Abdelkader Messahel, va dans le même sens: il énonçait des mesures sécuritaires prises par son gouvernement, pour répondre à des menaces… «à l’instar des pays européens».
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